Essentiel
La biologie, le droit, la bioéthique, dans leur état actuel, ne peuvent pas nous aider efficacement à trouver la voie de la sagesse dans les interventions humaines sur la vie, parce que ce sont des disciplines qui se meuvent à l’intérieur d’une raison instrumentale dont le but est de dépasser
les limites alors que nous aurions besoin d’une raison respectueuse de
la limite. C’est parce qu’ils vivaient d’une telle raison que les Grecs ont eu horreur de cette démesure dans laquelle nous nous complaisons.
(voir notre dossier
Limite)
Enjeux
Nouvelle étape, même stratégie: reconnaître les risques et les problèmes moraux du clonage humain pour tout justifier ensuite en invoquant la santé, avec un trémolo dans la voix: «À la pensée de toutes les maladies que nous pourrions guérir par la culture des embryons, j’éprouve en tant que chercheur un sentiment d’obligation face à des progrès de ce genre.» C’est ce qu’on a entendu sur mille télévisions après la récente annonce de la compagnie Advanced Cell Technology.
Pour être en mesure de dire non à un tel progrès, il faudrait que nous acceptions de sacrifier l’espoir du paradis sur terre au risque d’une éternité dans une autre dimension. Un tel choix paraît insensé. Renoncer à une journée de soleil sur la terre pour une éternité dont on ne sait rien? Mais la journée supplémentaire ainsi gagnée sera-t-elle vraiment ensoleillée?
Le clonage ou l’art de se faire doubler…
Depuis la nuit des temps, les mythes de perfection et d’immortalité ont nourri les rêves les plus fous et les passions les plus destructrices. Aujourd’hui, certains, emportés par l’avidité boulimique de la technoscience et par le cannibalisme du marché, s’apprêtent à incarner ces mythes dans la chair vive, en reproduisant à l’identique du vivant prétendument amélioré.
Sur l’avant-scène médiatique, ils proposent, sous l’alibi de la stérilité, de cloner des êtres humains. Mais déjà, à l’arrière scène, se jouent les enjeux économiques véritables: le clonage d’embryons humains et d’animaux transgéniques conçus comme laboratoires vivants et véritables viviers industriels.
Ainsi, d’un coté, on observe avec une complice désinvolture, le biologiste Richard Seed, l’extrémiste Randolphe Wicker du
Clone Rights United Front, et quelques milliers de Raéliens menant campagne en faveur du clonage humain. Présenté comme inquestionnable progrès de la technoscience, le clonage serait un droit absolu à avoir son propre enfant… «sans gènes étrangers»…spectre d’un nouvel
eugénisme redoutable. Fascinés par ces fantasmes incarnés d’immortalité et d’auto-reproduction narcissique, sans sexe et sans autre, certains semblent ignorer que cet étonnant projet de bouturage d’êtres génétiquement améliorés, aurait entre autres pour effet de disloquer les alliances entre les sexes et les générations et d’instaurer de nouveaux clivages eugénistes. On verrait alors le temps bégayer, les filiations se replier sur l’inceste et les identités se flétrir. Cette expérimentation sauvage sur certains de nos enfants, accélérerait ce processus aveugle nous conduisant déjà, somnambules et rêvant au
Cyborg, à nous échapper de nous-même, à changer d’espèce et à déserter l’
humanité… du moins celle que nous avons connue jusqu’alors…
Si certains milieux scientifiques s’indignent à l’idée que le clonage d’êtres humains passera un jour de la fiction à la réalité, rares sont ceux qui interrogent les projets déjà en acte de clonage d’embryons humains et d’animaux transgéniques, au nom de conceptions univoques du progrès, de la santé et de l’économie qui font largement l’impasse sur les questions de responsabilités et d’impacts de cette ingénierie du vivant en fonction d’enjeux économiques, souvent à courte vue…