L'objet de l'ouvrage, généreusement illustré de photos, du géographe Paul Ardenne Terre habitée. Humain et urbain à l'ère de la mondialisation suivi de De l'attraction urbaine (Paris, Archibooks, 2011) est le suivant : « évaluer l'impact de la mondialisation sur la ville; définir sa mesure, ce qui en est la première conséquence, la requalification planétaire urbaine contemporaine » (p. 8). L'un des chapitres de ce livre s'intitule « Le World Trade Center, version deux ou Comment les vivants n'enterrent pas les morts » (p. 176-181). Reconstruire le WTC n'est pas seulement un exploit architectural ou économique, mais c'est aussi « un tour de force symbolique ». « Lieu de la vie retrouvée » et de la capacité de rebondissement de la population new black tourismeyorkaise, cet édifice nouveau est aussi un lieu de mémoire des 2 700 personnes foudroyées par une mort sans pitié. Nous nous permettons de reproduire ici deux extraits de cet article qui est une réflexion humaniste, respectueuse et critique, sur le projet de la reconstruction.
En 2009, passé le temps des tergiversations et des conflits d'intérêt, le World Trade Center version deux a commencé à sortir de terre sur le site new yorkais de Ground Zero. En dépit de la crise financière puis économique de 2009-2010. la livraison des nouveaux bâtiments est maintenue à l'horizon initial, soit 2011-2012. Une fois construit, le site comptera sept tours de plus de 200 mètres de hauteur, la plus haute, la Freedom Tower, culminant à 530 mètres, en plus d'un mémorial, d'un musée, d'une salle de spectacles et d'une station ferroviaire et de métro sur-dimensionnée. Haut lieu du commerce et des affaires internationales, le nouveau WTC est appelé aussi à devenir pour l'Amérique postbushienne un lieu de culte, à l'instar du mémorial de Washington pour le Viêt-nam, en hommage aux victimes de l'attentat du 11 septembre 2001. Avec ce risque, inhérent à son organisation polyfonctiontionnelle : le mélange des genres, entre affairisme débridé, hommage rendu aux disparus et black tourism.
[L'expression « black tourism » (tourisme macabre) désigne le tourisme consacré aux périmètres où ont eu lieu meurtres, génocides ou catastrophes : les camps de la mort nazis; Lockerbie, où s'est écrasé, suite à un attentat, un avion de ligne américain; la Nouvelle Orléans après le passage de l'ouragan Katrina... Une fréquentation de nature ambivalente, honorable mais à l'occasion plus douteuse, connotant tout à la fois hommage aux victimes, devoir de mémoire, morbidité et divertissement.]
[...]
Le problème du nouveau WTC - car il y en a, au moins aussi phénoménal que le nouvel ensemble architectural en train de sortir de terre, un chantier de l'ampleur de celui du Rockfeller Center dans les années de 1930 - réside en l'occurrence dans la confusion des genres. Quel est le point litigieux? Rien d'autre - mais ce n'est pas rien... - que la coexistence inévitablement problématique, en ce haut lieu bientôt retrouvé de la finance et des transactions commerciales, entre deux régimes vitalistes, celui de l'action (vivre c'est agir), concrétisé par le revival économique du site, et celui de la mémoire (vivre c'est se souvenir), qui commande pour être pleinement opératoire la méditation, l'arrêt du temps, la suspension du cycle de la vie matérielle. Car on ne vit pas que dans l'action. On vit aussi de savoir pourquoi et après qui l'on vit, inscrits que nous sommes dans un présent peut-être perpétuel en termes physiques mais incarné cependant au registre de l'origine, des racines, du devenir, de l'inscription destinale. Imaginez les descendants des Indiens du Nevada, attachés à leurs traditions ancestrales, aller célébrer leurs aïeux dans un mémorial situé à Las Vegas, à l'épicentre du Paris, du Louxor et du Caesar Palace, trois des plus célèbres casinos de la capitale mondiale du jeu. Possible? Pas possible? Sérénité permise, pas permise?
[L'expression « black tourism » (tourisme macabre) désigne le tourisme consacré aux périmètres où ont eu lieu meurtres, génocides ou catastrophes : les camps de la mort nazis; Lockerbie, où s'est écrasé, suite à un attentat, un avion de ligne américain; la Nouvelle Orléans après le passage de l'ouragan Katrina... Une fréquentation de nature ambivalente, honorable mais à l'occasion plus douteuse, connotant tout à la fois hommage aux victimes, devoir de mémoire, morbidité et divertissement.]
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Le problème du nouveau WTC - car il y en a, au moins aussi phénoménal que le nouvel ensemble architectural en train de sortir de terre, un chantier de l'ampleur de celui du Rockfeller Center dans les années de 1930 - réside en l'occurrence dans la confusion des genres. Quel est le point litigieux? Rien d'autre - mais ce n'est pas rien... - que la coexistence inévitablement problématique, en ce haut lieu bientôt retrouvé de la finance et des transactions commerciales, entre deux régimes vitalistes, celui de l'action (vivre c'est agir), concrétisé par le revival économique du site, et celui de la mémoire (vivre c'est se souvenir), qui commande pour être pleinement opératoire la méditation, l'arrêt du temps, la suspension du cycle de la vie matérielle. Car on ne vit pas que dans l'action. On vit aussi de savoir pourquoi et après qui l'on vit, inscrits que nous sommes dans un présent peut-être perpétuel en termes physiques mais incarné cependant au registre de l'origine, des racines, du devenir, de l'inscription destinale. Imaginez les descendants des Indiens du Nevada, attachés à leurs traditions ancestrales, aller célébrer leurs aïeux dans un mémorial situé à Las Vegas, à l'épicentre du Paris, du Louxor et du Caesar Palace, trois des plus célèbres casinos de la capitale mondiale du jeu. Possible? Pas possible? Sérénité permise, pas permise?