Constitution québécoise
L’année 2007 marque le 25ème anniversaire du rapatriement de la constitution canadienne et de l’enchâssement de la Charte des droits et libertés dans ladite constitution. Elle marquera peut-être aussi le début des opérations conduisant à une constitution québécoise. Jamais en tout cas la conjoncture n’aura été aussi favorable à la réalisation de ce projet, parfaitement légitime.
La section définition du présent dossier porte sur la nature d'une constitution dans un État fédéré comme le Québec; la seconde partie, la section enjeux, porte sur la conjoncture favorable, le troisième partie, la section essentiel, est consacrée aux valeurs fondamentales qui donnent son sens à toute constitution.
La constitution québécoise
par Marc Chevrier, professeur au Département de Science politique de l'Université du Québec à Montréal.
Au contraire de la plupart des pays libres et des États fédérés dans le monde, le Québec ne possède pas de constitution écrite, c’est-à-dire de loi au statut supérieur qui regroupe, dans une forme claire, succincte et systématique, les droits et devoirs de ses citoyens, les principes et valeurs fondamentaux de la collectivité, ainsi que les règles principales de ses institutions politiques et administratives. Dans la tradition démocratique moderne de la constitution, celle-ci est généralement élaborée par le peuple ou ses représentants, puis ratifiée par référendum populaire. Le Québec, en tant qu’État fédéré, possède certes ce qu’on peut appeler une constitution « matérielle » composée des lois qui touchent à son organisation politique, de conventions constitutionnelles héritées de la tradition juridique britannique, ainsi que de coutumes et de décisions judiciaires. Mais cet ensemble composite, éparpillé et d’une lecture difficile n’existe que dans la tête de quelques avocats et professeurs de droit. Pour les simples citoyens, de longue date ou nouvellement arrivés, il n’existe aucun document repérable qui leur dise de manière pédagogique quels sont les principes de base qui tiennent ensemble leur communauté. La Charte des droits et libertés de la personne adoptée en 1975, bien qu’elle comporte de nombreux éléments qui devraient figurer dans une constitution, n’est pas en elle-même une constitution.
Origine
Les Québécois discutent de l’opportunité d’adopter une constitution écrite du Québec depuis les années 1960. En réalité, l’idée remonte à la création même de l’union fédérale canadienne en 1867. Dans un document substantiel publié en 1858, considéré comme la première réflexion sérieuse au Canada français sur le fédéralisme, Joseph-Charles Taché proposa que chaque État fédéré de la future union canadienne puisse traduire sa souveraineté publique par l’adoption d’une constitution écrite sanctionnée par un tribunal spécial. Il écrit : « Ainsi nous adopterions une constitution écrite, comportant pour la législature l’obligation d’y obéir sous peine de voir ses actes frappés de nullité par un tribunal créé ad hoc. » (Voir J.C. Taché, Des provinces de l’Amérique du Nord et d’une union fédérale, Québec, Brousseau, Frère, 1858, p. 187, disponible à la Bibliothèque nationale du Québec en PDF, http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/numtexte/59062.pdf )
Limites constitutionnelles
En tant qu’État fédéré, le Québec a le pouvoir constitutionnel de se donner une constitution écrite, qui régit l’exercice de ses compétences constitutionnelles et son organisation politique. C’est ce qu’on appelle autrement une constitution « interne », supérieure aux lois ordinaires de l’Assemblée nationale, mais subordonnée à la constitution canadienne. Le Québec ne peut donc, sous peine de nullité, adopter de loi constitutionnelle qui contrevienne à la constitution canadienne, laquelle prévaut sur l’ensemble des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement au pays. Cependant, si les Québécois le jugent nécessaire, ils peuvent donner à la constitution du Québec la priorité sur les principaux articles de la Charte canadienne des droits et libertés pendant une période de cinq ans, renouvelable, en faisant adopter par l’Assemblée nationale une clause dérogatoire. Ceci aurait pour effet de donner aux droits et libertés consacrés par la constitution du Québec la préséance sur les principaux éléments de la Charte canadienne. Le principe du multiculturalisme, enchâssé dans la Charte canadienne, cesserait pratiquement de s’appliquer au Québec. Une loi de l’Assemblée nationale ne pourrait donc être annulée pour violation des droits et libertés qu’en vertu de la constitution du Québec. De plus, par l’adoption d’une clause dérogatoire, il serait loisible au Québec de confier la sanction de sa constitution à un tribunal spécial relevant de l’Assemblée nationale, et non aux cours supérieures dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral canadien.
Par ailleurs, si les Québécois veulent modifier quoi ce soit à leur statut constitutionnel au sein du Canada par l’adoption d’une constitution interne, ils doivent alors envisager sérieusement une réforme de la constitution canadienne. Qu’il s’agisse de faire du Québec une république fédérée ou de revoir le partage des compétences législatives et fiscales, l’action à prendre consisterait alors à tenir un référendum préalable sur le projet de constitution québécoise. Si ce projet emporte l’adhésion clairement majoritaire des Québécois, le reste du Canada serait alors tenu de négocier de bonne foi avec le Québec un projet d’amendement de la constitution canadienne inspiré du projet de constitution du Québec. Bien sûr, si le projet de constitution du Québec ne change rien à la constitution canadienne, les Québécois peuvent l’adopter librement, sans demander d’autorisation à Ottawa ou aux autres États provinciaux.
Contenu
Il appartiendra à l’organe constituant désigné de définir le contenu de la constitution du Québec. La décision finale appartiendra de toute façon à l’Assemblée nationale du Québec. Cependant, si l’on se fie à ce que l’on trouve normalement dans les constitutions modernes, les éléments suivants pourraient figurer dans la constitution du Québec :
Un préambule. C’est une déclaration d’intention dans laquelle on énonce de manière solennelle certains principes chers à la collectivité et dans laquelle entrent parfois des éléments d’histoire nationale. Du point de vue juridique, un préambule n’a pas la même force obligatoire que le corps même du texte constitutionnel. On peut cependant y consacrer des principes généraux qui seront développés dans le texte ou renvoyer à d’autres documents, indiqués comme source d’inspiration collective.
Un titre préliminaire. Ce sont les premiers articles d’une constitution. C’est l’occasion d’affirmer des éléments de grammaire politique, le nom de l’État, ses symboles, sa devise, son hymne, ainsi que des caractéristiques générales de son organisation politique.
Une déclaration ou charte des droits, libertés et devoirs du citoyen. La plupart des constitutions modernes consacrent les droits et libertés de leurs citoyens et garantissent leur protection par le recours au juge, soit auprès d’un tribunal constitutionnel spécialisé, soit auprès des cours ordinaires de justice. Plusieurs constitutions indiquent également certains devoirs du citoyen. En fait, rien n’empêche les Québécois de vouloir assurer un équilibre entre droits et devoirs ou de considérer l’ajout de nouveaux droits (nouveaux droits sociaux et environnementaux). Ils peuvent aussi ajouter à cela une liste de grands principes, incorporée dans la constitution même, ou dans un autre document, auquel la constitution fait référence.
L’organisation politique et administrative. C’est là une des tâches fondamentales d’une constitution : indiquer les règles principales de ses institutions, soit les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et administratif. Il convient dans une constitution de ne retenir que les règles les plus fondamentales ; les règles d’un caractère trop technique ou changeant devraient être laissées à la loi ordinaire, facile à modifier. Par exemple, on préfère généralement laisser le choix du mode de scrutin à la loi. Cependant, la constitution peut indiquer les caractéristiques obligatoires du système électoral.
Une procédure d’amendement. Une constitution est une loi d’un caractère spécial, qu’on ne peut modifier facilement. Il faut donc prévoir une procédure, ni trop rigide, ni trop souple, qui associe la population à l’élaboration et à la ratification des propositions d’amendement de la constitution.
Processus constituant
D’un point de vue juridique, le pouvoir d’adopter une constitution du Québec appartient à l’Assemblée nationale. Elle peut, toutefois, déléguer à l’organe de son choix le soin de préparer un projet de constitution, dont l’adoption définitive revient à l’Assemblée. On doit distinguer deux étapes dans le processus constituant : 1- l’élaboration du projet ; 2- sa ratification.
Pour ce qui est de la première étape, plusieurs avenues sont possibles, dont celles-ci :
Une commission d’experts nommée par l’Assemblée nationale. C’est une procédure simple, à considérer si l’entreprise constituante consiste seulement à codifier les lois existantes du Québec.
Une commission parlementaire spéciale. Une commission parlementaire, composée de députés des partis reconnus à l’Assemblée nationale, prendrait la responsabilité de rédiger un avant-projet. On pourrait élargir la composition de cette commission à des membres de la société civile et à des députés fédéraux.
Une Assemblée nationale constituante. À la suite d’élections générales dont l’un des thèmes est l’adoption d’une constitution du Québec, l’Assemblée nationale se déclare constituante et élabore son projet.
Une convention élue. Il s’agit alors d’élire des représentants spécialement désignés pour la rédaction d’un projet, réunis dans une convention distincte de l’Assemblée nationale. Le mandat de la convention cesserait sitôt son projet remis.
Quant à la ratification, elle devrait se faire par voie référendaire, conformément à la Loi sur les consultations populaires. Une fois le projet de constitution approuvé par la population, l’Assemblée nationale l’adopte.
À court terme, pour faire avancer le débat, l’Assemblée nationale devrait former un comité parlementaire spécial chargé d’étudier la question et de faire recommandations sur le processus constituant et les grandes lignes d’une constitution du Québec. À la suite de cet exercice de consultation publique, l’Assemblée nationale pourrait envisager l’adoption d’une loi sur le processus constituant au Québec.