Les communautés locales ont-elles un avenir?
Mais auparavant deux mots sur Murdochville qui vous donneront un apercu de ce que j'ai à vous dire. L'histoire de cette ville est un parfait résumé de la révolution industrielle dont nous entrevoyons la fin.
Voici ce qu'a écrit René Dubos à ce propos. Pour les jeunes qui l'ignoreraient, je rappelle que René Dubos a été l'Hippocrate du XXe siècle. Après avoir découvert le premier antibiotique, la gramicidine, destinée aux animaux, il a été le principal fondateur de l'écologie contemporaine. Il a notamment présidé, avec Barbara Ward, la conférence de Stockholm en 1972, la première d'une série qui s'est poursuivie à Rio, puis à Johannesbourg. C'est à lui également que nous devons cette expression qui est sur toutes les lèvres: penser globalement, agir localement.
«Il y a des limites à l'accroissement de l'efficacité et à la diminution des dommages causés à l'environnement que peuvent procurer davantage de science et une meilleure technologie. Le manque de compétences, de temps et d'argent créera forcément autant de goulots d'étranglement, car pour éviter la catastrophe, il faudra améliorer en quelques décennies pratiquement toutes les opérations industrielles.
Les limitations qui ont leur origine dans les lois naturelles, et qui sont donc immuables, sont moins évidentes, mais probablement plus importantes à long terme. La production d'énergie électrique dégage inévitablement d'énormes quantités de chaleur qui vont se loger dans les eaux et dans les airs. On ne peut éviter cette pollution thermique, qui provoque des troubles physiques et biologiques dans les régions où la chaleur va se diffuser. Pour le moment, il est encore possible de ne voir dans ces problèmes écologiques que des nuisances purement locales, encore que celles-ci soient assez sérieuses pour soulever de vigoureuses protestations chez les intéressés.
«La civilisation industrielle a jusqu'ici fondé son économie sur l'extraction. Elle a pillé les richesses en combustibles et en minerai accumulées dans les entrailles de la terre au cours des ères géologiques; elle a pillé la richesse agricole accumulée sous forme d'humus; et voici qu'elle commence à piller les richesses minérales et biologiques des océans, même s'il doit en résulter la contamination des eaux par des nappes de pétrole et la destruction des espèces aquatiques. Pourtant, ce pillage ne dure qu'autant qu'il reste économiquement rentable. Lorsque les ressources s'épuisent ou que le coût de l'extraction devient trop élevé, le site est généralement abandonné. Cités fantômes et terres incultes sont les tragiques témoins de la civilisation extractive sur une grande partie du globe. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les XIXe et XXe siècles ont été plus destructeurs que créateurs, parce qu'ils ont utilisé et souvent gaspillé les richesses emmagasinées sous forme de ressources naturelles. Ayant tous tiré profit de cette économie d'extraction, nous avons nourri l'illusion que nous la devions entièrement à la connaissance scientifique et à l'habileté technologique. En réalité, la croissance technologique rapide des deux derniers siècles n'a été possible que parce que l'homme a exploité sans frein les ressources naturelles non renouvelables, aboutissant ainsi à dégrader l'environnement.» (René Dubos, Les dieux de l’écologie, Fayard, Paris 1973, page 173.)
Je me résigne mal à ce que Murdochville devienne une cité fantôme, après avoir tant souffert avant de commencer à s'épanouir. Il me semble que nous devrions trouver les ressources pour en faire le symbole prometteur de notre engagement collectif dans le développement durable, de notre passage de la révolution industrielle à la révolution verte. Le salut par les motoneiges me paraît cependant être une autre forme du même malheur. Ce type de tourisme est appelé à disparaître à moyenne échéance. J'en ferais plutôt une université populaire internationale sur le développement durable, où chaque année les habitants viendraient raconter leur histoire comme le font ceux du Saguenay. Murdochville rachèterait ainsi toutes les cités fantômes du passé en devenant une cité prophétique.
Parmi les nouvelles récentes au Québec, il y en a heureusement de plus réjouissantes pour un mouvement comme Villes et villages en santé. En voici une: L'architecte Philippe Lupien a gagné le concours pour l'architecture et l'aménagement du Chapiteau des Arts du Cirque à Montréal. Le projet de Philippe Lupien s'apparente à ceux qui ont fait la célébrité de l'architecte et designer américain William McDonough, lequel vient de faire les manchettes du Time magazine à cause de l'usine au toit fleuri qu'il a construit pour la compagnie Ford. La préférence accordée au projet de Lupien marque l'avènement au Québec de l'architecture durable. Le souci de la santé est présent de deux manières dans un tel projet: d'une manière directe, par le bien-être physique et psychologique de ceux qui y travailleront et d'une manière indirecte par les gaspillages de toutes sortes qui y seront évités et qui, s'ils n'étaient pas évités aggraveraient les problèmes environnementaux dont nous souffrons déjà. C'est une Maison de la culture que construira Philippe Lupien. Elle servira également de pavillon d'accueil du complexe environnemental Saint-Michel. D'ici 2020, on projette de faire de ce complexe l'un des plus grands parcs environnementaux en milieu urbain d'Amérique du Nord. Le futur Chapiteau deviendra donc une vitrine environnementale avec vocation pédagogique. «Sait-on, précise Philippe Lupien, que Montréal est l'une des grandes villes les plus ensoleillées du monde occidental? Nous comptons profiter de diverses manières de l'énergie solaire, et pas seulement pour le chauffage. Ainsi, nous prévoyons l'érection d'un mur "trombe" côté sud de l'édifice qui captera les rayons du soleil. Par la convexion naturelle, un effet de cheminée sera créé derrière le mur pour pousser la chaleur vers le haut. Sera ainsi actionnée une forme de pompe thermique qui devrait assurer la ventilation de tout l'édifice. Un système de tunnel géothermique servira à préchauffer ou à refroidir l'air aspiré de l'extérieur, selon la saison. Creusé à 5 mètres de profondeur, ce tunnel de 80 mètres de long devrait border la partie la plus étendue de l'édifice. Pendant l'hiver, le chapiteau devrait être alimenté par l'eau chaude provenant de l'usine Gazmont qui produit de l'électricité avec le biogaz dégagé par la décomposition des déchets de la carrière Miron.» (L’Agora, vol 9, no 3, sept.-oct. 2002.)
Imaginez un instant que chaque ville et village du Québec aille dans cette direction? Cette idée fait partie des choses dont je veux vous entretenir aujourd'hui. Si Murdochville avait été conçue dans la perspective du développement et de l'architure durables, on aurait prévu l'avenir et on l'aurait préparée adéquatement ne serait-ce que pour éviter le gaspillage de toutes ces maisons, à défaut d'avoir assez d'imagination pour mesure l'ampleur de la catastrophne humaine: pour plusieurs, il s'agit d'un second déracinement en deux générations.
Ces considérations, comme celles qui vont suivre, sont étroitement associées aux recherches que nous avons faites ces derniers mois pour préparer le tout dernier numéro de notre magazine. Le voici: Pas à pas avec la nature. Il y est notamment question d'architecture durable. Au même moment, on nous a demandé une étude sur le thème Environnement et santé, en vue d'une exposition sur le sujet qui s'ouvrira au Biodôme l'an prochain. Tout convergeait.
Pendant cette période, chaque fois que j'en avais l'occasion, je demandais à des amis intéressés à la chose et aux élus municipaux que je connais, de me dire ce qu'ils pensaient de Villes et villages en santé. Votre mouvement plaît à bien des gens, il n'y a pas l'ombre d'un doute, même s'ils ne savent pas toujours très bien à quoi il correspond pour ses membres.
Plusieurs ont des réserves, cependant, même parmi ceux qui vous soutiennent. On vous reproche notamment de ne pas avoir de plan d'action bien à vous et de tenter de vous faire pardonner cette lacune en associant la santé à tous les aspects de la politique municipale.
Cette critique ne m'a pas étonné. Tôt ou tard, elle touche ceux qui, voulant faire de la véritable prévention, s'efforcent d'agir sur les déterminants de la santé. Ces derniers sont si nombreux et si variés qu'ils sont présents dans tous les domaines importants de la vie publique. Comment tenir compte de tous ces déterminants, comme c'est votre devoir de le faire, sans les associer à toutes les politiques d'une ville et sans du même coup donner l'impression de négliger les objectifs proprement sanitaires. Dans cette perspective, la santé a son centre partout mais on a le sentiment qu'elle n'a sa circonférence nulle part. Comme, en plus, l'action sur les déterminants a des effets qui n'ont rien de bien excitant et qui tardent même à paraître dans les statistiques, on en vient fatalement à douter de son sens et de son utilité.
Nos travaux de l'été dernier nous ont permis de constater qu'un problème semblable se pose dans les groupes qui se consacrent à la protection de l'environnement aussi bien que dans les attitudes du public dans ce domaine. Là encore, tout est dans tout et réciproquement. On a recencé 32 définitions différentes du développement durable. Le rapport Bruntland en contient six à lui seul.
Si bien que dans le domaine de l'environnement, comme dans celui de la santé globale, on a de plus en plus de raisons de s'inquiéter et de moins en moins de raisons d'agir. Le même scénario se répète ad nauseam. Les écologistes s'indignent, le public s'émeut, les entreprises se braquent et le gouvernement fait des règlements qui indisposent encore davantage les entreprises. Et ce sont les avocats qui finalement profitent de cette guerre entre consommateurs et producteurs. Une étude de la Rand Corporation a montré que sur les 1300 millions versés de 1986 à 1989 par les compagnies d'assurances pour fins de dépollution, 1200 millions sont allés aux avocats. C'est ce climat qui permet de comprendre pourquoi les écolos d'hier achètent aujourd'hui de grosses cylindrées à sécurité maximale.
Décourageant! Il y a de quoi comprendre messieurs Bush père et fils: nous ne mettrons pas notre niveau de vie en péril! Il n'est pas étonnant dans ces conditions que le mouvement Villes et villages en santé traverse ici et là une crise existentielle.
Faudrait-il donc abandonner la lutte? Il faut plutôt comprendre la nature et l'importance du défi à relever et ajuster son action à cette réalité. Le discours de la méthode de Descartes, que l'on peut considérer comme l'événement fondateur et annonciateur de la révolution industrielle, a été publié en 1637. 365 ans plus tard, la révolution industrielle n'est pas terminée. La révolution verte s'ébauche certes depuis plus d'un siècle, mais elle ne dispose pas encore d'un discours de la méthode comparable à celui de Descartes. Aucun des grands sommets sur l'environnement, ni celui de Stockholm, ni celui de Rio, ni celui de Johannesbourg, n'a accouché d'un tel discours. Quand au rapport Bruntland sur le développement durable il aura certes marqué une étape importante, mais il aura aussi déçu beaucoup de gens.
Il y a toutefois en ce moment tant de grands esprits, dans toutes les disciplines et dans toutes les cultures, qui s'efforcent de donner des bases solides à la révolution verte, que nous devrions très bientôt voir surgir un Descartes écologiste qui en précisera la méthode en des termes si simples et si clairs. Peut-être ce Descartes a-t-il déjà commencé son oeuvre? J'en ai la conviction depuis que j'ai découvert le mouvement The Natural Step et son fondateur le médecin suédois Karl Henrik Robèrt.
Pas à pas avec la nature
K. H. Robèrt était à l'origine oncologue. Las de se sentir impuissant devant des cancers frappant des personnes de plus en plus jeunes et persuadé que ces cancers avaient pour cause une dégradation de l'environemment qui est aussi la cause des changements climatiques, Robèrt a décidé d'agir pour tenter de redresser la situation.
Je vous invite à étudier ses travaux et ses réalisations. Vous y trouverez une foule d'idées qui pourront vous aider à consolider votre mouvement.
Les termes conjucturels et structurels, empruntés à l'économie, nous aideront à comprendre l'esprit dans lequel Robèrt a commencé à préciser les règles de sa méthode. Il y a dans une écononomie donnée un problème structurel lorsque, par exemple, la fiscalité et les lois régissant les entreprises concourent à décourager les investisseurs. On dira qu'un problème est conjoncturel lorsqu'il résulte d'une crise passagère dans un pays importateur important.
On peut qualifier de conjoncturelle l'approche qui domine le débat sur l'environnement au cours des quarante dernières années. DDT, pénurie de pétrole, pluies acides Bhopal, Exxon Valdez, Tchernobyl. On est allé de crise en crise plus ou bien présentées au public, suivies de solutions plus ou moins improvisées, sans liens les unes avec les autres. Ballotté d'une crise à l'autre, le public est devenu de plus en plus inquiet, mais aussi paradoxalement de plus en plus indécis, irrésolu. Ce public a été invité à poser dans trop de dossiers, sans liens manifestes entre eux à ses yeux, trop de gestes dont il n'était pas sûr qu'ils formaient un ensemble cohérent. Réduire la consommation de bois, mais pour remplacer le bois de charpente par des poutres d'acier: avait-on l'assurance qu'il s'agissait là d'une meilleure décision? L'électricité tirée de l'eau paraissait propre à tous égards, par rapport à l'électricité tirée du charbon ou du pétrole, mais les campagnes des écologistes contre les grands projets hydroélectriques ont semé le doute dans le public sur ces questions.
Au début de la décennie 1970, au moment où fut publié Croissance zéro, on prévoyait une pénurie de pétrole et pour inciter le public à réduire sa consommation d'essence on a misé sur l'argument de la pénurie. Depuis ce temps, on découvre tous les jours de nouvelles sources d'approvisionnement. C'est ce qui explique en grande partie le changement d'attitude des fabricants aussi bien que des automobilistes à partir de 1990.
Bref, les problèmes conjoncturels ont semé la confusion dans les esprits et en s'ajoutant les unes aux autres sans provoquer de changements déterminants dans l'action, les inquiétudes qu'ils ont suscitées ont fini par se transformer en indifférence. Ce qui a permis au président américain d'expliquer son refus du pacte de Kyoto en disant: nous reconnaissons que le réchauffement de la planète est un problème réel et grave, mais nous préférons prendre le risque de devoir nous adapter à de nouvelles conditions de vie plutôt que de nous attaquer résolument dès aujourd'hui aux causes du problème.
Parmi ceux qui ont été déçus par cette approche conjoncturelle au point de se donner le mal de proposer une approche structurelle, il y a Karl-Henrik Robèrt. Dans The Natural Step Story, il note que «les solutions aux problèmes environnementaux entrent presque toujours en contradiction les unes avec les autres.» Les chlorofluorocarbones, précise-t-il à titre d'exemple, s'ils ont pour effet de réduire la couche d'ozone, ont l'avantage de réduire la consommation d'énergie dans les réfrigérateurs. (Karl-Henrik Robèrt, The Natural Step Story, New Society Publishers, Vancouver, 2002, p. 9).
Le discours de la méthode verte
C'est aux problèmes conjoncturels que s'attaquera Robèrt avec comme premier souci d'asseoir son action sur des principes si universels que les producteurs aussi bien que les consommateurs et les scientifiques de toutes tendances pourraient y adhérer. René Dubos, nous l'avons vu, avait déjà mis en relief les problèmes structurels. Prenant le relai de Dubos, Robèrt a formulé quatre grands principes qu'il a ensuite soumis à une cinquantaine de scientifiques de son pays, représentant les diverses tendances.
1. Les substances provenant de la croûte terrestre (lithosphère) ne doivent pas systématiquement s'accumuler dans la biosphère. Les métaux, les combustibles fossiles et autres minéraux ne doivent pas être extraits à un rythme plus élevé que ce qui peut être réabsorbé par la lithosphère. En plus de l'influence exercée par l'importance de l'extraction minière et par le choix des minéraux extraits, l'équilibre des flux peut être influencé par la qualité des dépôts et par la compétence technique de la société en matière de recyclage.
2. Les substances produites par les humains ne doivent pas systématiquement s'accumuler dans la biosphère. Les matériaux fabriqués par l'homme ne doivent pas être produits plus vite qu'ils ne sont décomposés et réintégrés dans les cycles naturels, ou redéposés à l'intérieur de la lithosphère et transformés à nouveau en matières premières. En plus de l'influence exercée par les volumes de production et les caractéristiques des molécules et nucléides produits par l'industrie, comme leur persistance ou leur dégradabilité, l'équilibre des flux peut être influencé par la qualité des dépôts et par la compétence technique en matière de réutilisation et de recyclage.
3. Les bases physiques de la productivité et de la diversité de la Nature ne doivent pas être systématiquement détériorées. Les sources de la productivité de la biosphère, comme la terre fertile, l'épaisseur et la qualité des sols, la disponibilité de l'eau douce, ainsi que la diversité biologique ne doivent pas être systématiquement diminuées en quantité ou en qualité par une surexploitation ou une mauvaise gestion.
4. Les besoins humains doivent être satisfaits par un usage juste et efficace de l'énergie et des ressources naturelles. Si la société veut satisfaire les besoins humains fondamentaux partout, aujourd'hui et dans le futur, tout en respectant les restrictions imposées par la disponibilité des ressources, tel qu'exprimé dans les trois premiers principes, l'utilisation des ressources doit être efficiente.
Si Robèrt s'était limité à énoncer de tels principes on aurait pu dire cyniquement: voici la 33e définition du développement durable. Homme pratique, il a eu la bonne idée de compléter la liste de principes par la méthode des petits pas. L'un de ses buts en précisant sa méthode était de mettre un terme à l'opposition stérilisante entre producteurs et consommateurs et par suite entre écologistes et économistes. Par ses grands principes, il a intégré les principales exigences des écologistes, par sa méthode des petits pas, il a séduit déjà bien des dirigeants d'entreprises et de municipalités. Le premier petit pas consiste à faire des économies en réduisant, par exemple, le gaspillage ou en révisant le design. Les entreprises participantes sont invitées ensuite à utiliser les gains faits à la première étape pour amorcer une seconde étape, etc.
L'équipe originale, composée d'une cinquantaine de scientifiques, s'est transformée depuis en un puissant réseau de plus de 10 000 Suédois (scientifiques, économistes, artistes, ingénieurs, fermiers, enseignants, designers industriels, avocats, psychologues, architectes et médecins). Une soixantaine de compagnies et autant de municipalités utilisent la méthodologie pour redéfinir leurs opérations en fonction d'un développement durable. L'intérêt pour cette approche en Suède a été tel que le Roi du pays a envoyé à toutes les familles une documentation complète sur la question, comprenant une cassette vidéo. 15% des Suédois ont répondu à cet appel. Depuis, le mouvement a essaimé et il a maintenant pignons sur rue en Australie, au Canada, au Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Des groupes se forment en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande. Il a comme adhérents des villes comme Seattle aux États-Unis et Whistler en Colombie Britannique, des entreprises comme Home Depot, Sun Micro System, Nike.
L'intérêt principal du mouvement tient peut-être au fait qu'il est au centre d'un réseau d'idées et d'initiatives, fort intéressantes pour la plupart, qui forme un ensemble cohérent, celles de capital naturel, de services écosystémiques, d'empreintes écologiques, de biomimétisme, d'éco-créativité, d'architecture durable, d'écologie industrielle. Le mouvement Villes et villages en santé pourrait faire son profit de toutes ces idées et initiatives.
Services écosystémiques, empreinte écologique
«Il faut prendre à la terre son surplus et non son capital», écrivait déjà Ernst Jünger il y a plus de cinquante ans, dans son Journal parisien. On s'applique en ce momentà rendre de telles idées opérationnelles. Les progrès sont rapides, si rapides que le très réaliste Time Magazine leur accordait une large place dans son numéro coïncidant avec l'ouverture du Sommet de Johannesbourg
Un arbre est un bel exemple de capital naturel. Un grand arbre mort vaut quelques milliers de dollars. Vivant il vaut de centaines de milliers de dollars. Combien coûte une bonbonne d'oxygène? Combien un arbre en remplirait-il chaque année? La pollinisation est un bel exemple de services écosystémiques. On assigne désormais un prix à ces services parce qu'on les sait ménacés et parce qu'on connaît le coût des services artificiels de remplacement. Cette façon de voir ouvre d'étonnantes perspectives. Dans la vallée de la Moselle, on confie maintenant aux abeilles des tâches d'analyse de l'environnement auparavant confiées à des techniciens. La cire le miel et la propolis contiennent en effet des traces des composantes de l'environnement que l'on a intérêt à mesurer.
L'idée d'empreinte écologique est tout aussi intéressante: Exprimée en hectares, par année et par personne ou nation, l'empreinte écologique est la portion de la terre vivante nécessaire pour assurer notre subsistance (alimentation, logement, transport) et absorber les déchets que nous produisons.
Le C02 produit par notre voiture et notre tondeuse fait partie de ces déchets. Les calculs étant faits dans le respect des grands principes du développement durable, ils prennent en compte la quantité de matière organique requise pour fixer le carbone que nous rejetons dans l'atmosphère. Il existe sur Internet plusieurs sites où l'on peut prendre son empreinte écologique personnelle. Voici quelques chiffres permettant de mesurer les défis devant lesquels la prise en compte de l'empreinte écologique place chacun d'entre nous.
Empreintes écologiques par nation:
Canada 4.3 hectares par personne
États-Unis 5.1
Inde 0.4
Monde 1.8
En calculant mon empreinte personnelle, j'ai découvert que si tous les humains avaient la même empreinte écologique que moi, il faudrait six planètes comme la terre pour les soutenir.
Je n'ai pas le temps de vous parler du biomimétisme, mais je vous dirai deux mots de l'écologie industrielle qui en est le prolongement. L'écologie industrielle est une discipline, aux confins de l'économie et l'écologie, qui étudie les façons d'imiter dans l'industrie les écosystèmes et les interrelations complexes qui les caractérisent. «Dans un ensemble, écrit notre collaboratrice Andrée Mathieu, les êtres vivants maintiennent une stabilité dynamique, comme des danseurs qui font des arabesques, en jonglant continuellement avec les ressources sans produire de déchets. Un bon exemple d'imitation de ces processus nous est donné par Kalundborg, une petite ville industrielle située à une centaine de kilomètres à l'Ouest de Copenhague au Danemark. Dans les années 1950, s'y installent une raffinerie de pétrole et une centrale électrique. Comme toutes les centrales thermiques, celle-ci produit des quantités impressionnantes d'eau chaude, mais cette eau n'est pas rejetée dans l'environnement: elle entre dans un processus de "co-génération", c'est-à-dire de réutilisation en vue d'assurer le chauffage de divers usagers - une idée qui tend à s'imposer aujourd'hui, mais qui passait pour très avant-gardiste à l'époque. Puis d'autres partenaires industriels s'installent à Kalundborg et prennent l'habitude d'échanger entre eux les déchets de leurs activités, au point que les responsables de la zone industrielle finissent par réaliser qu'une véritable symbiose s'est instaurée entre les diverses usines du site. Celles-ci sont aujourd'hui au nombre de cinq, reliées entre elles, sur quelques centaines de mètres, par un dense réseau de pipelines permettant les échanges. Kalundborg est le prototype d'un concept apparu au début des années 1990, celui de "parc éco-industriel".» (L’Agora, vol 9, no 3, sept.-oct. 2002.)
Voilà bien d'idées en bien peu de temps. Et je n'ai pas touché l'essentiel. À force de méditer sur la nécessité de protéger le capital naturel et les services écosystémiques qu'il rend, nous en viendrons peut-être à nous ressouvenir du fait qu'il y a une nature en nous; on l'appelait jadis la nature humaine. Voilà un capital naturel, un humus qui, lorsqu'il est enrichi, au lieu d'être dilapidé par un recherche de productivité à courte de vue, produit les services les plus précieux qui soient. La nature humaine contient en effet les ressources renouvelables les plus précieuses: la créativité, la culture, la force morale. Hélas, on en est encore à l'économie d'extraction dans ce domaine. Quand on découvre une mine d'idées, sous la forme d'une personne créatrice et en forme au point de pouvoir travailler dix-huit heures par jour, on la vide le plus rapidement possible comme on l'aurait fait d'une mine de charbon au XIXe siècle. Alors qu'on aurait intérêt à l'entourer des soins les plus subtils de façon à ce qu'elle devienne de plus en plus précieuse avec le temps, les avantages de l'expérience s'ajoutant à une créativité demeurée intacte.
Je développe davantage ce thème dans une conférence que je prononcerai demain à Chicoutimi, que dis-je, à Saguenay et que vous pouvez déjà lire dans notre encyclopédie sur Internet dans le dossier Bioéthique. J'ai abordé le même thème dans une conférence prononcée la semaine dernière devant l'Association du Barreau canadien.
Je voudrais seulement rappeler en conclusion que nos rapports avec la nature et nos rapports avec nous-mêmes comme avec nos semblables sont étroitement liés et interdépendants, que pendant toute la révolution industrielle nous nous sommes exploités nous-mêmes exactement comme nous avons exploité les ressources non renouvelables, que nous avons laissé notre capital naturel se dégrader exactement comme nous l'avons fait pour celui de la nature. Jusqu'à ce jour, nous avons été surtout frappés par les avantages de cette aventure. Nous commençons à peine à en vivre les inconvénients. Nous nous sommes crus savants pendant toute cette période, nous ne l'étions qu'à moitié. Ce peu de science nous éloigné de la nature; beaucoup de science nous en rapprocherait.