Autrefois, on voyageait surtout pour voir les hommes, pour s'enquérir de leurs mœurs, de leur caractère, et le premier soin de qui entrait dans une auberge était de s'enquérir des nouvelles du pays; c'était un bonheur de rencontrer un homme aimable et un peu bavard.
Stendhal appartenait encore à cette école. Bien qu'il fût extrêmement sensible aux paysages et même aux monuments, jamais il ne négligeait l'humanité, qui leur donne sa valeur. Ses voyages en Italie ou en France sont beaucoup plus des excursions à travers les esprits qu'à travers la nature inanimée. Il est le dernier des grands touristes intellectuels. Cependant, on pourrait encore noter
Taine qui l'admirait trop pour n'avoir pas essayé de l'imiter en cette matière : mais qu'il est gourmé, sec et sévère ! Il s'enquiert des mœurs plutôt par devoir que par curiosité, et sa précipitation à généraliser géométriquement est bien fatigante. Ce n'est qu'après lui, cependant, que les
touristes perdent tout intérêt pour l'humanité : une seule chose va maintenant les requérir, le pittoresque. C'est uniquement pour le pittoresque que l'on voyage dorénavant. On va de site en site et de monument en monument en lisant un journal et en se désintéressant de la vie, qui n'est plus perçue que par l'extérieur et avec laquelle on ne se soucie même plus de prendre contact. Il semble que les pays, que l'on traverse trop vite, ne soient plus que des déserts où l'oasis seule mérite un court séjour. On arrive, on regarde et l'on repart. On va, voir la cathédrale et le musée, ces choses mornes et mortes, on ne s'avise plus de faire le tour du marché et de causer avec les paysans.
Mallarmé disait bien qu'une seule chose est désormais utile en voyage, une pièce de monnaie, la monnaie du pourboire ! L'esprit d'observation, l'âme, quand on en a, on les peut laisser chez soi : c'est bien encombrant et ce n'est plus à la mode.