Ci-dessous, un exemple pittoresque d'un débat inutile parmi d'autres qui sont des dérives des vrais enjeux de la réflexion éthique sur l'euthanasie. Aux philosophes, on devrait dire que Socrate* a été condamné à boire la ciguë par le parti démocratique de son temps et que le sage Sénèque* fut un stoïcien* (dont la morale chrétienne de Paul de Tarse s'inspire)! C'est précisément le soulagement de la douleur qui est à l'origine d'une demande d'euthanasie, alors que le stoïcisme prône la maîtrise de l'âme face aux souffrances du corps. L'aristocratie sous-jacente au geste euthanasique est sans doute une allusion, via Nietzsche*, à l'époque nazie de l'extermination. Or celle-ci n'a plus rien à voir avec le débat contemporain. Il faut pourtant concéder à Aumonier que le concept de «dignité» n'est peut-être pas le plus approprié pour spécifier l'art de bien mourir* . Nous préférons nous appuyer plutôt sur les concepts éthiques d'autonomie* et de liberté*, souvent décriés par la littérature des soins palliatifs* comme des qualités humaines inaccessibles aux mourants. En outre, les centres de prévention du suicide* mettent tout en oeuvre pour dissuader une personne de se suicider et se trouvent parmi les groupes qui s'opposent le plus formellement au suicide assisté*. Par contre, l'expression «autodélivrance», prônée par certains, n'a pas tenu la route. Il est préférable d'utiliser le terme le plus courant qui dit ce que la réalité veut dire sans trop d'interprétation subjective ou idéologique. (É. Volant)
Lors de son audition devant la mission Leonetti, le philosophe Nicolas Aumonier s'est opposé à toute évolution législative eu nom de la démocratie, en dénonçant le caractère «aristocratique, hiérarchisant et, au final, non-démocratique» du concept de dignité sur lequel se fonderait cette évolution. Nicolas Aumonier a également soutenu qu'être favorable à la libéralisation de l'euthanasie* répondrait à une conception «stoïcienne» de l'existence, ce qui a dû en surprendre plus d'un, la plupart des personnes concernées faisant vraisemblablement du stoïcisme comme M. Jourdain faisait de la prose...
[...]
Il faut toutefois noter que Nicolas Aumonier [...] est resté mesuré dans ses propos. Il n'a pas parlé de conception nazie... Mais il a cru cependant devoir ajouter ceci:
«Il me paraît qu'il y a une logique de maîtres qui essaient de changer la loi pour avoir la liberté de boire la ciguë s'ils le veulent. Or cette liberté existe. Personne ne peut empêcher personne de boire la ciguë: personne ne peut empêcher autrui de se suicider. Mais à partir du moment où cette conception devient prescriptive, c'est-à-dire voudrait obliger le corps médical ou un acteur de soins de me tuer si j'en fais la demande, elle paraît alors aristocratique, contraire aux droits de l'homme, c'est-à-dire contraire à une notion universelle de la dignité [...]. Notre société démocratique ne doit pas céder ici à la prescription réellement tyrannique d'une telle demande, qui essaie de contraindre l'autre à accepter la condamnation à mort qu'elle prononce.»
Prétendre que quiconque pourrait être contraint de pratiquer une euthanasie est une contre-vérité. Aucun membre du corps médical ne pourrait y être contraint. [...] Faire ensuite un amalgame entre le suicide en général et le suicide d'une personne en fin de vie n'est pas digne de ce brillant universitaire. C'est la raison pour laquelle il est important de prendre l'habitude de parler d'autodélivrance, de manière à bien distinguer les choses et à sortir de la confusion que certains, volontairement, entretiennent. Personne n'a bien entendu jamais revendiqué la reconnaissance du droit à «boire la ciguë» n'importe où, n'importe comment, n'importe quand, en compagnie de n'importe qui. Nous parlons d'individus en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, et non d'adolescents souffrant d'une peine de coeur.
Source: Gilles Antonowicz, Fin de vie, Paris, Bernard Pascuito Éditeur, Éditions de l'Archipel, 2007, p. 200-202.
[...]
Il faut toutefois noter que Nicolas Aumonier [...] est resté mesuré dans ses propos. Il n'a pas parlé de conception nazie... Mais il a cru cependant devoir ajouter ceci:
«Il me paraît qu'il y a une logique de maîtres qui essaient de changer la loi pour avoir la liberté de boire la ciguë s'ils le veulent. Or cette liberté existe. Personne ne peut empêcher personne de boire la ciguë: personne ne peut empêcher autrui de se suicider. Mais à partir du moment où cette conception devient prescriptive, c'est-à-dire voudrait obliger le corps médical ou un acteur de soins de me tuer si j'en fais la demande, elle paraît alors aristocratique, contraire aux droits de l'homme, c'est-à-dire contraire à une notion universelle de la dignité [...]. Notre société démocratique ne doit pas céder ici à la prescription réellement tyrannique d'une telle demande, qui essaie de contraindre l'autre à accepter la condamnation à mort qu'elle prononce.»
Prétendre que quiconque pourrait être contraint de pratiquer une euthanasie est une contre-vérité. Aucun membre du corps médical ne pourrait y être contraint. [...] Faire ensuite un amalgame entre le suicide en général et le suicide d'une personne en fin de vie n'est pas digne de ce brillant universitaire. C'est la raison pour laquelle il est important de prendre l'habitude de parler d'autodélivrance, de manière à bien distinguer les choses et à sortir de la confusion que certains, volontairement, entretiennent. Personne n'a bien entendu jamais revendiqué la reconnaissance du droit à «boire la ciguë» n'importe où, n'importe comment, n'importe quand, en compagnie de n'importe qui. Nous parlons d'individus en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, et non d'adolescents souffrant d'une peine de coeur.
Source: Gilles Antonowicz, Fin de vie, Paris, Bernard Pascuito Éditeur, Éditions de l'Archipel, 2007, p. 200-202.