La liberté du culte, une garantie fondamentale à moderniser

Marc Chevrier
Professeur de science politique au sein de l’université du Québec

Le débat sur la laïcité engagé depuis plusieurs années au Québec semble avoir oublié une loi ancienne, mais toujours en vigueur, qui protège la liberté de tous les cultes en vertu de la constitution du Québec. Alors que le gouvernement et une partie de la population semblent enclines à interdire les prières dans les espaces publics, il serait utile de considérer cette loi, dont l'ambition première consistait à assurer le bon ordre et la paix dans les lieux de culte, bien que plusieurs de ses dispositions semblent aujourd'hui désuètes. Une refonte de la Loi sur la liberté des cultes serait donc bienvenue, non pour supprimer la liberté du culte, mais pour la garantir et en préciser le cadre d'exercice.

Au cours des derniers mois, la pratique de prières musulmanes sur la place d’Armes devant la basilique Notre-Dame à Montréal a soulevé de nombreux débats et même des contre-manifestations. Devant la polémique et la grogne populaire ainsi suscitées, le gouvernement de la CAQ a promis de renforcer la législation actuelle sur la laïcité. Il semblerait même, selon un sondage réalisé par la firme Léger au début de septembre 2025, que c’est au Québec que la volonté d’interdire les prières dans les espaces publics est la plus affirmée au Canada[1].

Or, dans le débat que le Québec nourrit depuis quelques années sur la laïcité, on a perdu de vue un élément du casse-tête législatif. Depuis bien avant qu’il n’adopte la loi 21, le Québec possède une loi particulière qui garantit et encadre la liberté religieuse. Il s’agit de la Loi sur la liberté des cultes. Cette loi constitue un legs d’une loi ancienne, adoptée sous le régime de l’Union en 1852 pour séculariser les terres publiques réservées à l’Église anglicane en 1791 et proclamer ce faisant l’égalité des confessions religieuses. Ce legs a survécu à la création du Québec en 1867 et, après plusieurs refontes, devient la Loi sur la liberté des cultes en 1964. Cette dernière accomplit essentiellement deux choses : 1- Tout d’abord, garantir la liberté du culte pour toute profession religieuse, pourvu que l’exercice de cette liberté ne serve pas « d’excuse à la licence » et n’autorise pas des « pratiques incompatibles avec la paix et la sûreté au Québec ». Cette garantie revêt un caractère solennel, puisqu’elle prévaut en vertu de la « constitution » et des « lois du Québec ». 2- Ensuite, réglementer le « bon ordre dans les églises et leurs alentours », en prévoyant même des sanctions pénales pour certaines activités jugées perturbatrices du culte.

Au cours des années, cet encadrement législatif du bon ordre cultuel a cependant perdu de sa portée et de sa pertinence. Il reste encore quelques articles en vigueur, dont la lecture révèle leur caractère désuet. Ainsi l’article 2 de cette loi fait reposer sur les marguilliers de paroisse la responsabilité de veiller au bon ordre dans les églises et auprès d’elles, sous peine d’amendes allant de 2 à 8 $. De même quiconque sème le désordre dans une église « pendant le service divin, ou se conduit d’une manière indécente ou irrévérencieuse dans cette église ou près de cette église » s’expose à une amende de 1 à 8 $. Toute personne qui s’amuse trop près d’une église pendant le « service divin » et qui, malgré l’ordre qui lui est donné de se retirer, refuse de quitter les lieux, peut également commettre une infraction. Fait amusant, si quelqu’un assiste au « service divin » à l’église et doit circuler près d’elle, à cheval ou en voiture, à une vitesse supérieure au trot, il s’expose à une amende allant de 1 à 2 $. Bref, cette loi, qui dote les officiers de paix dans chaque « paroisse, seigneurie, canton ou localité » de pouvoirs équivalents à ceux d’un marguillier, décrit un monde reculé, qui n’a plus grand-chose à voir avec les réalités d’aujourd’hui.

Cathédrale d'Amos (Abitibi) Wikipedia commons

Il n’empêche que cette loi ne devrait pas être mise au rancart; elle formule un principe toujours fondamental en démocratie libérale : celui de la liberté religieuse (ou des cultes), à la condition que son exercice ne perturbe pas la paix et l’ordre public ; c’est là un principe observé dans nombre de sociétés, sous des formules diverses. Dans son jugement sur la loi 21, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur la Loi sur la liberté des cultes. Même si le principe que celle-ci énonce participe de la « constitution » du Québec, la Cour a estimé que cette loi n’avait pas de valeur supralégislative et donc qu’elle pouvait être modifiée par loi ordinaire.

La révision de la loi constituera une tâche délicate. Conçue pour assurer le bon ordre des offices religieux dans les paroisses catholiques, la loi devrait vraisemblablement encadrer l’exercice du culte pour toutes les confessions qui composent le paysage religieux québécois. Le législateur devra aussi trouver des notions plus précises et moins moralement chargées que la « licence » et « l’irrévérence » pour maintenir la paix et la sûreté et ainsi guider le travail des agents publics et des responsables du culte. Cependant, le législateur ferait erreur s’il ne s’avisait que d’accumuler les restrictions pour policer les manifestations publiques de croyances religieuses. La liberté religieuse, dans ses dimensions individuelle et associative, mérite aussi d’être garantie et donc d’être protégée par des sauvegardes opérables, telles qu’en contenait d’ailleurs la célèbre loi concernant la séparation des Églises et de l’État adoptée en 1905 en France. Contrairement à ce que plusieurs pensent dans ce pays comme au Québec, la laïcité n’implique pas la relégation de toute manifestation de croyance religieuse dans la sphère privée, que ce soit au domicile du croyant ou dans l’édifice du culte. Ramener la liberté religieuse à un simple droit à la dévotion cachée reviendrait quasiment à « révoquer » la liberté religieuse, et ferait glisser le Québec sur une pente qui le rapprocherait du règne de Louis XIV!

 

[1] Voir Opinion sur les prières dans les endroits publics, Léger, 8 septembre 2025, en ligne : https://leger360.com/fr/les-prieres-dans-les-endroits-publics . Selon cette enquête, 43% des Québécois interrogés voulaient interdire les prières organisées dans les espaces publics contre 50% d’entre eux qui voulaient les autoriser sans condition ou avec certaines conditions. Dans le reste du Canada, les proportions sont de 21% des interrogés favorables à l’interdiction contre 68% de ces derniers disposés à les admettre, avec ou sans restrictions.

Vient de paraître aux Éditions Médiaspaul

À lire également du même auteur

La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville
Déposé en mars 2025, le nouveau projet de loi 94 qui vise à renforcer l’application de la laïcité dans le réseau scolaire québécois reprend plusieurs des principes à la base de la Charte des valeurs proposé par Bernard Drainville en 2013 sous l'ancien gouvernement péquiste.

Le retour québécois de Charles de Koninck
L’un des grands secrets intellectuels du Québec réside en ce que peut-être l’un des plus grands philosophes que le Québec ait connu au XXe siècle, Charles de Koninck, soit aussi le plus mal étudié parmi les cercles censés s’intéresser au monde des idées.

Le racisme imaginaire
À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic (Liber, 2025) et de François Charbonneau, L’affaire Cannon (Boréal,

François, pape de l’Occident lointain
Un reportage de TV5Monde présentait également le pontife défunt comme « premier pape non occidental de l’ère moderne. »  Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu’il venait d’Amérique latine.

Du postlibéralisme aux États-Unis. La démocratie chrétienne de Patrick Deneen
Quoi que l’on pense des idées de Patrick Deneen, elles compteront vraisemblablement, pour les temps à venir, parmi la boite à outils des républicains américains.

La France et son parlement empêché
Là où en Europe, on voit un président élu côtoyer un premier ministre responsable devant la chambre nationale, comme en Finlande, au Portugal et en Autriche, on a dû se résoudre à limiter ou à abaisser la fonction présidentielle pour consolider l’autorité du premier ministre.

Quand Jean Drapeau nous parlait
Se plaçant sous le patronage de Lionel Groulx pour qui le Canada français appartenait à l’espèce tragique des peuples au bord du néant, Drapeau élabore dans un ouvrage publié en 1959 une pensée constitutionnelle, doublée d’un plan économique.




L'Agora - Textes récents