Clonage humain: le feu vert britannique

Jacques Dufresne
Pour bien comprendre la portée du feu vert britannique à la création d'embryons humains par clonage, il faut se reporter aux événements qui, dans la même Grande-Bretagne, ont marqué la naissance du premier bébé éprouvette, Louise Brown.
Le 16 août 2000, peu après le 22e anniversaire de Louise Brown, premier bébé éprouvette, le gouvernement britannique autorisait la création, par clonage, d'embryons humains à des fins thérapeutiques. Il était le premier gouvernement à adopter une telle position. En matière de clonage humain, l'Angleterre est donc le phare de l'humanité comme elle l'avait été au début de la décennie 1980 pour les nouvelles techniques de reproduction. Les deux scénarios sont à ce point semblables que l'on peut prédire les conséquences des décisions récentes sur la clonage à la lumière de ce qui s'est passé après le feu vert aux nouvelles techniques de reproduction.
Après la naissance de Louise Brown, le gouvernement britannique s'est doté, dans le domaine de la bioéthique et de la biopolitique, d'institutions comme The Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), qui étaient appelées à servir de modèles au reste du monde. Auparavant le rapport Warnock, publié en 1984, sur le même sujet, avait été accueilli comme un modèle à imiter par les autres pays.
Dans son édition du 17 août 2000, le journal Le monde nous apprenait que le jour où la France aura son HFEA, elle pourra à son tour autoriser la création d'embryons.
L'aval donné par le gouvernement britannique à de possibles recherches impliquant la création d'embryons humains par clonage n'a pu être donné que grâce à la stricte réglementation des activités des équipes spécialisées dans la biologie de la reproduction et l'assistance médicale à la procréation existant dans ce pays. Mise en place dès 1990 la Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA) constitue, de l'avis de tous les spécialistes, un parfait modèle de contrôle et de régulation de ce secteur qui, plus que n'importe quel autre, soulève de redoutables questions éthiques. Chargée de donner les autorisations réglementaires aux équipes qui en font la demande, de vérifier le respect des différentes normes en vigueur et dotée de pouvoirs de sanction et de ressources financières qui lui sont propres, la HFEA fonctionne de manière autonome et fournit au gouvernement britannique l'assurance que les activités développées dans les centres autorisés correspondent aux règles sanitaires et aux principes éthiques en vigueur. En France, la relecture des lois de bioéthique de 1994, qui n'interviendra pas au mieux avant le premier semestre de 2001, devrait conduire la création d'une structure du même type.
L'Angleterre a eu l'audace d'autoriser la premier bébé éprouvette avant toute réglementation sérieuse sur la question, ce qui lui a valu un succès médiatique mondial; les autres pays auraient pu lui reprocher d'avoir créé unilatéralement un précédent qui les obligeait à s'engager dans une voie qu'ils n'avaient pas encore choisie. Ils ont plutôt loué et imité sa sagesse lorsque quelques années plus tard, le rapport Warnock était publié. Ce rapport connut un succès universitaire et politique comparable au succès médiatique du premier bébé éprouvette. L'Angleterre gagnait ainsi sur les deux tableaux, celui de l'avanture et celui de la sagesse, ce qui ne lui a sans doute pas nui auprès des investisseurs.
Elle récidive aujourd'hui. Il y a eu en Angleterre et dans le reste du monde surproduction d'embryons dans le cadre de reproduction assistée. Si Louise Brown a eu 500,000 frères et soeurs d'éprouvettes, on peut en conclure qu'au moins 50 millions d'embryons peut-être ont été produits puisqu'au début, le taux de réussite n'était que de 1%. Un nombre important de ces embryons a été utilisé pour la recherche au cours des dernières années. même si de telles manipulations n'étaient pas autorisées. Au moment où la création d'embryons a été autorisée on était donc devant un fait aux trois quarts accomplis: l'embryon était déjà un objet quelconque dont on peut faire ce qu'on veut.
À l'époque du rapport Warnock, le débat éthique prenait souvent des allures casuistiques. De nombreux auteurs soutenaient qu'avant l'âge de 14 jours, l'embryon n'était pas encore un être humain à l'état d'ébauche et qu'en conséquence, les manipulations de cette petite boule de cellules étaient sans conséquences. Cette casuistique prend tout sons sens aujourd'hui. Les chercheurs qui, en Angleterre, ont manipulé pour fins de recherche des embryons d'abord destinés à la procréation justifient en effet leurs actes en précisant que les embryons en cause avaient moins de 14 jours lorsqu'ils furent l'objet de leur délicate attention.
Au début de la décennie 1980, il semblait y avoir consensus contre l'eugénisme et contre le choix du sexe de l'embryon que l'on appelait alors sexage. Les auteurs du rapport Warnock réprouvaient également l'insémination artificielle avec donneur (IAD) dans le cas d'une femme célibataire. Toutes ces limites ont été allègrement dépassées. Dans le cas de l'eugénisme, la tendance s'est même inversée au point que c'est le refus des pratiques eugénistes, suite à un diagnostic prénatal par exemple, qui sont réprouvées.
Force est de constater que les rapports de commissions d'études et les institutions qui en résultent constituent un ensemble si ambigu qu'il devient impossible de savoir s'il sert d'abord à à orienter la recherche vers le bien moral ou à légitimer à l'avance toutes les innovations en rassurant les populations au moyen de principes qui s'évaporeront d'eux-mêmes quand ils auront rempli leur première fonction.
Certes la décision britannique ne fait pas encore l'unanimité. Le professeur français Jean-François Mattei ou la ministre allemande de la santé Andrea Fisher la rejettent parce qu'elle témoigne d'une conception utilitariste de la vie. D'autres, tel le professeur Didier Sicard, craignent que les femmes ne paient très cher le développement des recherches et le clonage thérapeutique, que le recueil d'ovocytes ne soit l'objet de violences et de commercialisation de leur corps. De semblables craintes avaient été formulées dans le cas des nouvelles techniques de reproduction. En vain!
Un seul principe a été respecté jusqu'à ce jour: tout ce qui favorise la santé humainte est permis. Par santé, il faut entendre ici non seulement l'absence de maladie, mais la capacité de satisfaire ses désirs, qu'ils consistent à rajeunir son visage par la chirurgie plastique ou avoir des enfants à contretemps. Dans l'autorisation britannique le mot clé est: pour des fins thérapeutiques. La santé est l'absolu qui justifie tout. Les auteurs du rapport Warnock raisonnaient de la même manière:

À l'argument selon lequel le désir d'avoir des enfants n'est rien de plus qu'un souhait qui ne doit pas être satisfait à la place des besoins plus urgents, on peut répondre de diverses façons. Plusieurs autres traitements n'ayant pas été conçus dans le but de satisfaire des besoins absolus (en ce sens que le patient pourrait mourir sans eux) sont déjà accessibles dans le cadre du National Health System (NHS). La médecine n'a plus pour seul objectif la conservation de la vie, elle doit aussi remédier aux (dysfonctions) (malfunctions) du corps humain. Sur cette base d'analyse l'incapacité d'avoir des enfants est une dysfonction qui doit être considérée exactement comme les autres. Qui plus est l'infertilité peut être le résultat de quelque désordre qui, en lui-même, nécessite un traitement en considération de la santé du patient.

Notez bien les étapes et les étages de ce sophisme. On commence par affirmer, sans le dire expressément, que tout ce qui est fait pour la santé se situe par-delà le bien et le mal. On passe ensuite de ce plan philosophique voilé au plan légal et administratif. Des traitements semblables au traitement de la stérilité sont déjà reconnus par le NHS. On s'appuie ensuite sur une définition élargie de la médecine: elle doit aussi remédier aux dysfonctions de l'être humain. On élargit du même coup la définition de la maladie. Désormais quand on voudra légitimer une technique encore plus discutable, il suffira d'élargir encore un peu plus le concept de maladie.
Faut-il s'étonner que ce soit une manipulation de l'opinion qui serve à justifier les manipulations d'embryons? Puisqu'il ne s'agit que de fabriquer des organes et non un être humain complet, pourquoi ne pas donner le feu vert? C'est sans doute ce que la majorité des gens auront retenu quand le débat sur le clonage aura cédé la place à un autre débat destiné à le faire oublier? En réalité, si l'on veut fabriquer un foie, il faudra laisser croître l'embryon jusqu'à ce que les cellules mères de celles du foie apparaissent dans l'embryon? À quelles étapes précises du développement se situent le seuil de recolte des cellules correspondant aux organes à produire? Il sera toujours interdit de fabriquer des monstres ou des chimères, disent les communiqués. Mais si l'être humain commence au quatorzième jour, ne convient-il pas de présumer, par respect pour l'être humain, que les chimères commencent dès le septième jour?
Le recours à la notion de clonage thérapeutique a aussi pour but d'éloigner le spectre du clonage reproductif, encore frappé d'interdit dans les milieux officiels. Mais qu'est qui empêchera les manipulateurs d'embryons d'élargir la notion de clonage thérapeutique au point qu'il englobe peu à peu le clonage reproductif? Prenons le cas d'une personne atteinte d'une maladie incurable pour le moment qui la condamne à mourir à 10 ans tout au plus. Imaginons ensuite qu'il soit possible de prévenir cette maladie par une manipulation au niveau de l'embryon. Ne serait-ce pas faire preuve d'inhumanité que de priver l'enfant qui en formulerait le désir, d'une seconde incarnation plus prometteuse que la première?
La distinction entre les deux types de clonage rappelle la distinction entre l'eugénisme négatif et l'eugénisme positif? Qui s'embarrasse encore de ces nuances? Elles n'ont servi qu'à entrouvir une porte qui devait ensuite achever de s'ouvrir d'elle-même. On fera le même usage de la distinction entre le clonage thérapeutique et le clonage reproductif.
Si l'on peut tout justifier par l'argument de la santé, c,est parce que cette dernière est l'idole de notre époque, le dieu que tout moderne adore.
Puisque je suis le centre du monde, puisqu'il ne doit pas y avoir de limites aux efforts que l'on doit déployer pour prolonger mon existence, puisque cette existence, même lorsqu'elle n'est plus qu'une durée sans signification est l'absolu, je n'ai aucune raison de renoncer au clonage reproductif ou à la création d'embryons chimériques?
Si cette idolâtrie n'était qu'un phénomène accidentel, qu'un grand péché collectif dont on pourrait se repentir, le progrès pourrait prendre une autre direction. Elle est au contraire le fondement même du libéralisme anglo-saxon qui s'est étendu au reste du monde. Dans le système dont Hobbes a jeté les bases, l'intérêt individuel, dont les autres noms sont sécurité et instinct de conservation, est le centre de gravité de l'univers juridique comme de l'univers moral. La théorie de la justice de John Rawls n'a pas d'autre inspiration. Dans ce contexte, il suffit pour justifier le clonage, reproductif ou nom, que la chose ne nuise pas à la liberté et à la sécurité d'autrui. C'est pourquoi le clonage est inévitable.


Le rôle de L'Angleterre

Le leadersphip de L'Angleterre dans cette affaire n'est pas un banal fait divers. En plus d'être le pays où s'est développé la philosohie qui fait de l'intérêt individuel l'absolu, elle est celui où l'eugénisme moderne a pris forme. Un cousin de Darwinn Galton, en fut le principal théoricien. L'Angleterre est également le lieu où les adeptes du millénarisme, du paradis sur terre assuré par la technologie, ont été les plus nombreux parmi les savants et leaders du monde des affaires et de la politique.
C'est la même Angleterre, il faut le dire à sa décharge, qui a donne au monde les esprits les plus critiques à l'égard des égarements de la modernité: G. K. Chesterton, Aldous Huxley, John Cowper Powys... À quelle Angleterre voulons-nous appartenir?


Les approches différentes de Paris et de Londres

(Le Monde, 19 août)
L'aval donné par le gouvernement britannique à de possibles recherches impliquant la création d'embryons humains par clonage n'a pu être donné que grâce à la stricte réglementation des activités des équipes spécialisées dans la biologie de la reproduction et l'assistance médicale à la procréation existant dans ce pays. Mise en place dès 1990 la Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA) constitue, de l'avis de tous les spécialistes, un parfait modèle de contrôle et de régulation de ce secteur qui, plus que n'importe quel autre, soulève de redoutables questions éthiques. Chargée de donner les autorisations réglementaires aux équipes qui en font la demande, de vérifier le respect des différentes normes en vigueur et dotée de pouvoirs de sanction et de ressources financières qui lui sont propres, la HFEA fonctionne de manière autonome et fournit au gouvernement britannique l'assurance que les activités développées dans les centres autorisés correspondent aux règles sanitaires et aux principes éthiques e
n vigueur. En France, la relecture des lois de bioéthique de 1994, qui n'interviendra pas au mieux avant le premier semestre de 2001, devrait conduire la création d'une structure du même type.
Outre l'existence de la HFEA, l'invention du concept spécifiquement britannique et quelque peu hypocrite de «préembryon» ? permettant de ne pas considérer comme un embryon? un embryon âgé de moins de quatorze jours ? avait permis le développement, en toute légalité, de recherches. Elles sont en revanche aujourd'hui prohibées dans la quasi-totalité des pays européens ainsi qu'aux Etats-Unis, sauf lorsqu'elles ne sont pas financées par des fonds publics. Dans l'attente des résultats du vote au Parlement britannique, le contenu du rapport du professeur Liam Donaldson et la décision de Tony Blair soulèvent une question essentielle : quelles seront les conséquences à l'échelon de l'Union européenne de cet aval de principe donné au clonage thérapeutique ? Cette question se pose avec une acuité toute particulière en France où le gouvernement a pris un retard considérable dans la relecture des lois de bioéthique de 1994 qui aurait dû être faite en 1999. Les dispositions législatives en vigueur interdisent, en pratique, toute forme de recherche sur l'embryon humain. Mais on observe depuis quelques années un puissant mouvement en faveur d'un assouplissement de ces dispositions.

SOUS CERTAINES CONDITIONS
Le texte du projet de loi qui devrait être soumis au Parlement français prévoit, outre la création de l'équivalent d'une HFEA, d'autoriser sous certaines conditions des recherches sur l'embryon. Ces dernières ne devraient toutefois être possibles, sous certaines conditions, que sur des embryons congelés créés ces dernières années par fécondation in vitro, mais qui ne font plus actuellement l'objet d'un projet parental et qui, à ce titre, devraient être détruits. Si elles devaient être autorisées, ces recherches ne permettraient nullement aux biologistes français de s'engager, comme leurs homologues britanniques, dans l'aventure du clonage thérapeutique. Rien n'indique que le gouvernement Jospin osera prendre une initiative similaire à celle du gouvernement Blair. La prochaine étape de ce dossier est fixée au 15 novembre, date à laquelle le comité d'éthique de l'Union européenne présidé par Noëlle Lenoir rendra public son avis sur les multiples questions morales et économiques que soulève ce qui pourrait const
ituer dans les prochaines décennies une véritable révolution médicale.


Les réactions en France

- Professeur Didier Sicard, chef de service de médecine interne à l'hôpital Cochin, président du Comité national consultatif d'éthique: «Créer des embryons humains pour la recherche ou à visée thérapeutique suppose de détourner les cellules reproductrices humaines de leurs finalités reproductives, et tout particulièrement les ovocytes, cellules reproductrices des femmes. L'embryon aussi est détourné de sa finalité: son existence est mise en route, puis interrompue. Enfin, on entraîne une confusion dans la société en détournant l'embryon de sa fonction. Il ne me paraît pas choquant que les embryons surnuméraires créés par fécondation in vitro, congelés et ne participant plus à un projet parental servent, avec le consentement des géniteurs, à la recherche sur le développement embryonnaire. En revanche, j'ai la crainte que les femmes ne paient très cher le développement des recherches et le clonage thérapeutique, que le recueil d'ovocytes ne soit l'objet de violences et de commercialisation de leur corps.»

- Professeur Pierre Jouannet, responsable du service de biologie du développement à l'hôpital Cochin et du Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains: «Je pense qu'il est normal de se comporter avec les embryons comme avec l'homme à toutes les étapes de sa vie et donc d'effectuer des recherches sur sa biologie. Mais utiliser l'embryon pour un projet thérapeutique comporte des questions spécifiques liées en partie au type de cellules que l'on utilise et comment on se les ait procurées. Il faut d'abord que la société soit d'accord, ainsi que les géniteurs, et que l'on ait de très bonnes raisons cliniques, scientifiques et sociales pour mener ces recherches. Un point qui me paraît essentiel est d'empêcher que ces recherches et ces traitements, une fois leur principe accepté, se fassent dans le secteur lucratif.»

- Professeur Axel Kahn, généticien à l'Inserm: «La décision anglaise était attendue depuis longtemps, précédée par la recommandation du Comité de bioéthique de Nuffield. Même si la loi anglaise interdisait la recherche sur l'embryon dans d'autres buts que celui d'améliorer la fertilité, elle était, depuis quelques années, tolérée dans certains laboratoires ayant d'autres visées. Dans les autres pays européens, on n'envisage pas encore le clonage, thérapeutique ou reproductif. Mais, si les recherches effectuées chez les animaux ou, ailleurs, chez l'homme sont couronnées de succès, les législateurs seront face à une tension éthique entre l'idée qu'ils se font de l'embryon et les progrès thérapeutiques promis. Il sera important d'avoir un vrai débat démocratique et de ne pas nier les difficultés de tous ordres auxquels on sera confronté.»

Condamnée par Berlin et le Vatican
L'Union européenne se prononcera le 15 novembre
Mis à jour le vendredi 18 août 2000

Au lendemain de la prise de position du gouvernement britannique en faveur de la création, par clonage, d'embryons humains à des fins thérapeutiques, le Vatican a condamné cette initiative en des termes très sévères. «Cette décision ne peut que provoquer l'indignation de ceux qui respectent la valeur et le droit fondamental à la vie», écrit le Père Gino Concetti, théologien, dans l' Osservatore Romano daté du 17 août. Pour le Vatican, la décision du gouvernement de Tony Blair est «immorale» et va «à l'encontre du droit et de la justice». Cette condamnation est prononcée en dépit du fait que Londres réaffirme, pour l'heure, l'interdiction du clonage reproductif. «Cette interdiction sera-t-elle toujours en vigueur?», s'interroge le journal du Vatican, qui estime en substance que l'autorisation donnée au clonage thérapeutique pourrait n'être que l'étape précédant l'avènement du clonage humain mis en oeuvre à des fins reproductives. L'Eglise catholique estime que la vie commence au moment de la fécondation de l'ovule par un spermatozoïde et que le clonage thérapeutique conduit, en pratique, à créer une vie avant de la détruire. Le Vatican condamne de la même manière le concept britannique de «pré-embryon» et le seuil des 14 jours avant lequel un embryon humain pourrait ne pas être regardé et respecté comme tel. Pour l'Osservatore Romano, «un humain est une personne avant 14 jours et après 14 jours».
Le même jour, la décision britannique a été également condamnée par un représentant du gouvernement allemand. A Berlin, Andrea Fischer, écologiste et ministre de la santé, s'est dite opposée en principe à l'idée d'autoriser dans son pays le clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques. «Nous devrions dire une bonne fois pour toutes: nous ne voulons pas que l'on fasse des recherches sur les embryons humains, a-t-elle déclaré. Je ne veux pas encore me prononcer définitivement, mais je tiens à souligner que l'argument de l'utilité ne suffit pas en soi. Il faudra toujours peser le pour et le contre face à un possible danger. Et il y a précisément grand danger si nous permettons que les embryons deviennent du matériel pour les scientifiques.»
Selon Mme Fischer, si l'on s'engage dans la voie du clonage thérapeutique, le «besoin d'embryons» ne fera que croître «et la question se posera de savoir où on trouvera les embryons». Le débat pourrait se poursuivre devant le Parlement allemand qui a engagé, il y a quelques mois, une discussion afin d'adapter la législation en vigueur aux actuelles évolutions de la biologie et de la médecine. Mme Fischer a d'ores et déjà appelé à «ne pas prendre de décision précipitée » à la suite de la décision de Londres. Elle a rappelé que la loi allemande «pose des règles très strictes» et «stipule que la culture d'embryons à des fins de manipulation n'est pas autorisée» et a jugé que toute modification devrait aller dans le sens d'un renforcement dans cet esprit.
«TOURNANT CAPITAL» «La décision britannique marque un tournant capital dans l'orientation des recherches sur l'embryon humain, a déclaré au Monde Noëlle Lenoir, présidente du groupe d'éthique de l'Union européenne. Notre groupe s'est saisi de cette question à la suite d'un débat au Parlement européen organisé en mars dernier. Plusieurs interrogations essentielles sont soulevées. Est-il acceptable de faire de l'embryon la source de cellules à destinée thérapeutique? Les perspectives de traitement sont-elles suffisamment exceptionnelles pour autoriser de telles pratiques?» Le groupe de Mme Lenoir, qui rendra son avis le 15 novembre, devra aussi répondre à une question essentielle: dans quelles conditions ces dernières pourraient-elles faire l'objet de brevets dès lors qu'une directive européenne de 1998 prohibe expressément la délivrance de brevets sur des inventions comportant l'utilisation industrielle ou commerciale d'embryons humains? Jean-Yves Nau

Mise en garde du professeur Jean-François Mattei
Le professeur Jean-François Mattei, député DL des Bouches-du-Rhône et rapporteur des lois sur la bioéthique de 1994, a dénoncé, jeudi 17 août, la décision britannique d'autoriser le clonage humain à des fins thérapeutiques et mis en garde contre ses «graves conséquences éthiques et morales». Pour le professeur Mattei, la décision britannique «illustre une philosophie utilitariste de la vie pour laquelle la fin justifie les moyens».
«Elle implique le sacrifice de certaines vies pour en sauver d'autres avec de graves conséquences éthiques et morales pour l'évolution de notre société», ajoute-t-il. Selon le professeur Mattei, spécialiste de génétique médicale, «il est regrettable que cette décision soit prise en dehors de tout consensus international sur le sujet, alors même que d'autres voies semblent s'ouvrir à partir de cellules indifférenciées prélevées chez l'adulte dont l'utilisation ne pose pas du tout les mêmes problèmes».
Le Monde, samedi 19 août 2000

Pour en savoir plus
Dossiers du journal Le Monde sur le clonage (24 août 2000)
Articles du journal Le Monde sur le clonage

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