Pour un dialogue basé sur la raison

Jean-Philippe Trottier
Dans le discours de Ratisbonne, Benoît XVI a démontré qu'il souhaite dépasser le stade incantatoire de l'esprit d'Assise instauré par Jean-Paul II et passer à un réel dialogue théologique, seule possibilité d'échange et unique voie vers une compréhension mutuelle entre musulmans et chrétiens.
Benoît XVI a prononcé un discours à l'université de Ratisbonne sur le lien entre Dieu (ou la foi) et la raison humaine et la question de son absolue transcendance ou non par rapport à l'homme. Il a, dans une argumentation touffue, cité une critique émise par un souverain byzantin à un érudit perse à la fin du Moyen Âge au sujet de Mahomet que les médias se sont empressés de mettre en relief au détriment de tout le reste. Cela se voulait à l'époque une discussion, tout comme les propos du pape se veulent un appel à discuter théologie entre chrétiens et musulmans, ce qu'il a rappelé récemment à la suite de l'hystérie qui a éclaté un peu partout en terre d'Islam. Face à l'ampleur de la réaction, quelques questions graves se posent :
  • Les docteurs de la loi musulmans, du moins ceux qui ont lu ledit discours, ont-ils compris que Benoît XVI pourfend avec autrement plus de virulence le cynisme, le relativisme et le matérialisme de l'Occident? Des dérives qui blessent profondément les autres cultures religieuses, au premier chef desquelles l'Islam.
  • Pourquoi ce pape, dont il faut absolument souligner le courage et la lucidité, a-t-il reçu si peu de soutien de la part des Occidentaux, parmi lesquels seuls une Angela Merkel, un Romano Prodi et, au Liban, le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, se seront démarqués, ce dernier avec une conviction qui force le respect? Bien plus nombreux sont ceux qui, la main sur le cœur et animés d'une vertueuse désapprobation, ont dénoncé la maladresse d'un pape plus intellectuel que politique. Il est certes plus payant, entre deux partis, de critiquer celui qui est le moins menaçant. La fable de Jean de La Fontaine, Le Loup et l'Agneau, n'illustre à cet égard que trop bien la réalité selon laquelle la raison du plus fort est toujours la meilleure. Et puis, tant d'anciens contentieux étant mal liquidés, l'occasion était trop belle de joindre sa voix au concert d'imprécations. On se fait du capital moral à peu de frais et on est quitte avec sa conscience… jusqu'à la prochaine crise.
  • Ne voit-on pas que cette colère, instrumentalisée par la frange extrémiste de l'Islam et appuyée par la courageuse pusillanimité occidentale, ne fera que susciter un extrémisme chrétien de réaction, aussi inquiétant que l'extrémisme musulman?
  • Les sociétés chrétiennes et musulmanes s'ennuient pour des raisons spirituelles ou matérielles et cherchent du pain et des jeux. Les médias sont justement là et, soucieux de cotes d'écoute au détriment de la vérité, offrent en pâture une vision tronquée des choses. Ainsi, la phrase de Manuel II Paléologue qui a occulté toute une argumentation touffue et solide, et a relégué dans l'indifférence la plus totale une citation d'un autre verset coranique selon lequel il n'y avait nulle contrainte en matière de foi. Les médias sont à la fois le symptôme de notre désarroi et son cache-misère, son Colisée romain divertissant et frivole.
  • Nombreux sont les régimes arabes corrompus qui profitent des abus d'Israël pour dévier une colère populaire sur un conflit extérieur. C'est un vieux truc universel. Nous assistons ici sans doute à la même logique, mais répercutée sur tout ce qui porte la marque d'un Occident aussi honni qu'envié.
  • Les musulmans reprochent au monde chrétien ses croisades. Si ce reproche est fondé, pourquoi alors entendre, entre autres, le grand mufti d'Arabie déclarer que le jihad est justifié par Dieu? On passera sous silence la mise à mort pour apostasie ou conversion au christianisme, le prosélytisme agressif, la situation précaire des chrétiens en certaines terres musulmanes, certains appels à crucifier le pape…
  • Le monde musulman, exception faite des modérés, dont on oublie qu'ils forment la majorité, est-il capable, en l'état actuel des choses, de faire son autocritique au lieu de cultiver ses blessures jusqu'à en faire un instrument de séduction? Il semble y avoir ici émulation avec Israël face à un Occident chrétien devenu matérialiste, coupable de tous les torts. À ce chapitre, la criminelle gaffe américano-britannique au sujet de l'Irak n'a fait qu'enfoncer un peu plus de nombreux musulmans dans un sentiment d'humiliation qu'ils ne connaissent que trop. Imaginons un peu l'inverse, une puissance musulmane bombarder un pays chrétien. Ajoutons à cela la très manichéenne et très anglo-saxonne simplification entre le camp du Bien et celui du Mal. Mais de là à comparer Benoît XVI aux croisés américano-sionistes comme l'a fait le président iranien, on tombe dans une manipulation tout aussi éhontée et on oublie les efforts entrepris par l'Église catholique pour demander pardon pour les abus du passé et ses tentatives de dialoguer avec d'autres religions.
  • Les autorités américaines, britanniques et israéliennes se sont lourdement trompées en invoquant à l'envi la capitulation de Munich face à Hitler en 1938 pour justifier la suppression de Saddam Hussein. Benoît XVI a compris que l'esprit de Daladier et de Chamberlain se trouvait en fait dans notre non-dialogue avec l'Islam. Nos médias, nos penseurs et nos élites n'ont pensé qu'à court terme, imaginant que la crise entre Occident et Orient allait se résorber d'elle-même par la magie d'un langage diplomatique.
  • Comment ne pas comprendre que Benoît XVI a voulu dépasser le stade incantatoire de l'esprit d'Assise instauré par Jean-Paul II et passer à un réel dialogue théologique, seule possibilité d'échange et unique voie vers une compréhension mutuelle? En ce sens, les réactions occidentales et musulmanes montrent bien le fossé qui s'est creusé entre un Occident aveugle à Dieu et un Orient sourd à la raison. Les propos du pape témoignent, contre la doxa courante et les vitupérations de certains barbus, que les musulmans sont au contraire éminemment dignes et capables de dialogue. Ce discours est même peut-être l'invitation qui leur manquait de l'intérieur.


La seule voie est un dialogue sérieux et profond basé sur la raison et non la séduction par épouvante ou hypocrisie.

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