De Jean Paul , La lanterne magique, florilège de pensées
Jean Paul, nom de plume de Jean-Paul Richter (1764-1825) . Traduction et choix des pensées par Charles Le Blanc. Affinités entre l'auteur et le traducteur.
Jean Paul
La lanterne magique
Florilège de pensée
Préface, traduction et choix des pensées par Charles Le Blanc
Éditions Corti 2022
Jean Paul est un écrivain allemand original, trop peut-être et méconnu pour cette raison, en dépit du succès de ses romans. Vivant du livre, par le livre et pour le livre, il osera écrire que la nature doit suivre le livre et non l’inverse, sans qu’on ait à lui reprocher de s’être réduit à la culture livresque. « L’affûtage des plumes ne m’a a encore émoussé.» « Quelle retenue doit avoir le poète, lui qui dirige le fleuve de son cœur dans le lit fortuit d’une rime.»
Dans sa préface, Charles Le Blanc le situe bien par rapport à ses illustres contemporains, Goethe, Schiller, Herder. Satire est le premier mot qui vient à l’esprit à la lecture de ses pensées. Qu’est-ce qui le distingue de Lichtenberg ? Dans quelle mesure a-t-il été marqué par ses précurseurs français dans le même genre littéraire, Chamfort et Rivarol? Chercher réponse à cette question est l’un des subtils plaisirs que l’on a à picorer dans ce livre. Pour en juger ;
« Il ne peut s’abstenir que de l’abstinence.»
«Les jeux de hasard sont interdits, hormis le plus long d’entre eux : la vie.»
«Oreille pour qui la dernière trompette a été la première musique.»
«La poésie dépeint le meilleur des mondes, celui qui était en Dieu avant la Création.»
***
Charles Le Blanc
Le préfacier et traducteur de ce livre, Charles Le Blanc, n’est-il pas lui aussi un écrivain méconnu ? Docteur en philosophie, très tôt et très bien initié aux humanités anciennes, polyglotte; depuis Florence en italie, sa seconde patrie, il traduira de l’allemand Lichtenberg, Schlegel, Tieck, du danois Crainte et tremblement de Kierkegaard, de l’anglais, le Faust de Marlowe. On lui doit aussi une anthologie du romantisme allemand; depuis son entrée à l’université d’Ottawa, de brillants essais sur la traduction et deux romans que l’on relit avec la certitude accrue que la littérature québécoise atteint ici un sommet où la plus fine érudition fait bon ménage avec les faits divers significatifs. Érudition! Peut-être est-ce là l’erreur de Charles Le Blanc par rapport à l’esprit local du temps, une erreur qu’il partage avec un autre grand linguiste, Jean Marcel, auteur du roman historique Hypatie ou a fin des dieux. L’érudition et la convocation d’un large et profond passé offense le narcissisme ambiant.
Je suis persuadé que l’on pourrait tirer des carnets inédits et des écrits publiés de Charles Le Blanc un florilège de pensées dont on conserverait le souvenir là où la mémoire est toujours à l’honneur. Pourraient y figurer :
Extrait de L’Autre, roman:
« Lesterait-on nos vies de la charge de leurs malheurs que, plus légères, elles seraient emportées par la moindre bourrasque, et deviendraient ainsi superficielles, de sorte que ce sont ces malheurs qui nous ancrent à la terre, qui nous permettent de diriger nos pas, de faire en sorte que nos vies soient davantage qu'une plume affolée par le souffle de nos caprices, sans cap ni boussole. Les plaisirs sont communs à tous : le boire, le manger, l'amour. Seuls les malheurs individualisent et font de nous la personne unique que nous sommes. Tout homme est son fardeau. »
Source : http://agora.qc.ca/documents/lumiere_grecque_sur_les_rapports_hommesfemmes_et_le_malheur
Extrait de Catin Basile, nouvelles
« Le médecin ne pensait pas que l’homme était maître de la nature, ou bien qu’il avait sur elle une quelconque ascendance. Il croyait plutôt que l’homme n’était que la nature consciente d’elle-même, un regard intelligent qu’elle pouvait enfin porter sur soi, une voix cherchant à en chanter toute l’harmonie. D’après le médecin la nature n’avait pas voulu produire l’homme, elle avait seulement souhaité que vienne au jour la poésie.»
«Mais une vie vaut l'autre dans l'immensité du temps. Tout s'écoule dans l'infini. Où est la Providence? On m'a prêché le Bien mais j'ai vu le mal. On m'a peint un Dieu de miséricorde, mais j'ai vu cette enfant pleurer et ses larmes, tombant goutteà goutte, ont érodé les Tables de la Loi.»(p. 167)
Cette question que se pose un des personnages à la fin de sa vie, alors que remonte dans son souvenir le sort de la pauvre catin, c'est l'éternelle question que se pose tout humain qui pense, devant le silence de Dieu. L'âme serait-elle la réponse?
«Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme. (...) Qui veut bien faire doit trouver en soi les motifs du bien. Le monde ne lui donne jamais que les circonstances pour l'action.» (p. 159).
Source : http://agora.qc.ca/documents/catin_basile