L'Encyclopédie sur la mort


Viandes et sociétés : les consommations ordinaires et extra-ordinaires

Delphine Cavallo

Les jeudi 27 et 28 novembre 2008 à l'Amphithéâtre d’entomologie, Muséum national d’Histoire naturelle, 43 rue Buffon, Paris (75005), des Journées scientifiques sont proposées par Anne-Marie Brisebarre, Anne-Élène Delavigne, Bernadette Lizet et l’Association l’Homme et l’Animal, Société de Recherche Interdisciplinaire (HASRI). Le thème de ces journées d'étude n'est nul autre que «Viandes et sociétés : les consommations ordinaires et extra-ordinaires» dont la présentation (extraits) est reproduite ci-dessous. De la perception humaine des animaux et de leur catégorisation dépend la qualité du traitement qu'on leur inflige vivants et lors de rites religieux, l'abattage ou la chasse.
Lorsque les humains mangent des produits carnés, ils choisissent parmi ceux qui sont disponibles, en les hiérarchisant en fonction de logiques économiques, culturelles, religieuses, gustatives, médicales... Le statut des animaux qui fournissent ces viandes, leur mode de vie (en liberté, élevés), leur régime alimentaire (herbivore, granivore, omnivore, carnivore…) et la façon dont on les tue (abattage ou chasse, sans oublier les rites liés aux croyances religieuses qui s’y rapportent, par exemple abattage rituel pour l’obtention de viande casher ou halal), ont une influence sur les représentations de ces viandes et induisent divers types de consommation, ordinaires et extra-ordinaires. Si l’ordinaire est « ce qu’on a coutume de servir pour un repas » (Littré, Dictionnaire de la langue française, 1973), les consommations extra-ordinaires de viande, sur lesquelles nous voulons attirer l’attention des chercheurs de différentes disciplines, sont celles qui, à un moment particulier (passé ou présent) et dans une culture donnée [...] sortent de l’ordinaire de diverses manières qu’il faudra repérer et caractériser.

[...] Nous pouvons d’ores et déjà tenter de préciser ce que nous entendons par « consommations extra-ordinaires » à partir d’une série de qualificatifs distinctifs, dont certains se recoupent, totalement ou en partie, tandis que d’autres peuvent paraître antinomiques : si l’on se réfère à la fréquence de leur consommation, on peut dire ces viandes exceptionnelles, inhabituelles, occasionnelles, rares, marginales ; si on se réfère aux contextes sociaux de la pratique alimentaire, elles peuvent être festives, rituelles, thérapeutiques, transgressives, limites, interdites, réprouvées ; et dans une perspective diachronique : nouvelles, de substitution ou de survie ; enfin au regard des bestiaires, indigènes ou introduits, l’extra-ordinaire est « l’exotique ».

Les catégorisations habituelles des statuts des animaux consommés – domestique / sauvage, élevé / chassé – apparaissent plus flous et méritent qu’on les interroge. Car les représentations de la viande relèvent de l’idéologie autant que des techniques de production. Si la viande sauvage est d’abord celle des animaux chassés, ce qualificatif peut aussi désigner celle d’animaux non autochtones élevés : quel est, par exemple, le statut de la viande des nouveaux animaux d’élevage qualifiés de «non domestiques» par la réglementation française, tels les autruches et les bisons ? Et celui de la chair des gibiers élevés et non chassés ? [...]

S’il est au fil du temps et dans divers contextes culturels, sociaux et économiques des consommations nouvelles, les viandes ordinaires ont parfois connu des éclipses ou changé de statut, devenant interdites, réprouvées ou abominables. C’est le cas par exemple de l’hippophagie dans une partie des sociétés occidentales, le cheval étant devenu un compagnon de loisir. C’est aussi à cause de sa proximité de l’homme que le chien, animal familier, est immangeable et sa transformation en viande impensable pour les Occidentaux même si l’existence assez récente de boucheries spécialisées en Suisse alémanique est avérée et que des témoignages attestent de consommations de survie en temps de guerre. Cependant, dans d’autres cultures la cynophagie est considérée comme festive (Corée du Sud), identitaire et transgressive en milieu berbère ou médicinale en Chine. Les données archéologiques indiquent qu’il en fut de même dans nos cultures occidentales au Néolithique et aux Âges des Métaux. Parmi les consommations occasionnelles, certaines ont lieu dans un contexte festif particulier : c’est le cas de la viande de taureau de corrida, valorisée dans certaines places tauromachiques mais déclassée dans d’autres. Enfin le statut exceptionnel de certaines viandes peut se révéler transitoire, obéissant à des modes, tandis que d'autres conservent leur caractère extra-ordinaire. Quelles sont donc les raisons culturelles, sociales, économiques qui font passer une denrée carnée d'un statut à un autre?

Comité scientifique
• Marie Balasse (Centre national de la recherche scientifique, UMR 5197 « Archéozoologie, histoire des sociétés humaines et des peuplements animaux »)
• Anne-Marie Brisebarre (Centre national de la recherche scientifique, UMR 7130 « Laboratoire d’anthropologie sociale »)
• Anne-Elène Delavigne (Muséum national d’histoire naturelle, UMR 5145 « Eco-anthropologie et ethnobiologie »)
• Jean-Pierre Digard (Centre national de la recherche scientifique, UMR 7528 « Mondes iranien et indien »)
• Marie-Pierre Horard-Herbin (Université de Tours, UMR 6173 « Cité, territoire, environnement et société »)
• Bruno Laurioux Département Sciences humaines et sociales)
• Christine Lefèvre (Muséum national d’histoire naturelle, UMR 5197 « Archéozoologie, histoire des sociétés humaines et des peuplements animaux »)
• Bernadette Lizet (Muséum national d’histoire naturelle, UMR 5145 « Eco-anthropologie et ethnobiologie »)
• Colette Méchin (Centre national de la recherche scientifique, UMR 7043 « Cultures et sociétés en Europe »)
• Georges Métailié (Centre national de la recherche scientifique, UMR 8560 Centre Alexandre Koyre, Histoire des sciences et des techniques »)
• Noëlie Vialles (Collège de France, UMR 7130 « Laboratoire d’anthropologie sociale »)
• Jean-Denis Vigne (Centre national de la recherche scientifique, UMR 5197 « Archéozoologie, histoire des sociétés humaines et des peuplements animaux »)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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