Oscar Wilde (1854-1900) écrit au poète G. H. Kersley en juin 1888: «Je suis heureux que mes contes vous plaisent. Ce sont des rêveries en proses, mises par amour du romanesque en une forme imaginaire, destinées en partie à ceux qui ont gardé les facultés juvéniles d'émerveillement et de joie et qui trouvent dans la simplicité un dépaysement subtil.» L'art de bien vivre* et l'art de bien mourir sont intimement liés dans ce conte où la mélancolie* et l'altruisme * du Prince éveille chez un petit oiseau le désir ailé de transmettre aux pauvres les richesses du Prince. Ce pacte scelle leur amour dans la vie comme dans la mort.
Au sommet d'une haute colonne, dominant la ville, se dressait la statue du Prince Heureux. Tout entier recouvert de minces feuilles d'or fin, il avait deux brillants saphirs en guise d'yeux, et à la poignée de son été brillait un gros rubis rouge.
[...]
Un soir, il advint qu'un petit Martinet [Swallow = hirondelle] vola par dessus la ville.
[...]
«Ou m'installer, dit-il? J'espère que la municipalité aura fait des préparatifs.»
C'est alors qu'il aperçut la statue, tout en haut de la colonne. «Je vais m'installer là-haut, s'écria-t-il. La situation est excellente, et l'air frais ne manque pas.» Il alla donc se percher entre les pieds du Prince Heureux.
«J'ai une chambre en or», murmura-t-il en regardant tout alentour. Il se préparait à s'endormir quand à l'instant précis où il allait abriter la tête sous son aile, une grosse goutte d'eau lui tomba dessus. «Comme c'est bizarre! s'écria-t-il. Pas un nuage au ciel, les étoiles brillent de tout leur éclat, et voilà qu'il pleut. Décidément, il fait bien mauvais dans le nord de l'Europe. Mlle Roseau aimait la pluie, mais par pur égoïsme.»
Une deuxième goutte tomba.
«À quoi sert donc une statue si elle ne protège pas de la pluie? Je m'en vais chercher quelque bonne cheminée», et il résolut de prendre son envol.
Mais avant qu'il ait déployé ses ailes, une troisième goutte tomba. Il leva les yeux et découvrit... Ah! Que découvrit-il donc?
Les yeux du Prince Heureux étaient emplis de larmes et des larmes coulaient le long de ses joues d'or. Sous la lumière de la lune, son visage était si beau que le petit Martinet se sentit envahi de pitié.
- Qui êtes-vous? demanda-t-il.
- Je suis le Prince Heureux.
- Alors pourquoi pleurez-vous? demanda le Martinet. Vous m'avez complètement trempé.
- [...] Mes courtisans m'appelaient le Prince Heureux, et si le bonheur n'est rien d'autre que le plaisir, oui, j'étais heureux. Ainsi je vécus, ainsi je mourus. Et maintenant que je suis mort, on m'a installé ici, tellement haut que je peux voir toute la laideur et toute la misère de ma ville. Mon coeur a beau être fait de plomb, comment ne pleurerais-je?»
«Quoi! il n'est pas en or massif?x se dit le Martinet à part lui. Sa politesse l'empêchait d'exprimer à haute voix ds remarques personnelles.
«Là-bas, poursuivait la statue d'une voix basse et musicale, là-bas dans une petite rue, il est une pauvre maison. Une des fenêtres est ouverte, et à travers elle je distingue une femme, assise à une table. Son visage est mince et las, et ses mains sont rugueuses et rouges, toutes piquetées par l'aiguille, car elle est couturière. [...] Sur un lit, dans un coin de la pièce, gît son petit garçon qui est malade. Il a la fièvre et demande des oranges. Comme sa mère n'a rien à lui donner que de l'eau de la rivière, il pleure. Martinet, martinet, petit martinet, ne veux-tu pas lui porter le rubis de la poignée de mon épée? Mes pieds sont attachés à ce piédestal, et je ne peux bouger. [...] Martinet. martinet, petit martinet, ne veux-tu pas rester une seule nuit auprès de moi, et me servir de messager? Le garçon a tellement soif, et sa mère est si triste.
[...]
Mais le Prince Heureux avait l'air si triste que le petit Martinet se sentit affligé. «Il fait bien froid ici, répondit-il, mais je resterai auprès de vous une seule nuit, et je vous servirai de messager.
[...]
Et le Martinet picota l'épée du Prince pour en dégager le gros rubis qu'il prit dans son bec avant de s'envoler par-dessus les toits de la ville.
[...]
Pour finir, il parvint à la pauvre maison et regarda à l'intérieur. Le garçon se retournait fiévreusement sur son lit; la mère s'était endormie tant elle était fatiguée. Il sauta dans la pièce et déposa le gros rubis sur la table, près du dé à coudre de la femme. Puis il voleta délicatement tout autour du lit, éventant de ses ailes le front du garçon. «Quelle fraîcheur! dit le garçon, je dois aller mieux»; et il s'abîma dans un délicieux sommeil.
[...]
Une à une, le Martinet détacha les feuilles d'or fin jusqu'à ce que le Prince Heureux eût pris un aspect tout terne et gris. Une à une, il portait aux pauvres les feuilles d'or, et les visages des enfants en devenaient plus roses. ils se mettaient à rire et à jouer en pleine rue. «Nous avons du pain maintenant» s'écriaient-ils.
[...]
Le pauvre petit Martinet avait de plus en plus froid, mais il ne voulut plus quitter le Prince. Il l'aimait trop tendrement. [...] Mais au bout du compte, il sut qu'il allait mourir. Il eut juste la force de voler une fois de plus jusqu'à l'épaule du Prince. «Au revoir, cher Prince! murmura-t-il. Me laisserez-vous baiser votre main?
- Petit Martinet, je suis heureux que tu partes enfin pour l'Égypte, dit le Prince. Tu es resté ici trop longtemps. Mais tu dois me baiser les lèvres car je t'aime.
- Ce n'est pas en Égypte que je vais, répondit le Martinet. Je vais à la Maison de la Mort. La Mort n'est-elle pas la soeur du Sommeil?» Et il baisa les lèvres du Prince Heureux avant de tomber mort à ses pieds.
À cet instant, un étrange craquement se fit entendre à l'intérieur de la statue, comme si quelque chose s'y était brisé. Oui, le coeur de plomb venait de se fendre en deux morceaux. Sans doute était-ce la faute d'un gel terriblement dur.
[...]
[...]
Un soir, il advint qu'un petit Martinet [Swallow = hirondelle] vola par dessus la ville.
[...]
«Ou m'installer, dit-il? J'espère que la municipalité aura fait des préparatifs.»
C'est alors qu'il aperçut la statue, tout en haut de la colonne. «Je vais m'installer là-haut, s'écria-t-il. La situation est excellente, et l'air frais ne manque pas.» Il alla donc se percher entre les pieds du Prince Heureux.
«J'ai une chambre en or», murmura-t-il en regardant tout alentour. Il se préparait à s'endormir quand à l'instant précis où il allait abriter la tête sous son aile, une grosse goutte d'eau lui tomba dessus. «Comme c'est bizarre! s'écria-t-il. Pas un nuage au ciel, les étoiles brillent de tout leur éclat, et voilà qu'il pleut. Décidément, il fait bien mauvais dans le nord de l'Europe. Mlle Roseau aimait la pluie, mais par pur égoïsme.»
Une deuxième goutte tomba.
«À quoi sert donc une statue si elle ne protège pas de la pluie? Je m'en vais chercher quelque bonne cheminée», et il résolut de prendre son envol.
Mais avant qu'il ait déployé ses ailes, une troisième goutte tomba. Il leva les yeux et découvrit... Ah! Que découvrit-il donc?
Les yeux du Prince Heureux étaient emplis de larmes et des larmes coulaient le long de ses joues d'or. Sous la lumière de la lune, son visage était si beau que le petit Martinet se sentit envahi de pitié.
- Qui êtes-vous? demanda-t-il.
- Je suis le Prince Heureux.
- Alors pourquoi pleurez-vous? demanda le Martinet. Vous m'avez complètement trempé.
- [...] Mes courtisans m'appelaient le Prince Heureux, et si le bonheur n'est rien d'autre que le plaisir, oui, j'étais heureux. Ainsi je vécus, ainsi je mourus. Et maintenant que je suis mort, on m'a installé ici, tellement haut que je peux voir toute la laideur et toute la misère de ma ville. Mon coeur a beau être fait de plomb, comment ne pleurerais-je?»
«Quoi! il n'est pas en or massif?x se dit le Martinet à part lui. Sa politesse l'empêchait d'exprimer à haute voix ds remarques personnelles.
«Là-bas, poursuivait la statue d'une voix basse et musicale, là-bas dans une petite rue, il est une pauvre maison. Une des fenêtres est ouverte, et à travers elle je distingue une femme, assise à une table. Son visage est mince et las, et ses mains sont rugueuses et rouges, toutes piquetées par l'aiguille, car elle est couturière. [...] Sur un lit, dans un coin de la pièce, gît son petit garçon qui est malade. Il a la fièvre et demande des oranges. Comme sa mère n'a rien à lui donner que de l'eau de la rivière, il pleure. Martinet, martinet, petit martinet, ne veux-tu pas lui porter le rubis de la poignée de mon épée? Mes pieds sont attachés à ce piédestal, et je ne peux bouger. [...] Martinet. martinet, petit martinet, ne veux-tu pas rester une seule nuit auprès de moi, et me servir de messager? Le garçon a tellement soif, et sa mère est si triste.
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Mais le Prince Heureux avait l'air si triste que le petit Martinet se sentit affligé. «Il fait bien froid ici, répondit-il, mais je resterai auprès de vous une seule nuit, et je vous servirai de messager.
[...]
Et le Martinet picota l'épée du Prince pour en dégager le gros rubis qu'il prit dans son bec avant de s'envoler par-dessus les toits de la ville.
[...]
Pour finir, il parvint à la pauvre maison et regarda à l'intérieur. Le garçon se retournait fiévreusement sur son lit; la mère s'était endormie tant elle était fatiguée. Il sauta dans la pièce et déposa le gros rubis sur la table, près du dé à coudre de la femme. Puis il voleta délicatement tout autour du lit, éventant de ses ailes le front du garçon. «Quelle fraîcheur! dit le garçon, je dois aller mieux»; et il s'abîma dans un délicieux sommeil.
[...]
Une à une, le Martinet détacha les feuilles d'or fin jusqu'à ce que le Prince Heureux eût pris un aspect tout terne et gris. Une à une, il portait aux pauvres les feuilles d'or, et les visages des enfants en devenaient plus roses. ils se mettaient à rire et à jouer en pleine rue. «Nous avons du pain maintenant» s'écriaient-ils.
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Le pauvre petit Martinet avait de plus en plus froid, mais il ne voulut plus quitter le Prince. Il l'aimait trop tendrement. [...] Mais au bout du compte, il sut qu'il allait mourir. Il eut juste la force de voler une fois de plus jusqu'à l'épaule du Prince. «Au revoir, cher Prince! murmura-t-il. Me laisserez-vous baiser votre main?
- Petit Martinet, je suis heureux que tu partes enfin pour l'Égypte, dit le Prince. Tu es resté ici trop longtemps. Mais tu dois me baiser les lèvres car je t'aime.
- Ce n'est pas en Égypte que je vais, répondit le Martinet. Je vais à la Maison de la Mort. La Mort n'est-elle pas la soeur du Sommeil?» Et il baisa les lèvres du Prince Heureux avant de tomber mort à ses pieds.
À cet instant, un étrange craquement se fit entendre à l'intérieur de la statue, comme si quelque chose s'y était brisé. Oui, le coeur de plomb venait de se fendre en deux morceaux. Sans doute était-ce la faute d'un gel terriblement dur.
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