Religion

NDLR: On trouvera dans les documents associés à ce dossier tous les éléments nécessaires à une définition achevée du concept de religion.

Selon le théologien Karl Rahner, la religion se définit ainsi: « D’une manière générale, [...] on désigne par "religion" la relation de l'homme avec le sacré, qui se traduit, comme religion subjective, dans la vénération et l'adoration et qui s'incarne, comme religion objective, dans la confession, dans la parole, dans les actes (gestes, danses, ablutions, onctions, bénédictions, sacrifices, repas sacrificiels) et dans le droit. Cette relation ne peut exister que dans la mesure où le sacré se manifeste à l'homme. La religion est la réponse de l'homme à cette manifestation. [Aussi] dans la religion l'homme reçoit une participation au sacré et atteint ainsi les extrêmes limites de ses possibilités, mais ceci aussi bien dans le sens du don de lui-même à Dieu, à qui toute sainteté appartient, que dans le sens d'un égocentrisme qui le porte à abuser du nom de Dieu, à s'approprier le sacré et à en disposer en vue de sa seule justification propre. Ces deux faces et ces deux possibilités de la religion, qui se réalisent dans les religions concrètes, le plus souvent, en même temps, dans un certain mélange, permettent de saisir la structure de la religion. » (Petit dictionnaire de théologie catholique, Paris, Seuil, 1970, pp. 408-409, Coll. « Livre de vie » # 99)


Notre définition
La définition simple que nous présentons ici est destinée à rétablir le bon sens, de plus en plus fréquemment et ostensiblement mis en déroute par des sectes n'ayant de commun avec une religion authentique que le statut juridique. Nous invitons nos lecteurs à nous aider à trouver une définition qui soit inattaquable sur le plan scientifique tout en étant assez claire pour exclure les sectes de bas étage du royaume des religions.

Une religion est une association de personnes qui rendent un culte à un Dieu ou à plusieurs dieux. Une association qui rend un culte à l'homme et à sa science, comme c'est le cas pour la secte de Hubbard, la scientologie, ou pour celle de Raël, n'est pas une religion.

Une religion digne de ce nom a une histoire qui s'insère elle-même dans l'histoire d'un peuple. On a pu dire de la religion qu'elle est la substance de la culture. Se trouvent par là exclues du statut de religion toutes les sectes dont l'origine s'apparente à celle d'une entreprise commerciale.

Toute religion, pour mériter ce titre, doit avoir fait ses preuves, avoir démontré qu'elle peut être un ferment de perfection à l'échelle des individus, en suscitant l'apparition de saints, de sages et de héros à l'échelle des sociétés, en favorisant la justice et la solidarité à l'échelle d'une civilisation, en y introduisant de la beauté.

Toutes les grandes religions se sont, à un moment où l'autre de leur histoire, montrées indignes de leur idéal. La dénonciation de ces moments ne donne pas droit au statut de religion à la dernière secte venue.

Essentiel

« Il n'y a jamais eu de sociétés sans religion. »

HENRI BERGSON

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« Ne connaissant plus, en fait d'expérience religieuse, que les inquiétudes de l'érudition, les modernes pèsent l'Absolu, en étudient les variétés, et réservent leurs frissons aux mythes — ces vertiges pour consciences historiennes. Ayant cessé de prier, on épilogue sur la prière. Plus d'exclamations; rien que des théories. La Religion boycotte la foi. Jadis, avec amour ou haine, on s'aventurait en Dieu, lequel, de Rien inépuisable qu'il était, n'est plus maintenant — au grand désespoir des mystiques et des athées — qu'un problème. »

E. M. CIORAN, Syllogismes de l'amertume, Paris, Gallimard, Coll. «Idées», 1952, p. 100.

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« [...] Nous avons tous perdu quelque chose dans l’immense tournant qui nous emporte depuis une trentaine d’années et qui, entre autres, est en train d’achever de liquider les vestiges d’organisation religieuse qui subsistaient parmi nous. Quelque chose qui a directement à voir avec "la déshumanisation du monde" qui nous inquiète. […]

En un sens, […] nous avons achevé de recouvrer le pouvoir sur nous-mêmes. Sauf que cette ultime conquête métaphysique a pris un visage social inattendu. Elle a achevé d’émanciper les individus. […] Elle les a déliés de ce qui pouvait leur faire obligation envers des collectifs de référence, de la famille à la Nation. […] Mais ce faisant, elle a vidé de substance la perspective d’un pouvoir collectif. »

MARCEL GAUCHET, « Ce que nous avons perdu avec la religion », Diogène, no 195, juillet-septembre 2001, pp. 49-51.

Enjeux

La religion n'est pas l'unique cause des guerres
Parce que les terroristes islamistes ont attaqué l’Amérique au nom d’Allah et parce que l’Amérique a répliqué au nom du Dieu de son président, George Bush, on tient facilement pour acquis en ce début du troisième millénaire que les religions sont aujourd’hui comme hier la principale, sinon l’unique cause des guerres. Tout n’est pas si simple, note Jean-Claude Guillebaud, «hier encore, les violences du monde relevaient à nos yeux de causes bien différentes : sous-développement ou impérialisme, lutte des classes ou égoïsmes corporatistes, convoitises pétrolières, nationalisme…»1 Le même auteur nous rappelle également que « le Sentier lumineux péruvien, les génocidaires Kmers rouges des années 1970, les tueurs hutus du Rwanda ou les assassins de l’ancienne Yougoslavie ne se réclamaient ni de Dieu ni du diable.»2 Quelles sont donc se demande-t-il les véritables causes de cet acharnement contre des religions souvent moribondes, qui nous pousse à la plus étrange amnésie collective. «Comment oublier en effet, poursuit-il, qu’au XXe siècle, c’est principalement l’athéisme antireligieux (stalinien, nazi ou nippon) qui fut intolérant ou exterminateur.»3

1. Jean-Claude Guillebaud, La Force de conviction, Éditions du Sueil, Paris 2005, p.13
2. Ibid. p.14
3. Ibid. p.17

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Le reflux de la religion dans les sociétés égalitaristes (Alexis de Tocqueville)
« Quand la religion est détruite chez un peuple, le doute s'empare des portions les plus hautes de l'intelligence et il paralyse à moitié toutes les autres. Chacun s'habitue à n'avoir que des notions confuses et changeantes sur les matières qui intéressent le plus ses semblables et lui-même; on défend mal ses opinions ou on les abandonne, et, comme on désespère de pouvoir, à soi seul, résoudre les plus grands problèmes que la destinée humaine présente, on se réduit lâchement à n'y point songer.

Un tel état ne peut manquer d'énerver les âmes; il détend les ressorts de la volonté et il prépare les citoyens à la servitude.

Non seulement il arrive alors que ceux-ci laissent prendre leur liberté, mais souvent ils la livrent.

Lorsqu'il n'existe plus d'autorité en matière de religion, non plus qu'en matière politique, les hommes s'effrayent bientôt à l'aspect de cette indépendance sans limites. Cette perpétuelle agitation de toutes choses les inquiète et les fatigue. Comme tout remue dans le monde des intelligences, ils veulent, du moins, que tout soit ferme et stable dans l'ordre matériel, et, ne pouvant plus reprendre leurs anciennes croyances, ils se donnent un maître.

Pour moi, je doute que l'homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique; et je suis porté à penser que, s'il n'a pas de foi, il faut qu'il serve, et, s'il est libre, qu'il croie.

Je ne sais cependant si cette grande utilité des religions n'est pas plus visible encore chez les peuples où les conditions sont égales, que chez tous les autres.

Il faut reconnaître que l'égalité, qui introduit de grands biens dans le monde, sug­gère cependant aux hommes, ainsi qu'il sera montré ci-après, des instincts fort dange­reux; elle tend à les isoler les uns des autres, pour porter chacun d'eux à ne s'occuper que de lui seul.

Elle ouvre démesurément leur âme à l'amour des jouissances matérielles.

Le plus grand avantage des religions est d'inspirer des instincts tout contraires. Il n'y a point de religion qui ne place l'objet des désirs de l'homme au-delà et au-dessus des biens de la terre, et qui n'élève naturellement son âme vers des régions fort supé­rieures à celles des sens. Il n'y en a point non plus qui n'impose à chacun des devoirs quelconques envers l'espèce humaine, ou en commun avec elle, et qui ne le tire ainsi, de temps à autre, de la contemplation de lui-même. Ceci se rencontre dans les religions les plus fausses et les plus dangereuses.

Les peuples religieux sont donc naturellement forts précisément à l'endroit où les peuples démocratiques sont faibles; ce qui fait bien voir de quelle importance il est que les hommes gardent leur religion en devenant égaux. »

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, tome II, chapitre X, Paris, Pagnerre, 1850, 13e édition. Édition électronique disponible sur le site des Classiques des sciences sociales

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