Selon le philosophe français , face à la mort des autres, l'athée se sent le plus démuni. Comme on envie parfois ceux qui croient en Dieu! Dans le domaine du deuil et des rites funéraires, les religions sont à peu près imbattables. Les funérailles laïques ont presque toujours quelque chose de pauvre et manque d'originalité. Elles auraient besoin d'un rituel qui fait davantage appel à l'imagination et à la créativité esthétique afin d'apprivoiser la mort et de donner sens au deuil.
Ce que la religion* apporte, lorsqu'on a perdu un être cher, ce n'est pas seulement une consolation possible; c'est aussi un rituel nécessaire, un cérémonial, même sans faste, comme une politesse ultime, face à la mort de l'autre, qui aiderait à l'affronter, à l'intégrer (aussi bien psychologiquement que socialement), enfin à l'accepter, puisqu'il faut bien en venir là, ou en tout cas à la vivre. Une veillée funèbre, une oraison, des chants, des prières, des symboles, des attitudes, des rites, des sacrements... C'est une façon d'apprivoiser l'horreur, de l'humaniser, de la civiliser, et sans doute il le faut. On n'enterre pas un homme comme une bête. On ne le brûle pas comme une bûche. Le rituel marque cette différence, il la souligne, il la confirme, et c'est ce qui le rend presque indispensable.
Il arrive, certes, que les obsèques soient purement civiles: un enterrement ou une crémation* n'ont pas besoin, en tant que tels, de religion. Le recueillement pourrait suffire. Le silence et les larmes pourraient suffire. Force est pourtant de reconnaître que c'est rarement le cas : nos funérailles laïques ont presque toujours quelque chose de pauvre, de plat, de factice, comme une copie qui ne saurait faire oublier l'original. C'est peut-être une question de temps. On ne remplace pas en un tournemain 2000 ans d'émotion et d'imaginaire. Mais il y a sans doute davantage. La force de la religion, dans ces moments-là, n'est pas autre chose que notre propre faiblesse face au néant. C'est ce qui la rend nécessaire, pour beaucoup. Ils se passeraient à la rigueur d'espérance, pour eux-mêmes. Mais point de consolations, ni de rites, lorsqu'un deuil trop atroce les frappe. Les Églises sont là pour eux. Elles ne sont pas près de disparaître, «Je crois en Dieu, me dit un jour une lectrice, parce qu'autrement ce serait trop triste.» Cela, qui n'est certes pas un argument («il se pourrait que la vérité fût triste», disait Renan), doit pourtant être pris en considération.
Source: André Comte-Sponville, L'Esprit de l'athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Paris, Albin Michel, «Le Livre de poche», 2006, p. 19-20.
Il arrive, certes, que les obsèques soient purement civiles: un enterrement ou une crémation* n'ont pas besoin, en tant que tels, de religion. Le recueillement pourrait suffire. Le silence et les larmes pourraient suffire. Force est pourtant de reconnaître que c'est rarement le cas : nos funérailles laïques ont presque toujours quelque chose de pauvre, de plat, de factice, comme une copie qui ne saurait faire oublier l'original. C'est peut-être une question de temps. On ne remplace pas en un tournemain 2000 ans d'émotion et d'imaginaire. Mais il y a sans doute davantage. La force de la religion, dans ces moments-là, n'est pas autre chose que notre propre faiblesse face au néant. C'est ce qui la rend nécessaire, pour beaucoup. Ils se passeraient à la rigueur d'espérance, pour eux-mêmes. Mais point de consolations, ni de rites, lorsqu'un deuil trop atroce les frappe. Les Églises sont là pour eux. Elles ne sont pas près de disparaître, «Je crois en Dieu, me dit un jour une lectrice, parce qu'autrement ce serait trop triste.» Cela, qui n'est certes pas un argument («il se pourrait que la vérité fût triste», disait Renan), doit pourtant être pris en considération.
Source: André Comte-Sponville, L'Esprit de l'athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Paris, Albin Michel, «Le Livre de poche», 2006, p. 19-20.