Le nationalisme québécois
Il en est du nationalisme québécois comme du fromage français. On dit qu'en France, il y a autant de fromages que de Français...
On dit que tous les Québécois de souche française sont nationalistes. C'est peut-être vrai, mais il est tout aussi vrai qu'il y a au Québec presque autant de sortes de nationalismes qu'il y a de Québécois francophones. L'étonnante unanimité du 24 juin 1990 s'explique peut-être par le fait qu'il s'agissait d'une réaction spontanée qui n'avait pas laissé le temps aux divergences d'apparaître. Il m'arrive de penser que ce peuple, encore accusé de tribalisme, est le plus individualiste de la planète.
Voici, sur un mode fantaisiste, quelques-uns des cinq millions de nationalismes qui existent au Québec. Nous pouvons appartenir à plusieurs à la fois, mais il y a une dominante en chacun de nous. C'est la façon dont les autres nationalismes se composent entre eux et avec la dominante qui fait le caractère unique et irréductible du nationalisme de chacun.
C'est à la lecture de six ouvrages nationalistes récents: Québec demain, Jean Allaire (Virage) - À armes égales, Guy Bouthillier (Septentrion) - Pour un Québec qui se cherche, Placide Gaboury et Gérald Lefebvre (Libre Expression, à paraître) - Gilles Proulx, le tirailleur tiraillé, Claude Jasmin et Christian Gingras (Stanké) - La traversée des illusions, Mario Pelletier, (FIDES) - À la recherche d'une doctrine politique, Pierre Trépanier (Ralliement provincial des parents du Québec).
Le nationalisme écologique
Vie et variété ne font qu'un. Dans les pays riches, souvent anglo-saxons, on est prêt à dépenser des milliards pour sauver quelques espèces d'insectes en Amazonie. Les cultures particulières sont donc sans prix, aux yeux des Anglo-saxons en particulier. L'initiative de protéger la culture française en Amérique devrait donc, logiquement être prise par ces derniers. Les adeptes de cette sorte de nationalisme sont sans doute plus nombreux qu'on le pense au Québec. Les écologistes sont aussi partisans d'une décentralisation, ne serait-ce que pour réduire la pollution par le transport en situant les sources d'approvisionnement aussi près que possible des populations. Ils sont souvent adeptes d'une spiritualité dite holistique. Placide Gaboury et Gérald Lefebvre appartiennent à cette famille d'esprit.
Ils ne veulent pas d'un divorce entre le Québec et le Canada. L'avenir, disent-ils, est au trait-d' union. S'ils estiment le statu quo inacceptable, ils ne souhaitent pas avoir à choisir entre le noir et le blanc lors d'un prochain référendum, non par lâcheté, mais parce que les positions trop bien tranchées ne leur paraissent pas compatibles avec la réalité actuelle. Ces rêveurs réalistes estiment qu'il faut d'abord se soucier du déficit.
Le nationalisme catholique traditionel
Il est très proche du nationalisme réactionnaire. La distinction s'impose dans la mesure où le nationalisme réactionnaire peut, à cause de ses liens avec l'action française, encourir le reproche de considérer le catholicisme plus comme une institution civilisatrice que comme une véritable religion.
Il y a peut-être plus d'intolérance entre les tendances nationalistes divergentes qu'entre les nationalistes bon teints et les plus ardents défenseurs du multiculturalisme et de l'internationalisme. Le professeur Pierre Trépanier, historien, a été victime de cette intolérance entre tendances voisines. Il a écrit son petit livre en partie pour se réhabiliter.
De l'intolérance entre tendances nationalistes
"La Presse ayant largement fait écho à ma révocation en tant que directeur de la Revue d'histoire de l'Amérique française, je me crois autorisé à réclamer un droit de réplique. D'autant qu'on s'en est pris aux idées que j'ai exprimées dans la livraison d'avril 1992 des Cahiers de Jeune Nation (C.P. 1501, succ. St-Martin, Laval H7V 3P7) et dont le conseil d'administration de l'Institut d'histoire a voulu se dissocier en me signifiant mon congé. Conformément aux réflexes conditionnés qui ont cours, on s'est appesanti sur l'immigration, sujet pourtant secondaire dans ce petit essai. Je commencerai donc par là.
En adoptant la loi 101, la nation a décidé que le Québec serait une terre française et, pour y parvenir, elle est allée jusqu'à user de contrainte. Je maintiens que par leur politique d'immigration et la politique de multiculturalisme, les gouvernements canadien et québécois sapent cette oeuvre de salut national, de même qu'ils ont détruit le seul projet qui aurait pu préserver l'unité canadienne: la thèse des deux nations. J'ai appelé uniculturalisme le contraire du multiculturalisme. Si on peut être bilingue, on ne peut être biculturel au sens strict. L'originalité de l'expérience canadienne aurait pu résider dans le partenariat de deux uniculturalismes. C'était le rêve d'Henri Bourassa et d'André Laurendeau. Avec beaucoup d'autres, comme le recteur de l'université du Québec à Montréal, je condamne une politique qui est un leurre et un obstacle à l'intégration. Je ne suis pas en faveur d'une baisse de l'immigration, bien au contraire. Je souhaite voir doubler, tripler l'immigration francophone, surtout européenne, la plus proche de nous culturellement. Car, si elle veut survivre, la nation française du Québec doit assimiler une proportion croissante des nouveaux arrivants. Tout se jouera à Montréal. Si nous perdons la bataille de Montréal, notre destin sera un déclin, au bout duquel nous attendra une folklorisation irréversible. Si cela vous semble du racisme, je vous plains. Ma conscience me dit que vous êtes dans l'erreur."
Le nationalisme historique
Quand on connaît un peu l'histoire du Québec, on résiste souvent mal à la tentation de penser qu'elle ne peut trouver la plénitude de son sens que dans la souveraineté. Pourquoi tous ces efforts pour peupler et occuper ce pays, pour conserver une langue et une religion, si, près de la ligne d'arrivée, il faut tout sacrifier à un multiculturalisme abstrait.
C'est un courant important auquel on peut rattacher, par exemple, Fernand Dumont, Denis Vaugeois, Gary Caldwell peut-être dans une certaine mesure. C'est de ce courant que Jean Allaire est sans doute le plus proche. (...)
Le nationalisme catholique social
Monsieur Aktouf, musulman d'origine tunisienne, est professeur à l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal, berceau du nationalisme d'affaires. Il écrit dans les revues savantes internationales des articles où il montre que le Québec possède dans son génôme la formule qui devrait lui permettre de mieux se tirer d'affaires que ses voisins anglo-saxons et protestants dans sa lutte contre les aspects inhumains de la mondialisation. Cette formule, c'est la doctrine sociale de l'Église. Monsieur Aktouf réhabilite ainsi un courant nationaliste, celui auquel appartenait le fondateur de La Laurentienne et celui de Desjardins. Ce courant est peut-être encore beaucoup plus vivant qu'on ne le croit.
Jacques Grandmaison, Claude Béland, accepteraient sans doute, à certaines conditions, qu'on les rattache à cette catégorie.
Le nationalisme décolonisateur
C'est la variante modérée du nationalisme révolutionnaire. Le but de ses tenants est d'effacer toute trace de colonialisme dans la vie publique québécoise. Le choix d'une politique énergétique nationale centrée sur l'hydro-électricité, de préférence à une politique pancanadienne établie à Toronto et centrée sur le nucléaire, la prise de contrôle de Domtar, qui désormais réservera ses subventions aux universités francophones plutôt qu'aux universités anglophones, voilà le type même d'événements qui sont chers aux partisans de la décolonisation. Leur mouvement a pris force au début de la décennie 1960.
Proche du nationalisme historique, dont il se distingue par un progressisme plus accentué, ce courant, auquel on peut rattacher René Lévesque, est sans doute le plus important. Pourraient s'en réclamer Bernard Landry, Lise Bissonnette, Lise Payette...
Le nationalisme d'indignation
Les Québécois francophones qui étaient admis dans l'élite anglaise, devant le mépris dans lequel on tenait souvent leurs homologues, avaient le choix entre deux attitudes: une indignation qui faisait d'eux des nationalistes ardents ou un acquiescement, qui réglait le problème de leur identité en supprimant cette dernière. Du perchoir auquel cet acquiescement leur donnait accès, ces esprits très ouverts pouvaient à leur tour pratiquer à l'endroit de leur ex-congénères, une condescendance assaisonnée de mépris. Ottawa a été longtemps un perchoir de ce genre.
Guy Bouthillier, président du Mouvement Québec français, grand défenseur de la langue de Molière, est le représentant typique de cette catégorie. Ses parents, appartenant à l'élite francophone de Montréal, décidèrent de l'envoyer terminer ses études classiques dans un collège jésuite anglais.
Le nationalisme bagarreur
Cette variante populiste du nationalisme d'indignation est parfaitement illustrée dans une scène où le jeune Gilles Proulx n'accepte pas de se laisser traiter de biscuit Viau par un petit Anglais de Verdun. Devenu vedette de la radio, Gilles Proulx, demeure le parfait représentant de ce nationalisme. Il s'emporte quotidiennement contre ses compatriotes, comme s'il leur en voulait de trahir, par leur médiocrité et leur lâcheté, les raisons des bagarres de sa jeunesse..
Le nationalisme révolutionnaire
C'est celui des Nègres blancs d'Amérique, de la revue Parti pris à ses débuts, d'octobre 1970. L'ancêtre, c'est Pierre Trudeau poussant les travailleurs de l'amiante à la révolte. Le marxisme a évidemment imprégné ce nationalisme. Il y a là un paradoxe, car le marxisme, tel qu'il s'est imposé en URSS en particulier, était résolument internationaliste. C'est sans doute à la lumière de ce fait qu'il faut interpréter le manifeste préparé pour la télévision par le FLQ en 1970. Ce manifeste accordait plus d'importance à la lutte des classes, dans une perspective internationaliste, qu'au nationalisme historique.
Le nationalisme d'affaires
C'est celui de l'école nationaliste de Montréal, des H.E.C. plus précisément. Esdras Minville en a été le père au début du siècle. Dans quelle mesure Jacques Parizeau appartient-il toujours à cette tradition? On trouve un élément de réponse à cette question dans le livre de Mario Pelletier, qui est lui-même un nationaliste sceptique.
Le nationalisme scientifique
Il comporte une part d'indignation. Il est le fait de ceux qui ne pouvaient pas tolérer qu'on traite leur peuple d'attardé et qui, constatant que l'accusation n'était pas dénuée de tout fondement, se sont mis à labourer le sol québécois pour y faire pousser des Pascal et des Descartes. Marie-Victorin est le plus illustre représentant de cette sorte de nationalistes, dont l'Acfas a toujours été la principale tribune. On peut sans doute ranger le mathématicien Maurice Labbé, entre autres, dans cette catégorie.
Le nationalisme culturel
Cette sorte de nationalisme, chère à Robert Bourassa, repose sur l'hypothèse que l'on peut séparer le contenu culturel des contenants et des pouvoirs qui les contrôlent. On en comprendra la nature précise en lisant, dans ce numéro, l'article de Yves Leclerc sur le récent Forum sur l'autoroute de l'information.
Le nationalisme ethnique
On ose à peine parler de ceux qui s'en réclament, sauf quand ils sont Amérindiens et d'une manière générale quand l'ethnie en cause est une minorité. A partir du moment où la minorité devient une majorité, comme ce serait le cas des francophones de souche dans un Québec souverain, le nationalisme ethnique devient du tribalisme dans le sens le plus péjoratif du terme. Tant qu'ils étaient perçus comme une minorité menacée plutôt que comme une majorité menaçante, les francophones du Québec avaient la faveur des adeptes de la political correctness.
Quiconque oserait se présenter sous une telle étiquette serait à coup sûr ostracisé. C'est ce qui est arrivé à Raoul Roy (l'essayiste, non le chanteur) lequel est totalement inconnu du grand public en dépit des nombreux livres qu'il a écrits.
Le nationalisme territorial
C'est celui que les nationalistes opposent au nationalisme ethnique quand ils veulent se disculper des accusations de tribalisme qu'on fait peser sur eux à partir du moment où ils passent du statut de minorité menacée à celui de majorité menaçante.