L’ordre inverse de la science et de la nature
Car le propre de la science est justement de marcher dans un ordre inverse de celui de la nature. La nature est continue, la science discontinue; la nature évolutionniste, et tendant toujours à la différenciation, la science généralisatrice et par conséquent tendant à l’identité. La pensée humaine n’existe qu’en divisant la nature. Supprimer cette division, qui mutile évidemment l’objet connu, c’est donc faire évanouir la pensée juste dans la mesure où l’on revient ainsi à l’intégralité de ce qui est la matière de la connaissance. Travailler à la restituer tout entière, avec son plein caractère individuel et total, c’est rendre la connaissance par degrés de plus en plus insaisissable et vague; à la limite, c’est la faire disparaître en tant que connaissance pour poser purement et simplement la chose dans ce qu’elle a d’infini, d’exclusivement propre à soi et par conséquent de radicalement inintelligible. Tel est l’être dont Gorgias disait avec raison qu’on ne pouvait ni le penser, à supposer qu’il fût, ni l’exprimer, à supposer qu’on le pensât.