Poésie

Jacques Dufresne

« La poésie est le mode d'expression qui convient le mieux à la connaissance des choses essentielles: l'amour, la mort, Dieu, la joie, le malheur. Chez les Grecs et les Romains de l'antiquité, savoir et sentir étaient indissociables. Solon a même eu recours à la poésie pour écrire la constitution athénienne. Lucrèce savant et Lucrèce poète sont un même être. Mais depuis que l'homme a pris ses distances par rapport à la nature, pour la connaître objectivement et la transformer, le sentir a été séparé du savoir et rejeté dans une sphère d'où la vérité est exclue. La pensée a perdu le poids et la couleur des sentiments, les sentiments ont perdu la légèreté et la lumière de la pensée. La grande tradition subsiste cependant et, même au vingtième siècle, les meilleurs poètes, Apollinaire, Valéry, Aragon, Marie Noël ont su lier le savoir et le sentir. Simone Weil a pu écrire: "La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu'à l'âme." Le mot beauté ici enferme le mot vérité. La poésie conduit le savoir suprême jusqu'à l'âme. »

Présentation de L'anthologie de la poésie de L'Encyclopédie de L'Agora

Par cette anthologie de la poésie, qui est aussi une anthologie du savoir essentiel, nous rappelons que le destin des sentiments est de participer à la lumière et celui des idées de prendre les couleurs de la vie pour nous toucher.

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La poésie est la transposition dans le langage de l'union intime de l'âme et du corps. De même que le corps est le signe de l'âme et l'âme le sens du corps (Klages), de même le texte du poème est le signe, frémissant, de l'inspiration et cette dernière le sens, inépuisable, des mots.

  • Allez, troupeau jadis heureux, chèvres mes chèvres
    Vous ne me verrez plus, couché dans l'ombre verte,
    Au loin, à quelque roche épineuse accrochées.
    Vous ne m'entendrez plus, vous brouterez sans moi
    Les cytises en fleurs et les saules amers.

    VIRGILE, traduit par Paul Valéry
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  • « La poésie ne saurait éduquer que si elle exprime toutes les potentialités esthétiques et morales de l'homme. Mais le rapport entre l'élément moral et l'élément esthétique en poésie n'est pas simplement celui qui unit une forme essentielle à une matière plus ou moins accidentelle. Le contenu éducatif et la forme artistique d'une oeuvre d'art s'influencent mutuellement et, en réalité, jaillissent d'une source unique. »
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  • « Des trois éléments qui composaient la poésie moderne — le discours, le chant et la blessure — le premier fut banni, comme prosaïque, le second fut rompu, parce qu'il inclinait à la régularité, qui ne va pas sans contrainte. Reste le troisième — effusion d'une âme angoissée et meurtrie — qui, livré à lui-même, se mue irrésistiblement en une espèce de dissolution. C'est une poésie qui s'adresse à elle-même, répugnant à prendre le détour du langage. Pour finir, elle n'est plus que cris inarticulés, auxquels nous prêtons en vain l'oreille. Quelqu'un, quelque part, se plaint de quelque chose. Il n'y a plus d'autre genre poétique que l'élégie, et l'émotion qui l'inspire paraît incommunicable. Tout se passe à la dérobée, comme quand un renard étrangle une volaille derrière une haie. Ou comme quand un orage se déchaîne au-delà d'une colline, et qu'il n'en vient que de confus et pathétiques grondements. »

    ROBERT POULET, « Sur la poésie »

 

 

Essentiel

La poésie est impossible dans un contexte mécaniste où le corps est moins le signe de l'âme que l'instrument de la volonté et où l'univers dans son ensemble n'est qu'une gigantesque machine.

Enjeux

« La poésie ne saurait éduquer que si elle exprime toutes les potentialités esthétiques et morales de l'homme. Mais le rapport entre l'élément moral et l'élément esthétique en poésie n'est pas simplement celui qui unit une forme essentielle à une matière plus ou moins accidentelle. Le contenu éducatif et la forme artistique d'une oeuvre d'art s'influencent mutuellement et, en réalité, jaillissent d'une source unique. »


« Des trois éléments qui composaient la poésie moderne — le discours, le chant et la blessure — le premier fut banni, comme prosaïque, le second fut rompu, parce qu'il inclinait à la régularité, qui ne va pas sans contrainte. Reste le troisième — effusion d'une âme angoissée et meurtrie — qui, livré à lui-même, se mue irrésistiblement en une espèce de dissolution. C'est une poésie qui s'adresse à elle-même, répugnant à prendre le détour du langage. Pour finir, elle n'est plus que cris inarticulés, auxquels nous prêtons en vain l'oreille. Quelqu'un, quelque part, se plaint de quelque chose. Il n'y a plus d'autre genre poétique que l'élégie, et l'émotion qui l'inspire paraît incommunicable. Tout se passe à la dérobée, comme quand un renard étrangle une volaille derrière une haie. Ou comme quand un orage se déchaîne au-delà d'une colline, et qu'il n'en vient que de confus et pathétiques grondements. »

ROBERT POULET, « Sur la poésie »

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