Éducation [Dossier thématique]

Le retour des classiques dans les classes du Québec

Jacques Dufresne

Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal gangrené par l’idéalisation, l’embellissent, l’eau de rose; exclure aussi la critique cynique, complaisante, cette idéalisation par le bas appelé avilissement.

Le 23 août 2023, le ministre de l’éducation, Bernard Drainville, interdisait les téléphones cellulaires dans les écoles. Le lendemain deux journalistes, Odile Tremblay dans le Devoir et Richard Martineau dans le Journal de Montréal, réclamaient le retour des classiques dans les programmes. Les autres médias reprirent leur message en écho. De quoi réjouir Jean Larose, qui réclame cette renaissance depuis longtemps.

«Un classique survit à toutes les bêtises. Ça survit à la déconstruction, au post-structuralisme, au féminisme, au postmodernisme, et comme les grands chiens, ça va se secouer, s’ébrouer ; puis ça aura son petit sourire démoniaque, en disant : "Ces choses-là sont mortes. Moi je vis." Il y a donc une puissance de survie.» (George Steiner, cité dans le dossier "Pour ne pas vivre et penser comme des porcs" publié dans L'Opinion indépendante, no 2590, 21 novembre 2003) 

Survie !  Le classique c’est ce qui rend l’homme meilleur et lui permet ainsi de survivre. Il rend l’homme meilleur en lui proposant un idéal, d’amour par exemple, comme dans Les fiancés de Manzoni, Le roi Lear de Shakespeare, Jane Eyre de Charlotte Brontë. Parfois on sent palpiter l’idéal sous les dénonciations des caricatures et des trahisons dont il est l’objet. C’est le cas pour l’amour dans L’école des femmes de Molière où le mari possessif est à jamais ridiculisé. 

Il n’est hélas pas donné à tout le monde de critiquer par idéal la réalité caricaturale observée. Le plus souvent, le cynisme et la complaisance se substituent, par narcissisme, à la nostalgie de l’idéal trahi. L’œuvre devient alors un miroir de la médiocrité ambiante et elle peut connaître pour cette fausse raison un succès qui lui confère les apparences d’un classique. C’est pourquoi, il faut laisser le temps faire son tamisage. 

Là se trouvent les deux grand défis dans le choix des classiques : exclure l’idéal gangrené par l’idéalisation, l’embellissent, l’eau de rose; exclure aussi la critique cynique, complaisante, cette idéalisation par le bas appelé avilissement. Il existe un si grand nombre de purs chefs d’œuvre qu’en cas de doute sur la qualité d’une œuvre, il vaut mieux s’abstenir.

J’écoutais récemment une messe de Mozart avec le sentiment d’entrer dans une cathédrale gothique sonore. L’Incarnatus est me rappelait la flèche de Notre-Dame de Paris. Au sommet de cette flèche, un coq. Faut-il voir dans cet oiseau domestique le symbole d’un chant jaillissant de la terre mais s’arrêtant à mi-chemin vers le ciel ? Au même moment, j’étais depuis des jours sous le charme du plus beau des chants grégoriens à mes oreilles : le Veni creator, une musique qui descend du ciel vers la terre.  

Le souffle sorti de la terre, passe par Mozart et le dépasse, il s’imprègne de son caractère sans s’éloigner de l’universel. Le chant grégorien ressemble plus à une lumière qu’à un souffle, il traverse ses auteurs et ses interprètes sans s’imprégner d’eux. Il est impersonnel et pourtant il nous ravit comme le sourire d’un être aimé. Est-ce l’amour personnel du Dieu impersonnel ?  C’est le symbole de l’aigle qui s’impose ici, un aigle avec une âme de colombe qui descend vers nous et nous enlève vers ses sommets. Mouvement ascendant, dans un cas, chez Rembrandt par exemple; descendant dans l’autre, comme chez Giotto; les deux s’harmonisant chez Vermeer. Cette distinction peut nous aider à repérer les classiques et à les situer les uns par rapport aux autres. 

Je m’abstiendrai de dresser une liste de classiques. J’invite plutôt le lecteur à lire les synthèses de l’Agora, Il y trouvera mes classiques préférés dans un contexte qui en explicite et en justifie le choix. 

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