La mort est un déficit à combler. Depuis toujours, les communautés humaines ont célébré les morts afin de les réintégrer dans la société des vivants en leur accordant des pouvoirs posthumes de confidents, de médiateurs, de protecteurs ou de modèles. Elles ont cru bon d'investir des ressources collectives dans l'érection de «monuments aux morts», de temples, de stèles ou de murs de la mémoire, dans l'aménagement de cimetières, etc. Il est donc tout à fait indiqué d'étudier les rapports de la mort et de l'argent, notamment en lien avec les rites funéraires*.
Les entreprises funéraires ont érigé de grands complexes commerciaux où l'on prend en charge la famille en deuil* en procédant aux arrangements de l'exposition du corps, les funérailles et la sépulture ou la crémation. Sauf exception, une complicité s'établit entre les personnes en deuil et les représentants de l'entreprise funéraire, disposant souvent d'une formation de qualité en psychologie ou en relations publiques. Les frais sont généralement élevés, mais les gens sont prêts à payer le prix , car, règle générale, le service offert est adéquat et personnalisé.
Les proches en deuil sont favorables à la «dépense», parce qu'ils veulent rendre «leurs derniers devoirs» à leur mort. Ils sont disposés à accompagner l'être bien-aimé à sa dernière demeure avec tous les honneurs qui lui sont dus. Ce sentiment d'obligation naît, pour une part, de l'existence des normes sociales et des convenances. Il n'est donc pas exclu qu'une pression sociale s'exerce sur la famille lorsqu'elle sera confrontée à toute la panoplie d'options offerte par la maison funéraire et qu'elle se voit contrainte à défoncer son budget pour répondre à la demande sociale.
La conscience aiguë d'un devoir financier à accomplir à l'égard de «son» mort trouve également sa source dans la reconnaissance d'une dette contractée par les vivants. On se sait redevable envers la personne disparue: «Je lui dois bien ça"; «Il a fait tant pour moi»; «Je lui dois la vie»; «Je dois réparer les troubles que je lui ai causés». Quand la dette prend des proportions démesurées, la compensation risque d'être immense et on ne lésinera pas sur les coûts. Si l'on se situe dans une mystique de la dette, de la réparation et du sacrifice*, on peut facilement basculer dans des dépenses excessives. D'ailleurs, la générosité funéraire n'est pas sans lien avec les regrets et les remords. Malgré l'amour ou l'amitié qui a pu marquer une relation, la mort se solde par une rupture qui laisse inachevée les rapports humains. Des gestes auraient dû être posés et, hélas, ont été omis, des paroles auraient pu être dites et ont été tues. D'autres gestes et d'autres paroles n'auraient pas dû avoir lieu et se sont quand même produits. Pour toutes ces raisons, il semble plus pertinent de choisir un autre registre que celui du manque et de la dette. Il vaut mieux se loger sous l'enseigne de la convivialité et de la reconnaissance que de se draper du manteau d'un débiteur inquiet de ne pas en faire assez pour régler ses comptes.
Après tout, les funérailles sont une célébration, La communauté des vivants se rassemble pour faire mémoire de la vie et de la mort du défunt. Le choix du cercueil, du salon funéraire, le service religieux ou civil, les fleurs, les couronnes, le tombeau, l'urne, au diable la dépense! On paie des messes ou l'on fait des dons à des organismes ou à des fondations. Le repas des funérailles prend les allures de la fête où la convivialité est rencontre de l'autre par l'écoute et la parole, l'entendement et l'entente. Qui dit fête, banquet, convives dit abondance et excès, ce qui vaut son pesant d'or et se traduit par des coûts.
On dira que dans le paysage socio-économique de notre époque ces dépenses parfois excessives ne pourront plus se légitimer. De la part de la famille en deuil, il convient de respecter son choix. Malgré le fait qu'elle se trouve dans un état de plus grande vulnérabilité, on peut espérer qu'elle aura assez de maturité et de prudence pour décider jusqu'où aller trop loin sans trop de risques. De la pert des entreprises funéraires, on souhaite assez d'éthique professionnelle pour ne pas exploiter le deuil des gens et assez de discernement pour offrir à ceux-ci des produits adaptés à leur sensibilité et celle de leur porte-feuille.
C'est la mort qui rend les humains précaires. Parce qu'ils sont si précaires, ils sont si précieux. Et parce qu'ils sont si précieux, ils sont si pathétiques, ces émouvants mortels. Chacun de leurs actes peut être le dernier. À chaque instant, leur visage peut se dissiper comme dans un songe (Jorge Louis Borgès, L'Aleph, Paris, Gallimard, 1976, p. 32). Il y a toujours un prix à payer pour préserver et promouvoir la vie, comme il y a un prix à payer pour célébrer la mort et combler la perte,
Par ailleurs, la société devra être assez souple pour imaginer et inventer des pratiques alternatives moins chères, plus originales et plus significatives que le clinquant des funéraires ostentatoires et luxueuses. Ceux qui désirent n'investir qu'un petit budget aux produits offerts par les entreprises funéraires, choisiront des funérailles modestes et à bon compte. En ce qui concerne l'option des coûts minimaux, qu'on me permette de révéler les préarrangements funéraires de notre couple. Nous avons opté pour le contrat le moins cher disponible sur le marché. Cependant, nous avons prévu des frais additionnels très généreux pour le service liturgique (chant et orgue) et pour le banquet ou agapes. Notre visée, c'est une célébration significative et conviviale dont nous confions la libre responsabilité à des gens proches, soucieux de nos sensibilités particulières et de celles de notre entourage immédiat.