L'intégration du Canada aux États-Unis

Jacques Dufresne
Comment les analyses du Washington Post sur la souveraineté canadienne, plus que jamais menacée, confirment celles du magazine L'Agora.
L'intégration du Canada aux États-Unis est à l'ordre du jour. L'un des hommes d'affaires les plus influents du Canada, Conrad Black, propritaire d'une grande chaîne de journaux, relançait le débat sur la question par un article paru dans le National Post et dans le Globe and Mail le 1er décembre 2000. Commentant les récentes élections canadiennes, il écrivait: "Ces élections perpétuent un régime moribond.[...]Les Canadiens-anglais ne sont guère différents des Américains; entre 50,000 et 100,000 d'entre eux émigrent aux États-Unis chaque année; certes ils sont remplacés par des émigrants, mais ces derniers n'ont pas le même niveau d'éducation.
Au cours des 40 dernières années, le Canada a tenté de se définir comme un pays plus amène que les États-Unis. Cela s'est d'abord traduit par un système de santé public universel pour ensuite déboucher sur un processus consistant à s'emparer de l'argent de ceux qui l'ont gagné pour le distribuer, en échange de leurs votes, plus ou moins explicitement, à ceux qui ne l'ont pas gagné.
Les conséquences étaient prévisibles: le dollar canadien valait 1.04 $ américain il y a quarante ans, il vaut aujourd'hui 0.64 $ américain. Nous étions la nation la plus riche du monde après les États-Unis, nous sommes maintenant au 18é rang.[...] Il n'y a pas de renversement de cette politique à l'horizon. En l'absence d'un tel renversement, un futur président américain populaire, un Roosevelt ou un Kennedy, offrira une solution à la Helmuth-Kohl: la parité entre le dollar canadien et le dollar américain, en échange de l'intégration du Canada aux États-Unis. Cela enrichirait considérablement les Canadiens et pour les Américains, ce serait une seconde naissance géopolitique."

Tout avait commencé dans le Washington Post en septembre 2000 par un article signé Steven Pearlstein et intitulé O!Canada, a Nation Swan song: les échanges économiques entre le Canada et les États-Unis, notait Pearlstein sont désormais plus importants que les échanges entres les régions du Canada, les Canadiens investissent de plus en plus dans les entreprises américaines, 80% des Canadiens parlent la même langue que les Américains, écoutent les mêmes émissions de télévision. À l'appui de son hyptohèse, Steven Pearlstein a cité d'éminents Canadiens qui s'étaient réunis au Royal York Hotel de Toronto.

Le National Post de Toronto a répliqué le lendemain sur un ton donnant à entendre que le nationalisme est en train de renaître dans ce Canada anglais dont on croyait qu'il s'en était à jamais éloigné. The 51st state& Neve!

Dans le numéro de juillet 2000 de notre magazine L'Agora, intitulé Fusions et confusion, nous avions soulevé la question de la souveraineté du Canada. Au rythme où vont les choses, disions-nous, le prochain référendum sur la souveraineté du Québec devra être précédé d'un référendum sur la souveraineté du Canada.

«En Europe, on a des raisons de craindre que l'intégration ne se fasse au profit du pays le plus puissant, l'Allemagne, même si la taille de ce dernier n'est pas démesurée par rapport à celle de la France, de l'Angleterre et de l'Italie. En Amérique du Nord cependant, la disproportion entre les États-Unis et leurs voisins immédiats, membres de l'Alena, le Mexique au Sud, le Canada au Nord, cette disproportion donc est telle qu'on voit mal comment le rapprochement pourrait se poursuivre, sans perte de souveraineté et d'identité, pour les deux petits partenaires.

Le Mexique est protégé par sa langue et par sa démographie, laquelle, combinée avec celle des autres pays latins d'Amérique, explique pourquoi 30 millions d'Américains sont aujourd'hui de langue espagnole.

Quant au Canada, non content d'être exposé à l'assimilation aux États-Unis, en raison de sa langue, de sa culture et de son histoire, il offre le spectacle, rare sinon unique dans l'histoire, d'une puissance moyenne qui court à sa perte, en en hâtant les préparatifs plutôt qu'en s'efforçant d'en éloigner l'échéance.» (Source et suite)

Dans le même numéro de L'Agora, Paul-Armand Lerouge évoque plus loin le premier numéro de la revue Isuma, dont le Canada s'est doté pour marquer son entrée dans le troisième millénaire. On pourrait considérer ce numéro, dont le thème est l'intégration nord-américaine, comme une demande officieuse d'intégration aux États-Unis de la part du Canada.
C'est aussi le Washington Post qui, à la fin de la décennie 1970, semblant pressentir l'ère de la fission qui suivra celle des fusions, avait lancé l'idée d'une Amérique du Nord divisée en neuf nations.

La position du Globe and Mail

Le lundi 11 septembre 2000, l'éditorial du Globe and Mail était consacré à la question de l'intégration du Canada aux États-Unis. Le Globe réagissait à la fois à l'article de Pearlstein dans le Washington Post et à la déclaration de l'ex-premier ministre canadien Brian Mulroney réclamant une union américaine analogue à l'union européenne. Monsieur Mulroney rêve du jour où les frontières entre le Canada et les États-Unis seront aussi ouvertes que les frontières entre les pays européens. L'article du Globe and Mail commence ainsi: «Réfléchissant sur la tendance anti-américaine dans le patriotisme canadien, Sir John A. Macdonald notait que "tout homme d'état américain convoite le Canada." Il n'avait pas envisagé la possibilité de la question inverse.» Dans la suite de l'article, on analyse, avec une étonnante objectivité les avantages et les inconvénients d'une plus grande intégration du Canada aux États-Unis.

La philosophie au service de l'empire

Chaque empire a ses philosophes. Des penseurs qui célébraient l'attachement à la cité grecque traditionnelle ne pouvaient plaire aux Romains; ces derniers préféraient ceux qui proposaient comme idéal le cosmopolitisme, l'équivalent de l'internationalisme d'aujourd'hui. De même les Américains, dans la mesure où ils sont impérialistes, n'aiment guère les penseurs attachés aux nations et aux cultures; ils préfèrent la philosophie libérale à la mode, centrée sur les droits individuels. Ils y trouvent une justification de leurs intérêts.
Voici un article intitulé Rights for people, not for cultures. Paru d'abord dans la revue Civilization, organe de la Library of Congress, puis dans le National Post de Toronto, cet article illustre bien la contribution des philosophes "officiels" au grand projet d'intrégration du Canada aux États-Unis.

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