Du gâtisme en politique
Quoique John A. Macdonald, un des pères fondateurs du Canada en 1867, eût aimé voir un enfant de la Couronne anglaise s’installer au pays, sa Majesté Victoria et ses successeurs ont à peine daigné y envoyer des vicomtes, comtes et marquis de passage. À défaut de vrai prince à domicile, le Dominion canadien s’est contenté de substituts. Économe en moyens, les Britanniques ont saupoudré le corps du souverain sur leurs colonies par un système de représentants qui singent les fastes de la cour et les prérogatives royales. C’est de la monarchie par procuration, obtenue sous franchise. Il n’y a qu’au Brésil où l’on a vu s’enraciner, en Amérique, une famille dynastique nationale, de 1822 à 1891. Les Canadiens, encore en 2005, impriment sur leur monnaie l’effigie de la Reine du Royaume-Uni sans se rendre compte qu’ils ne sont jamais parvenus à reproduire l’esprit véritable des monarchies constitutionnelles telles qu’elles existent en Europe.
À quoi donc peut alors servir la fonction de gouverneur général au Canada? Officiellement, elle comble l’absence du souverain dans le fonctionnement des institutions. En réalité, en particulier sous la gouverne du parti libéral fédéral, elle est devenue un outil de propagation des valeurs canadiennes et un adjudant de la diplomatie fédérale. Le gouverneur général ne représente plus tellement la Reine qu’un composé, savamment choisi, de qualités personnelles, culturelles et linguistiques que l’on met en vitrine pour vendre le Canada, tout d’abord aux Canadiens eux-mêmes, puis aux étrangers. Tel gouverneur est d’origine ukrainienne, tel autre d’origine acadienne ou chinoise. De plus, cette fonction sert à sanctifier indirectement le pouvoir de nomination exorbitant dévolu au premier ministre fédéral, lequel nomme les gouverneurs généraux, la moitié du parlement fédéral les sénateurs , beaucoup de juges et quantité de serviteurs de l’appareil fédéral. Au lieu de se pencher sur cette incongruité, le public et les médias, à chaque nomination de gouverneur général, s’émerveillent ou se désolent des origines et des opinions de ce dernier ou de la vie de l’époux. Que je sache, Tony Blair n’a pas élevé au trône Élizabeth II. Au fond, le Canada balance entre monarchie et république sans réussir ni l’une ni l’autre.
Il y a plusieurs façons de classifier les régimes politiques. Distinguons les « accordés » des « gâteux ». Les premiers se reconnaissent à ce qu’ils savent accorder leurs institutions à leurs principes et à leur temps. La monarchie parlementaire britannique et le régime présidentiel américain, en dépit de leurs imperfections, sont quand même de belles inventions bien ajustées. Les autres, par contre, n’arrivent plus à faire cet accord et « jouent » donc faux. Ils se maintiennent, comme au Canada, par les faiblesses de l’imagination et l’indolence des citoyens. Des souverainistes québécois, auxquels on peut supposer la volonté d’en finir avec ce mauvais conte de fées, ont été récemment nombreux à s’acharner sur les supposées palinodies de la nouvelle représentante du souverain nommée par le gouvernement Martin. On reproche à Michaëlle Jean, journaliste d’origine haïtienne issue du sérail de la télévision d’État, de même qu’à son mari, d’avoir renié d’anciennes sympathies pour la cause indépendantiste. Si ces protestataires étaient sérieux dans leur entreprise, leurs efforts ne tendraient qu’à une seule chose : instaurer la République du Québec, expliquer cette idée, la nourrir, la faire aimer.