La chimie de la vie

Jacques Dufresne
La vie sous le microscope électronique de la biologie moléculaire.
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Les travaux convergents de Darwin et de Mendel ont permis à la science des êtres vivants de franchir une étape au terme de laquelle l'homme apparut comme la fine fleur d'une évolution ayant commencé avec les micro-organismes marins. Bien que l'existence d'une dimension spirituelle dans l'homme ne soit nullement incompatible avec l'idée d'une telle évolution, la thèse selon laquelle l'homme descend du singe a provoqué une secousse de grande amplitude, qui a incité les uns à se cantonner dans un matérialisme radical et les autres, par réaction, à rejeter la nouvelle biologie et ses prétentions. Victor Hugo, que le progrès de la science enthousiasmait pourtant, accueillit la bonne nouvelle de Darwin avec quelque réserve:
    «Et quand un grave Anglais, correct, bien mis, beau linge,
    Me dit: – Dieu t'a fait homme et moi je te fais singe;
    Rends-toi digne à présent d'une telle faveur! –
    Cette promotion me laisse un peu rêveur [...]»

Jusque là on avait toujours reconnu l'existence d'un fossé, d'un hiatus, entre l'homme et les animaux à une extrémité de la vie, entre la matière inanimée et les micro-organismes à l'autre extrémité. L'évolutionnisme avait éliminé le premier hiatus, totalement selon certains, partiellement selon d'autres. En prolongeant les efforts de Mendel et Darwin pour comprendre les mécanismes de l'hérédité, on a été amené à mettre en doute l'existence du second hiatus. L'homme à une extrémité, était absorbé par la vie; la vie à l'autre extrémité était absorbée par la matière inanimée.
Par hérédité on entendit d'abord la reproduction d'êtres vivants autonomes à l'intérieure d'une espèce. Les cellules toutefois sont aussi des êtres vivants qui se reproduisent, et à la base de la reproduction des organismes complets, il y a toujours des cellules qui se multiplient. Vue sous cette angle large, la science de l'hérédité, qu'on appelle désormais la génétique, englobe aussi bien les lois de la croissance des organismes que celle de leur reproduction.
D'autre part, les enzymes qui permettent la digestion et les hormones qui transportent les messages à l'intérieur de l'organisme, sont aussi des rejetons des cellules. Il en est de même des protéines en général, lesquelles constituent les briques dont les divers organes du corps sont constitués.
Vue sous cet angle encore plus large, la génétique est à la base de l'anatomie (étude de la structure et de la forme des organes) et de la physiologie (étude du fonctionnement des organes).
Qu'est-ce donc qu'un gène? C'est la biologie moléculaire, c'est-à-dire la chimie appliquée à la vie qui allait apporter une réponse à cette question.
Chaque organe, disions-nous, est constitué pour l'essentiel de protéines déterminées. Les cellules germinales ont elles aussi leurs protéines propres. On sait d'autre part que l'ensemble des chromosomes et donc des gènes, se retrouvent dans le noyau de chaque cellule. On sait également que les divers caractères et organes de l'organisme sont sous la dépendance d'un gène ou d'une famille de gènes. Dans ce contexte, la question fondamentale de la génétique se dégage clairement: quel est le lien entre les gènes et les protéines? C'est la réponse à cette question qui est à l'origine de ce qu'on a appelé la révolution biologique.

La révolution biologique
A l'origine de cette révolution il y eut les travaux sur l'ADN, (acide désoxyribonucléique) lesquels ont une importance majeure dans la biologie contemporaine. Passionnante en elle-même - il s'agit de l'une des pages les plus importantes de l'histoire des sciences – l'étude des travaux concernant l'ADN est aussi nécessaire à la compréhension et au bon usage du résultat final: une possibilité d'agir sur les systèmes vivants prodigieusement accrue.
Au moment où nous avons quitté la piste de l'hérédité, nous savions déjà que les gènes sont des segments de chromosomes. La découverte de l'ADN a permis de comprendre à la fois la structure de ces segments et leur mode d'action, lequel enferme le secret des protéines.
Les chromosomes contiennent des protéines et des acides nucléiques. Au début du siècle, on s'intéressait surtout aux protéines. Sachant qu'elles étaient le principal élément constitutif des êtres vivants, on était persuadé qu'elles contenaient le secret de l'hérédité.
Ce sont des travaux accomplis à l'Institut Rockefeller par O. T. Avery, C. M. McLoed et M. McMarcthy qui firent sortir les acides nucléiques de l'oubli où on les avait tenus. Après l'article que l'équipe d'Avery publia en 1944, c'est du côté des acides nucléiques qu'on chercha les gènes. Cette équipe avait démontré que l'ADN extrait d'une bactérie, le pneumocoque, peut d'une part provoquer une transformation d'un autre pneumocoque génétiquement différent et d'autre part être répliqué à l'intérieur de ce second pneumocoque. Il devenait ainsi évident que l'ADN n'était pas étranger à la reproduction des êtres vivants.
The transforming agent «is a highly polymerized and viscous form of desoxy ribonucleate». Cette phrase qui résume l'article que nous venons d'évoquer est l'une des plus importantes de l'histoire de la biologie.
En 1948 trois Français, A. Boivin, R. Vendrely et C. Vendrely démontrèrent que la quantité d'ADN dans les cellules est en relation directe avec le nombre de chromosomes. Une cellule diploïde (contenant quarante-six chromosomes) contient deux fois moins d'ADN qu'une cellule haploïde, qui ne compte que vingt-trois chromosomes. On savait déjà que l'ADN est le «transforming agent». Sachant désormais que la quantité d'ADN dans une cellule est proportionnelle au nombre de chromosomes, on entrait dans une voie où il serait peut-être possible un jour d'établir un lien entre la quantité précise d'ADN et un certain nombre de caractères transmis.
En 1950, le chimiste Erwin Chargaff fit franchir une étape encore plus importante à la recherche sur les acides nucléiques. On avait déjà isolé les quatre substances chimiques, appelées bases, constituant l'ADN: l'adénine (A), la thymine (T), la guanine (G), la cytosine (C). On connaissait aussi l'existence de l'uracile qui se substitue à la thymine dans une variante de la molécule d'ADN, l'ARN. Chargaff découvrit que, dans l'ADN, l'adénine existe en quantité égale à la thymine et la guanine en quantité égale à la cytosine. D'où cette équation A=T, G=C.
Le grand jour approchait. En 1953, F. H. C. Crick un Anglais, et J. D. Watson, un Américain rendirent publiques leurs découvertes concernant la structure de l'ADN et son mode de réplication. La molécule d'ADN, annoncèrent-ils se présente comme une double hélice.
Cette double hélice a été tant de fois reproduite et de manières si diverses qu'on pourrait remplir un musée uniquement avec les dessins les plus réussis.
Étant donné la petite dimension des gènes, - il en existe 100 000 répartis sur 46 chromosones eux-mêmes à peine visibles au microscope chez les humains - on se demande comment Crick et Watson on pu établir la preuve de l'organisation de l'ADN en double hélice.
Ils se sont d'abord livrés à un travail d'interprétation semblable à celui que font chaque jour les radiologistes qui analysent des négatifs de radiographies pour y déceler des signes de maladie. Examinant attentivement les traces laissées par des rayons X ayant traversé une molécule d'ADN, ils en vinrent à la conclusion que cette dernière avait la forme d'une double hélice.
Dans quelle ordre les bases A-T-G-C allaient-elles s'enchaîner sur les montants de l'échelle qui se tord pour former une double hélice? Les équations A=T et G=C établi par Chargaff amenèrent Crick et Watson à penser qu'à chaque adénine devait être rattachée une thymine et à chaque guanine une cytosyne.
On savait d'autre part que les bases étaient rattachées aux montants de l'échelle par des molécules de sucre (de désoxyribose). L'ensemble formé par chaque base et son lien avec le montant fut appelé nucléotide.
Dans quel ordre les nucléotides se succèdent-ils verticalement? C'est la réponse à cette question qui allait peut-être révéler le secret des mécanismes de la reproduction des cellules.
A partir des diverses données dont ils disposaient, Crick et Watson montrèrent comment, en raison même de sa structure, la molécule d'ADN pouvait se reproduire en se dédoublant.
Sous l'action d'un enzyme approprié, la chaîne se brise par le milieu. Il en résulte deux chaînes indépendantes dont chacune des bases attire son complément, lesquelles existent en surabondance en suspension dans la cellule.
C'est le début de la reproduction de la cellule. Le principal élément constitutif de cette dernière, rappelons-le, est la protéine. Sachant 1) que l'ADN peut se dédoubler; 2) qu'il est l'agent de transformation des organismes; 3) que les agents spécifiques de transformation sont les gènes, lesquels sont des segments de cette partie active du chromosome qu'est l'ADN, il ne restait plus pour pénétrer le mystère de la croissance des organismes 1) qu'à établir le lien entre la structure de l'ADN et celle des protéines; 2) qu'à préciser la façon dont chaque segment d'ADN, chaque gène, se traduit par une protéine particulière.
Les protéines, avons-nous dit, sont des chaînes d'acides aminés, lesquelles sont au nombre de vingt dans l'organisme humain. Tout aurait été très simple si l'ADN avait été constitué de vingt bases. On aurait tout de suite fait l'hypothèse qu'à chaque base correspondait un acide aminé; mais on était placé devant quatre bases. On découvrit très tôt cependant que chaque molécule d'ADN pouvait contenir des milliards de bases liées les unes aux autres. Pourquoi ne pas faire l'hypothèse dans ces conditions que plusieurs bases regroupées, 3 par exemple, pouvait correspondre à un acide aminé?
Cette hypothèse s'avéra être la bonne. Il va sans dire qu'il fallut beaucoup de recherches supplémentaires pour établir chaque correspondance.
Tel est le fameux code génétique. Il est le même dans tous les êtres vivants. Chaque groupe de trois bases correspondant à un acide aminé est appelé triplet ou codon.
On devine presque la suite. On peut comparer la molécule ADN à l'original d'un texte. Cet original étant précieux, parce qu'il enferme les règles de la reproduction des cellules, on conçoit facilement que la nature n'ait pas voulu l'exposer aux risques d'un voyage hors du noyau. Une copie est donc tirée. Cette copie, l'ARN (acide ribonucléique) n'est toutefois pas parfaitement conforme. La thymine y a été remplacée par l'uracile. Cette dernière substance a cependant les mêmes affinités que la thymine avec l'adénine. Par un mécanisme complexe impliquant une autre copie de l'ADN, l'ARN de transfert, les perles du collier des protéines, les acides animés seront montés en correspondance avec les triplets ou codons du code génétique.

Il serait toutefois plus juste peut-être de parler d'une révolution chimique en biologie. La révolution proprement biologique avait eu lieu au XIXe siècle; elle avait été provoquée par la découverte du rôle fondamental de la cellule. Omnis cellula e cellula, (Toute cellule naît d'une autre cellule) déclara le grand biologiste allemand Rudolph Virchow.
Loin de faire passer la biologie dans l'orbite de la chimie, cette révolution renforçait au contraire l'idée que la vie constitue une réalité distincte de la matière inanimée.
L'analyse du lien entre les gènes et les protéines, par laquelle on explique la reproduction des cellules, semble au contraire confirmer la thèse selon laquelle il n'y a aucun hiatus entre la matière inanimée et la vie.
Réduisons les découvertes de la biologie moléculaire à leur plus simple expression. L'élément actif des chromosones est l'ADN (voir révolution biologique). Les gènes sont des segments de cette molécule, laquelle est constituée de quatre bases: l'adénine, la thymine, la guanine et la cytosine. Voici, grossièrement schématisé un gène.

TTT CGT CAG

Les protéines sont des chaînes d'acides aminés. Il se trouve qu'au cours du processus par lequel la cellule fabrique une protéine, les acides aminés en liberté dans la cellule s'enchaîne les uns aux autres dans un ordre déterminé par l'ordre dans lequel les triplets de bases se succèdent dans le gène correspondant à la protéine fabriquée. Le triplet TTT correspond à la phenylanine, le triplet CGT à la glycine, le triplet CAG à la gluthamine. Il y a un tel triplet pour chaque acide aminé. Tel sont les codes génétiques? Ils sont les mêmes pour tous les êtres vivants, ils n'ont pas varié depuis les origines de la vie. La vie est mémoire, fidélité.
Quand on entend parler du code génétique pour la première fois, on l'associe spontanément au numéro de téléphone ou à toute autre code utilisé dans la vie quotidienne. On croit alors qu'il est la formule génétique de chaque individu. Et l'on est déçu d'apprendre qu'il est anonyme, qu'il est la formule de la vie en tant que telle.
La vie, variée et changeante dans ses apparences est en son fond uniforme et stable. On note toutefois que, compte tenu du fait qu'une protéine typique contient 300 acides aminés, il y a une multitude de combinaisons possibles et donc une multitude de protéines et de fonction différentes.
De quelle façon précise la variété est-elle apparue? Comment les espèces chez les plantes et les animaux se sont-elles formées? Commes les individus ont-ils surgi au sein des espèces? On cherche toujours la réponse définitive à ces questions.

Nous avons déjà évoquée le rôle joué par les gènes mutés. Nous verrons au chapitre suivant que la notion de mutation est au coeur du débat actuel sur l'évolution.

Mais c'est la réduction des lois de la vie à celle de la matière inanimé qui doit retenir pour l'instant notre attention.

Quand on s'arrête à réfléchir sur la logique simplette qui semble présider à l'organisation des codes génétiques, on peut facilement acquérir la conviction que la complexité des êtres vivants n'est qu'apparence, qu'en réalité tout en eux se réduit à des mécanismes aussi simples que ceux qui caractérisent la matière inanimée.

On peut cependant tout aussi bien soutenir que la vie est complexe en son fond comme en ses manifestations et que c'est le code génétique qui donne l'illusion de la simplicité.

A la vue de l'arbre prodigieux que constitue chaque organisme considéré sous l'angle de ses protéines, on se pose la question suivante: comment a-t-il pu se développer à partir de la cellule initiale? Il fallait bien que, de quelque façon, le tout final soit contenu dans la petite partie initiale.

Cette partie initiale, c'est l'oeuf, constitué des vingt-trois chromosomes de la femelle et des vingt-trois chromosomes du mâle. Dire que tout l'organisme à l'âge adulte est contenu dans cette partie équivaut à dire que les vingt-trois paires de chromosomes contiennent le plan de chaque protéine, de même que le plan de l'organe formé d'un même type de protéines de structure. Et ce n'est là que la dimension spatiale. Or le temps est aussi en cause. La fabrication de telle protéine, qu'on retrouve dans le foie par exemple, doit commencer à un moment précis de la croissance du foetus. Elle doit s'arrêter aussi à un moment précis, quand l'organe normal est terminé. Il faut donc que l'oeuf contienne un quelconque système de régulation dans le temps.

L'élément central de ce système de régulation est une boucle de rétroaction, où l'effet modifie la cause comme dans tous les systèmes simples où un flotteur maintient le niveau d'eau constant en contrôlant la vanne d'arrivée d'eau.

Dans cet exemple, la rétroaction est un mécanisme simple. Dans l'organisme en général, et dans chaque cellule en particulier, le processus équivalent est plus compliqué car la transmission de l'information - du genre assez! pas assez! – se fait au moyen d'agents chimiques: des enzymes par exemple. Chacun de ces agents est une substance qui doit être synthétisée au moment opportun en quantité suffisante, ce qui suppose un second système de régulation, lequel en suppose sans doute un troisième...

L'oeuf doit donc contenir un plan global de l'organisme, un plan de chacun de ses organes de même qu'un plan de la multitude des éléments constitutifs de ces organes. Il doit d'autre part contenir un programme d'action, une carte des sites d'action, dans le temps et dans l'espace.

C'est en raison de cette complexité, depuis toujours pressentie, que l'oeuf a longtemps marqué la limite du mécanisme en biologie. Vu à travers le système musculaire ou le système respiratoire, l'organisme vivant pouvait facilement apparaître comme une machine. La prise en considération de l'oeuf faisait ressurgir l'antique mystère de la vie.

Il est incontestable que la biologie moléculaire a fait reculer ce mystère au point de donner l'impression de l'avoir éliminé. L'affirmation centrale de la biologie traditionnelle – celle qui a ses origines chez Aristote – conserve néanmoins toute sa force: les êtres vivants sont autonomes (Autos – soi, nomos, loi). Ils ont en eux-mêmes leur propre loi. A force de mettre l'accent entre les gènes et les caractéristiques d'une espèce, on oublie parfois que ce qui est d'abord transmis c'est la vie, et la possibilité de vivre par soi même.
Si elle semble nier aux êtres vivants leur autonomie en les plaçant sous la dépendance de la matière inanimée, la biologie moléculaire, d'un autre point de vue, renforce l'image qu'on peut se faire de l'autonomie, de l'auto-organisation qui caractérise les êtres vivants.
Les codes génétiques peuvent paraître simplets. Ils le seraient effectivement si on pouvait démontrer qu'ils sont les ficelles d'une marionnette qu'on peut manipuler de l'extérieur. Tout devient cependant vertigineusement complexe dès lors que l'on prend en considération le fait que le tireur de ficelles est dans la marionnette, qu'il est la marionette.
Dans son magistral ouvrage sur les fondements de la biologie, Edgar Morin a bien fait ressortir le paradoxe d'une biologie moléculaire qui affirme la complexité en la niant: «C'est en voulant réduire les processus vivants aux processus physico-chimiques que la biologie moléculaire nous fait découvrir l'étonnante autonomie organisationnelle de la vie cellulaire et nous fait accéder à l'idée d'une organisation qui s'organise d'elle-même ou auto-organisation. C'est la démarche qui anéantit toute idée d'autonomie de la matière vivante qui nous fait découvrir l'autonomie de la machine vivante. C'est la recherche de la simplicité élémentaire qui nous fait déboucher sur une complexité fondamentale».

La complexité et l'autonomie

Oiseau vole
«Rien ne semble plus libre que l'oiseau dans le ciel. Rien n'est plus autonome que son vol. Et pourtant cette liberté, cette autonomie, évidentes au premier regard, se décomposent au second regard, celui d'une connaissance qui découvre les déterminismes extérieurs (écologiques), inférieurs (moléculaires), supérieurs (génétiques) auxquels, finalement, obéit le vol triomphant de l'oiseau.
La connaissance réductrice démontre que les phénomènes apparemment libres ou autonomes sont en fait extrinsèquement déterminés et, là où la détermination fait défaut, le hasard surgit et comble la brèche. Ainsi, le programme génétique, qui produit toute existence vivante, est lui-même, en dernière analyse, le produit du hasard et de la nécessité.
Si l'oiseau qui est apparemment libre est en fait téléguidé par nécessité tout en volant au hasard, qu'en est-il du ver rampant, de la plante enchaînée, et surtout de l'infime et infirme cellule?
Effectivement, lorsque la cellule fut découverte (1838), elle ne semblait guère autre chose qu'une sorte d'alvéole de vie. Mais on découvrit progressivement que cette petite chose était un être vivant complet et, à l'état unicellulaire, autonome. On se rendit de plus en plus compte que cet être vivant de base n'avait rien d'élémentaire, mais constituait un micro-organisme comportant des micro-organes fonctionnellement différenciés et spécialisés. Le microscope électronique devait enfin révéler que ce micro-organisme était un microcosme comportant par milliards des molécules individualisées, que les micro-organes ou organites étaient le siège d'opérations transformatrices, fabricatrices, communicatrices, informatrices. La biologie moléculaire fut l'opératrice de ces ultimes, fabuleuses et capitales découvertes. Animée par l'esprit réducteur, elle pouvait enfin révéler sans conteste que tous les processus vitaux étaient en fait des processus physico-chimiques. Elle démontrait qu'il n'y avait pas de matière vivante. Mais elle démontrait par là même qu'il y avait des systèmes vivants, des machines vivantes, des êtres vivants, donc de l'autonomie vivante.
Ainsi, l'autonomie, évidente au premier regard («naïf») chez l'être le plus autonome, un oiseau, disparaît au second regard («scientifique»), mais réapparaît au troisième regard chez l'être apparemment le plus infirme, la cellule.
Ce troisième regard est-il scientifique? Non, si l'on considère seulement comme scientifique la conception réductrice qui ne voit dans l'être vivant que processus physico-chimiques internes et jeux des nécessités et hasards externes. Oui, si c'est le mouvement même de la connaissance biologique qui ramène l'autonomie qu'elle a fait disparaître».
N.B. Ce texte fait partie d'un ensemble: Document suivant.

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