L'Encyclopédie sur la mort


Aspects sociaux de l'émergence des droits de mourir

Jean-François Kervégan

Les deux auteurs commentent le lien que Anita Hocquard, dans son livre L’euthanasie volontaire, Paris, PUF, 1999, découvre entre finances publiques et désirs individuels de mourir, entre rationalité économique et raisonnabilité létale. Le retour du sentiment de la honte* s'associe à l'utilitarisme* pour fonder l'éthique des revendications sociales en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté*.
À propos de l’euthanasie, le tournant de la bioéthique institutionnelle et de la biopolitique dans les pays occidentaux s’est exprimé récemment d’une manière presque aussi spectaculaire que dans le cas du clonage thérapeutique et de l’expérimentation sur l’embryon (qu’il suffise de mentionner le bouleversement législatif aux Pays-Bas et la préfiguration d’un consentement institutionnel à l’« exception d’euthanasie » en France). Anita Hocquard [64] s’interroge avec acuité sur l’harmonisation d’éléments que rien ne rapproche a priori: «les finances publiques et les désirs privés (de mort) » p. 109. De l’analyse de la mort « économique » à celle de la « raisonnabilité létale » dans les sociétés technicistes, l’auteur avance des thèses novatrices à propos du bio-pouvoir, de l’individualisme et des formes postmodernes du refus du déshonneur social (la mort lente, le handicap). L’analyse du renversement des valeurs sociales par lequel la mort et le suicide (éventuellement délégué) deviennent beaux et bons est ici conduite dans la perspective de l’émergence politique des revendications létales. Le calcul économique individuel des plaisirs et des peines intervient dans cette évolution, mais l’auteur fait jouer le premier rôle aux aspects sociaux de l’émergence des droits de mourir. Le paradoxe n’est pas mince : émergeant dans le contexte postmoderne des sociétés occidentales, où la plupart des valeurs communes substantielles et des notions opératoires de bien commun ont perdu leur consistance, la revendication létale des citoyens emprunte aux logiques sociales d’antan des reliques vénérables tels que les codes d’honneur (ne pas perdre la face...), ou une moralité de type utilitariste (ne pas être un poids pour les autres...), alors même que nul ne s’aventurerait à tenter de leur donner un sens précis aujourd’hui.

Jean-François Kervégan et Emmanuel Picavet, «Bulletin de philosophie morale et politique», Paris, PUF Revue de métaphysique et de Morale, 2002/2 n° 34, p. 105-136.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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