Dans son roman largement autobiographique, Voyage en Avril (Plon, 2010), l'écrivaine française Nicole Avril nous offre des pages sublimes et déchirantes pleines de souvenirs, tristes et joyeux, de ses parents. Elle semble mue par le besoin de trouver et de connaître son père et sa mère. Tout en révélant sa vie, elle cherche à dire la vie et la fin de vie de ses parents. Elle commence d'ailleurs son oeuvre par le récit de la mort de son père. À la quatrième page de la couverture, nous lisons: «J'avais besoin de parler de toi, mon père, et j'ai commencé à parler d'elle, de ta mort. [...] J'écris pour te trouver. Et peut-être pour me trouver.» Ci-dessous, nous avons choisi un court extrait de ce livre où l'on découvre l'image du père à l'instant même, «à l'heure fatidique» de la mort: ses yeux fixés «sur le petit réveil blanc».
Ses yeux étaient fixés sur le réveil. J'avais l'impression qu'il ne me voyait plus ou qu'il ne voulait plus me voir ou qu'il ne voulait plus me voir le regarder. Depuis quelques mois, le regard des autres le gênait. Quand je lui demandais ces derniers temps s'il désirait la visite de sa soeur, de son neveu ou d'une quelconque personne de la famille: «Tu parles, c'est un beau spectacle à leur offrir!» me répondait-il. Il était désormais en chemin et je devais lui laisser faire sa route en solitaire. Ainsi ai-je reculé de quelques pas afin de m'effacer de son paysage. Je me suis assise sur son canapé, à la place exacte qu'il avait si souvent occupée. Là, il ne pouvait plus me voir. Et je suis restée sans bouger. Le temps m'a paru très long. Il dura à peine quelques minutes.
[...]
Quand je me suis penchée de nouveau au-dessus de lui, sa bouche était encore plus largement ouverte et ses yeux paraissaient plus bleus dans leurs cernes grenat. J'ai répété comme une litanie: Mon petit papa, mon petit papa, mon petit papa... Sans fin, je l'ai répété pour que mon petit papa m'entende à la fin. Son ventre se soulevait de plus en plus vite, de plus en plus fort. Sa respiration était tumultueuse et saccadée. je me tenais immobile au-dessus des barreaux de la ferraille. Mon petit papa, mon petit papa...
Et soudain il y eut une secousse plus forte. Elle lui souleva la poitrine mais ne fit pas ciller ses yeux toujours fixés sur le réveil. De toute évidence, les yeux de mon père, les premiers yeux que j'avais aimés et les premiers yeux que j'allais voir passer de vie à trépas, lisaient sur le petit réveil blanc, acheté à Monoprix, l'heure de sa mort.
[...] Ses yeux étaient toujours ouverts mais ils ne voyaient même plus l'heure fatidique, puisque cette heure-là faisait déjà partie du passé, de son passé. Mon père n'avait plus de présent. (op. cit., p. 21-22)
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Quand je me suis penchée de nouveau au-dessus de lui, sa bouche était encore plus largement ouverte et ses yeux paraissaient plus bleus dans leurs cernes grenat. J'ai répété comme une litanie: Mon petit papa, mon petit papa, mon petit papa... Sans fin, je l'ai répété pour que mon petit papa m'entende à la fin. Son ventre se soulevait de plus en plus vite, de plus en plus fort. Sa respiration était tumultueuse et saccadée. je me tenais immobile au-dessus des barreaux de la ferraille. Mon petit papa, mon petit papa...
Et soudain il y eut une secousse plus forte. Elle lui souleva la poitrine mais ne fit pas ciller ses yeux toujours fixés sur le réveil. De toute évidence, les yeux de mon père, les premiers yeux que j'avais aimés et les premiers yeux que j'allais voir passer de vie à trépas, lisaient sur le petit réveil blanc, acheté à Monoprix, l'heure de sa mort.
[...] Ses yeux étaient toujours ouverts mais ils ne voyaient même plus l'heure fatidique, puisque cette heure-là faisait déjà partie du passé, de son passé. Mon père n'avait plus de présent. (op. cit., p. 21-22)