L'auteur nous offre des pages délicieuses et émouvantes, pleines d'humanité sur sa relation conviviale avec son chien Voutsy. Avec beaucoup d'humour et de tendresse, il y accorde une place privilégiée à l'animal dans l'espace intime partagé par lui-même et le regretté anthropologue de la mort Louis-Vincent Thomas*. L'expérience du «deuil lancinant», vécu par l'auteur à la mort de son chien lui permet d'écrire un essai de nature philosophique et anthropologique, qui est à la fois un témoignage, sur le savoir et l'empathie du chien, son art de vivre et de mourir.
Martin Heidegger, berger de l'être-vers-la-mort (1), s'est imprudemment aventuré sur le terrain de l'ontologie de l'animal, mais sa thèse selon laquelle «l'animal est pauvre en monde» est d'une pauvreté phénoménologique abyssale. [...] Contrairement à ce que soutient en effet Heidegger les chiens comprennent parfaitement ce que signifie la mort de leur maître, parce qu'ils possèdent comme nombre d'animaux supérieurs l'intuition vitale, élémentaire bien qu'authentique, de la mort. [...], il est évident que l'animal, en l'occurrence ici le chien, ne parle pas et qu'il ne peut pas communiquer sa souffrance et son angoisse comme peuvent le faire les humains confrontés à la mort. Le chien, lui, se tait, il meurt en silence, comme l'a fait avec beaucoup de dignité, mon chien. Il reste aussi que la mort de l'animal ne consiste pas simplement à «arriver à la fin», mais bel et bien à «mourir». Prétendre que l'animal «ne peut mourir mais seulement arriver à la fin» (2) est l'une de ces pétitions de principe perverses et sournoises dont Heidegger a toujours eu le secret. On peut certes considérer que les chiens divagants, les chiens abandonnés, les chiens sans collier, les chiens martyrisés «crèvent comme des chiens», mais les chiens accueillis dans une maison provoquent lorsqu'ils meurent - simple constat sociologique ! - chagrin, dépression et travail de deuil, tout simplement parce qu'ils ont comme les humains un nom (ou un surnom), une existence singularisée et une histoire individuelle. Voilà pourquoi la mort d'un chien n'est pas simplement une arrivée à la fin, mais la disparition d'un ami, la perte d'un être cher au sein même du monde des humains. Une machine peut sans doute arriver à la fin de ses capacités ou de ses réalisations, on dira alors qu'elle a cessé de fonctionner ou de «marcher», mais un chien, lui, meurt ou se meurt, précisément parce qu'il n'est pas pauvre en monde, mais au contraire co-configurateur du monde humain (3).
1. Martin Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysiques. Monde-finitude-solitude, Paris, Gallimard, 1992, p. 310.
2. Ibid., p. 387.
3. Voir Jean-Marie Brohm, «Le chien sociologique» dans Actions et recherches sociales, n° 4 («Le besoin»), décembre 1984.
1. Martin Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysiques. Monde-finitude-solitude, Paris, Gallimard, 1992, p. 310.
2. Ibid., p. 387.
3. Voir Jean-Marie Brohm, «Le chien sociologique» dans Actions et recherches sociales, n° 4 («Le besoin»), décembre 1984.