Essentiel
«Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.»
Pascal
«L'homme est un arbre qui a ses racines dans le ciel.»
Novalis
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«Tout ce que je sais du ciel me vient de l'étonnement que j'éprouve devant la bonté
inexplicable de telle ou telle personne, à la lumière d'une parole ou d'un gete si purs qu'il m'est soudain
évident que rien du monde ne peut en être la source.»
Christian Bobin, Ressusciter, coll. Folio, Gallimard, 2001, p.31 |
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Attention au ciel
Jean-Pierre Dessertine, professeur au Lycée Saint-Exupéry de Marseille, partage sur son site des réflexions fort justes sur la disparition du sens métaphysique du mot "ciel". Il était pour les Grecs source de contemplation, lieu où les mathématiques régnaient sur un ballet céleste; il était pour le chrétien méritant le terme d'un long voyage; pour Kant, il était le pendant externe de la loi morale en nous. Il n'est pour nous, aujourd'hui, que l'objet d'inquiétudes météorologiques. La question se pose de savoir, non pas si nous pouvons, mais «si nous devons vivre sans ciel»:
- L'individu humain est l'être qui contemple le ciel.
Nous pouvons vivre sans ciel, et d'un certain point de vue, nous pouvons vivre mieux. Mais exactement comme Hannah Arendt dit que nous pouvons vivre sans pensée. Car nous perdons alors la lucidité sur une dimension essentielle de notre humanité.
Voir JEAN-PIERRE DESSERTINE, L'anti-somnanbulique
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Une mythologie céleste remplie de trous noirs
«[...] Que s'est-il passé dans notre ciel étoilé contemporain, sinon l'apparition d'étoiles ayant flambé à tel point qu'elles sont devenues leur propre contraire en ne produisant plus de rayonnement mais en devenant plutôt prédatrices de rayonnement: des anti-étoiles qui empêchent toute lumière. Notre ciel scientifique est rempli de trous noirs, notre mythologie céleste a suivi la même pente.»
Voir CLAUDE GAGNON, "Penser le ciel", L'Agora, vol 6 no 3, 1999.
Enjeux
Les Journées nationales de la nuit noire
«Chaque année, l'ANPCN organise en France des Journées de la nuit noire. Il ne s'agit pas d'un sombre canular. En effet, l'Association nationale pour la protection du ciel nocturne tient en région des rencontres entre amateurs d'astronomie et d'observation, qui se terminent à la nuit tombée par l'observation de la voûte céleste. Les Journées ont pour objectif de sensibiliser le public à la pollution lumineuse qui envahit chaque année davantage le ciel au-dessus de nos têtes. Dans un article paru dans la revue Discover, l'auteur, Eric Scigliano, rappelle que par une nuit claire, loin des ciels pollués par l'éclairage, on devrait pouvoir distinguer environ 2500 objets célestes à l'oeil nu. Dans une banlieue de New York, ce chiffre dégringole à 250, et en plein coeur de Manhattan, on peut s'estimer heureux d'en voir une quinzaine.
Le premier système d'éclairage public à l'électricité est apparu en 1880, à Wabash, une petit village de 320 habitants dans l'Indiana. Un témoin raconte qu'à la vue de «cette lumière étrange, surnaturelle, presque aussi puissante que celle du soleil, les hommes tombèrent à genoux. Nous contemplions cette nouvelle merveille de la science comme la foudre descendue du ciel.»
Cent-vingt-cinq ans plus tard, les États-Unis consomment annuellement 2 200 milliards de kilowatts/heure dont le coût se chiffre à 170 milliards$ US. Un astronome italien, Pierantonio Cinzano, vient de publier le premier atlas mondial de la clarté du ciel nocturne. Sur la carte de l'Amérique du Nord, le nord du Canada est d'un noir quasi parfait alors que tout l'est des États-Unis, de New York à Minneapolis, n'est vaste constellation de lumières scintillantes où se distinguent à peine deux ou trois zones d'obscurité.
On commence à peine à s'intéresser à l'effet de la pollution lumineuse, mais de plus en plus d'études démontrent qu'une exposition excessive à la clarté artificielle nocturne entraîne des bouleversements fondamentaux dans le monde animal. Les animaux disposent de systèmes sensoriels conçus pour naviguer à la faible lueur des étoiles. Michael Mesuren, de la Fatal Light Awareness Program, estime que chaque année, en Amérique du Nord, plus de 100 millions d'oiseaux viennent s'écraser contre des bâtiments éclairés. Les lumières urbaines affectent les itinéraires migratoires de certaines espèces de papillons. Le zooplancton, qui la nuit remonte à la surface des lacs pour se nourrir d'algues et redescend au lever du jour pour échapper aux prédateurs, tend à rester en profondeur dans les zones à proximité des grandes villes. Le zooplancton dépérit alors que les algues flottantes prolifèrent, ce qui entraîne un étouffement du reste de la flore aquatique. La pollution lumineuse dérègle également les habitudes de reproduction des créatures lacustres, car elle simule le rayonnement de la lumière lunaire qui règle les périodes de reproduction.
Les membres de l'ANPCN reconnaissent que leur association à du chemin à faire avant de sensibiliser la population et les élus locaux à la pollution lumineuse nocturne. Mais il faut prendre garde que la situation ne se dégrade. Depuis qu'à l'occasion du passage à l'an 2000, la ville de Paris a décidé d'éclairer la Tour Eiffel à l'aide d'un phare de grande puissance visible à l'oeil nu jusque dans les forêts de Fontainebleau à 50 km de Paris, et que les pilotes de ligne affirment voir jusqu'à 400 km – l'installation ne devait être que provisoire mais le maire de Paris en a décidé autrement pour plaire aux Parisiens – , les projets du genre essaiment en France. Dans le cas du Mont St-Michel, seul 1% de l'éclairage sert effectivement à illuminer la cité. Le reste ne fait que contribuer à une inutile pollution du ciel noturne. Les experts du ministère de l'Énergie américain, estiment qu'il serait possible de réduire de moitié la consommation d'énergie et surtout, de diminuer d'autant la quantité de pollution lumineuse nocturne.»
BERNARD LEBLEU, "Les journées nationales de la nuit noire", L'Agora, vol 10 no 2, automne 2003.