Journal de l’été 2021. 5) L’ Afghanistan des talibans
La leçon sur les imprévus de l’histoire qu’on peut en tirer
D’abord un rappel de nos prises de position antérieures sur la réaction américaine aux attentats de 11 septembre 2001 : elle a été, disions-nous alors en substance, improvisée mal avisée, démesurée, dans le cas de la guerre contre l’Afghanistan et encore plus dans celle contre l’Irak en 2003.
Vingt ans après, le constat de John R. MacArthur dans Le Devoir du 4 octobre 2021 confirme nos craintes. Ces conséquences étaient prévisibles. La leçon sur les imprévus de l'histoire, je la tiens d’un savant réputé, psychiatre et ethnopsychiatre, Henri F. Ellenberger. Je n’oublierai jamais cette conversation avec lui, vers 1980, où il prédisait la montée de l’islamisme, alors que tous dans le monde dit libre ne craignaient encore que la Russie communiste et étaient persuadés que les lumières, le progrès des sciences, des techniques et la démocratie avaient transformé les courants religieux obscurantistes et totalitaires en fossiles destinés à rester dans cet état. Or à en juger, pour ce qui est du monde islamique, par les analyses des observateurs bien informés, tel François Brousseau dans Le Devoir du 23 août 2021, leur remontée vers la surface de l’histoire, à l’échelle mondiale paraît soudainement possible sinon probable.
Saurons-nous seulement, nous, les éclairés, poser les bonnes questions ? En voici quelques-unes parmi toutes celles qui se bousculent dans mon esprit en désarroi. Portant sur de grandes questions, elles enferment une large part de subjectivité. Ce sont des notes dans un journal de bord.
Tout serait si simple si les croyants se savaient croyants. Il en résulterait un pluralisme pacifique. Il se trouve cependant que, pour croire, les hommes ont, sauf exception, besoin de penser que l’objet, profane ou religieux, de leur foi, enferme la Vérité, une Verité qui prend corps dans une doctrine et des pratiques formant un ensemble cohérent qu’Ils voudront imposer aux infidèles, par la force si nécessaire. La croyance progressiste des Occidentaux n’échappe pas à cette règle. Le fait qu’elle estime être un produit de la science renforce même l’autorité qu’elle s’accorde à elle-même. Pendant que depuis leurs terriers, les talibans préparaient leur offensive contre leurs compatriotes américanisés, en Californie c’était l’apothéose du tourisme spatial : Branson, Musk et Bezos, ces trois hommes, plus riches ensemble que la totalité des Afghans accédaient au ciel de leur choix et de leur foi. Question 1) Est-ce que toutes les croyances s’équivalent? Si oui, à quoi bon penser? Si non, selon quels critères établir la hiérarchie? S’Il est vrai que les grandes traditions religieuses se rejoignent par leurs sommets, appelés invariants, n’est-il pas tout aussi vrai qu’elles s’étendent par leurs bases ?
Question 2) Si nos prédictions étaient erronées en 1980, quelles raisons aurions-nous de croire qu’elles seraient plus justes si nous pensions que l’islam poursuit aujourd’hui en Europe et en Occident une croisade interrompue par Charles Martel à Poitier en 732. ? Les talibans et autres minorités islamistes extrémistes ne seraient-ils pas les derniers Mohicans osant résister à un empire américain toujours en expansion via sa technologie ? Ne sont-ils pas appelés à connaître le sort du Sentier lumineux du péruvien Abimael Guzman ?
Question 3) Dans le choc des civilisations, plus que jamais manifeste tout de même, de quel côté pencheront les musulmans modérés, en pleine expansion eux aussi, bénéficiant du statut de victimes dans plusieurs pays, de plus en plus perçus dans d’autres comme une armée démographique gagnant du terrain à la vitesse de l’escargot? Si cette armée gagne la bataille du nombre qu’adviendra-il des gains faits par les progressistes sous le signe du choix?
Pendant que les pays d’avant-garde étaient à l’infirmerie, dans un respect louable mais luxueux de la vie humaine, les islamistes radicaux, qui ne craignent pas la mort, étaient sur leurs champs de bataille avec leurs armes de fortune. Cette stratégie militaire obscurantiste leur a tout de même permis de gagner une guerre de 20 ans contre l’armée la mieux équipée du monde et peut-être de l’histoire. Cette guerre, devait déclarer Joe Biden, le 17 septembre 2021, n’était plus qu’une «distraction» par rapport à la menace chinoise. Pour contrer cette menace, il venait d’annoncer un contrat de 80 milliards pour des sous-marins atomiques destinées à la marine australienne.
Question 4) Distraction vraiment ? Ne serait-ce pas le suréquipement qui est une distraction…et une illusion ? Faut-il exclure que nous soyons revenus à ce moment de la préhistoire où le courage et l’intelligence instinctive étaient plus déterminants que les armes savantes? En France, au procès consécutif aux attentats de 2015, Salah Abdeslam, le principal accusé, a froidement rappelé à des victimes médusées, le bien fondé, à ses yeux, de cet acte de guerre contre la France. Guerre à moitié gagnée par une poignée de fanatiques contre une grande puissance.
Question 5)Les jeunes du pays afghan profond dormiront-ils encore demain sous les étoiles ou branchés sur la Californie comme ceux du Kaboul américain ? Que faut-il leur souhaiter ?
Question 6 ) Ultime espoir tragique et utopique : que les catastrophes naturelles s’aggravent et se multiplient au point d’inciter les peuples de la terre à s’unir pour protéger la maison commune, mais même dans cette situation extrême, est-ce que la raison et l’intérêt l’emporteraient sur la passion et la volonté de puissance ?