Dubos René
L'optimisme du désespoir
À la fin de sa vie, notamment dans une chronique intitulé The Despairing optimist, Dubos revenait constamment sur le même thème: aborder les problèmes écologiques d'un point de vue purement négatif ne mène à rien et surtout ne mobilise pas l'intérêt du public. «Le public se fatigue très vite d'entendre seulement des histoires de désastre, il faut donc tout repenser d'une manière beaucoup plus positive.»
Dubos attachait beaucoup d'importance à la notion de résilience, mot synonyme de rebondissement, qui désigne la capacité qu'ont les écosystèmes de se reconstituer après avoir subi un stress. Soutenue par l'homme, cette aptitude de la nature au redressement est encore plus manifeste. «Je ne connais, disait Dubos, aucune situation, si tragique qu'elle ait pu être, qui n'a pu être redressée en une dizaine d'années, pourvu qu'on accepte de s'en donner la peine et de faire des choses relativement simples, beaucoup moins coûteuses qu'on ne le pense.»
Il adorait raconter des anecdotes comme celle-ci, propre en effet à remonter le moral des écologistes les plus pessimistes. Il s'agit de la dépollution du magnifique lac qui se trouve au coeur de la ville de Seattle. «Un avocat de la ville a commencé à parler de la dépollution autour de lui, sans grand succès; personne ne s'intéressait à lui, mais il a pu se mettre en rapport avec la Ligue des femmes qui se préoccupent du vote, et par leur intermédiaire, il a commencé à créer une opinion publique dans la ville, puis après trois ou quatre échecs, un groupe devenu important a obtenu que Seattle vote des crédits suffisants pour que les égouts et les autres ordures ne soient plus déversés dans le lac mais envoyés ailleurs ou traités. Le résultat c'est qu'en moins de sept ans, sans aucun traitement de la nappe d'eau, mais simplement en cessant de polluer, les pouvoirs de récupération de la nature ont agi tout naturellement et le lac est redevenu aussi beau qu'il l'était avant.»
À propos de la déforestation en zone tropicale, problème dont il a lui-même souligné la gravité, il ne manquait jamais de rappeler la prodigieuse initiative des Chinois qui, à partir de 1949, ont entrepris de reboiser leur pays, au rythme de 10 millions d'acres par an. Le processus de déforestation avait commencé il y a des milliers d'années.
«L'homme est par nature un être de culture.» (Gehlen)
Dubos attachait autant d'importance, sinon plus, à la conservation des paysages créés par l'homme qu'à la défense de la nature sauvage. Il pensait que la nature ne fait pas nécessairement les choses mieux que l'homme. Nature knows best. «Ce slogan, disait-il, est une profession de foi quasi religieuse plutôt qu'une loi fondamentale de l'écologie». Il taquinait les écologistes radicaux en leur rappelant que si l'on prend leur vision des choses comme critère, ils commettent un crime contre l'écologie chaque fois qu'ils tondent leur gazon ou qu'ils taillent leurs rosiers.
Évoquant sa terre natale, la France, il ajoutait «Chaque vieux pays pourrait prendre à son compte la formule de Charles Péguy présentant la Beauce à Notre-Dame de Chartres: Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.»