Un Québec à prendre

Jacques Dufresne

Il est des moments dans l'histoire d'un peuple où tout est possible même si tout semble éclaté. C'est le cas du Québec en ce moment. Le Bloc québécois, parti qui représentait majoritairement le Québec à Ottawa depuis près de vingt ans, a été rayé de la carte aux récentes élections fédérales, le vote majoritaire s'étant reporté sur un parti de gauche, le NPD, Nouveau parti démocratique, qui n'avait aucune racine au Québec. Sur la scène provinciale, le parti québécois, parti souverainiste fondé en 1968 par un chef charismatique, René Lévesque, est en proie à une querelle intestine qui ruine ses chances, hier encore bien réelles, d'être élu aux prochaines élections provinciales d'ici deux ans. Pendant ce temps, un parti qui n'existe pas encore triomphe dans les sondages, tandis que le député d'opposition qui possède au plus haut degré les qualités que les Québécois attendent d'un chef en ce moment, Amir Kadir, est l'unique élu d'un parti de gauche, Québec solidaire, qui ne recueille que 5% des intentions de vote. Un autre parti, l'Action démocratique du Québec, qui a connu son heure de gloire virtuelle il y a quelques années, est retourné dans la marge. J'appelle heure de gloire virtuelle un succès à la fois inattendu, imprévisible et sans lendemains.

Le Québec est à prendre: pour le meilleur, le pire ou le rien. Le rien nous l'avons déjà à Québec, ce qui n'est pas rien, cela dit sans jeu de mots, car un parti qui n'a ni convictions, ni vision, qui demande seulement qu'on tolère ses menus scandales, peut être un moindre mal pourvu qu'il sache compter. Ce rien pourrait toutefois devenir le pire s'il était réélu pour un quatrième mandat. En ce moment, les Québécois estiment que le meilleur se trouve du côté de la coalition qui est en voie de devenir un parti. Il s'agit de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ), dirigée par un ancien ministre du parti québécois, François Legault. La rumeur veut que le parti qu'elle s'apprête à créer s'appelle Parti démocratique du Québec. La belle province comptera ainsi six partis : Le PLQ, parti libéral du Québec au pouvoir en ce moment, le PQ, Parti québébois souverainiste, Solidarité Québec, autre parti souverainniste, l'ADQ, Action démocratique du Québec, le Parti vert et enfin le PDQ, parti démocratique du Québec, porté gagnant dans les sondages.

Dans les documents produits par la CAQ, je ne vois encore rien qui ressemble même de loin à une vision d'ensemble poussant la cohérence jusqu'aux détails. Au début de la décennie 1990, Me Jean Allaire, ancien président du parti libéral du Québec, avait créé, de concert avec Mario Dumont, Jacques Proulx, Claude Béland, un rassemblement semblable. Il faudrait relire le rapport de ce groupe, intitulé Un Québec responsable, ne serait-ce que pour le comparer à celui de la nouvelle coalition. Pourquoi le passage de la coalition à un parti politique, l'Action démocratique de Mario Dumont, a-t-il été un échec? C'est une question à laquelle François Legault et ses amis réfléchissent sûrement en ce moment. Le passage d'une bonne coalition à un bon parti ne va pas de soi.

Il y a d'excellentes choses dans le programme de la Coalition pour l'avenir du Québec, dont l'autonomie accordée aux écoles et l'importance accordée aux enseignants mais pour l'instant du moins, on ne sait rien de sa politique sur des questions aussi importantes que l'énergie, l'environnement et le développement durable. Ajoutons que les défis à relever pour chacun de ces trois points sont tels qu'une vue d'ensemble et un recours à la pensée complexe sont nécessaires dans chaque cas,.

Sans doute la Coalition s'intéressera-t-elle à ces questions dans une prochaine étape, mais le fait qu'elle a déjà précisé ses positions sur l'économie, l'éducation et la santé sans tenir compte du rapport à la nature et de la question de l'énergie prouve déjà qu'elle accuse un retard inquiétant par rapport à bien des groupes, ici même au Québec et ailleurs dans le monde, lesquels ont intégré la vue d'ensemble et la pensée complexe à leur démarche. Et même si l'on estimait que le programme de la Coalition est complet, solide et pertinent, il faudrait souhaiter que d'autres offres soient faites : le Québec n'est pas encore à vendre, mais il est à prendre et il faut souhaiter qu'il se donne au mieux offrant, ce qui suppose qu'il ait le choix entre plusieurs offres de qualité.


Le Québec en transition

Rendez-vous sur Transition.net et Quebecentransition.org. Vous y trouverez une précieuse information sur un mouvement auquel des milliers de villes, de villages et de communautés ont adhéré au cours des trois dernières années. Fondé en Angleterre, à Totness, près du Schumacher Institute, le mouvement de Transition consiste à adopter une position proactive sur les questions interreliées de l'énergie, du développement et de l'environnement.

Au lieu de réagir à la hausse du prix du pétrole et à la crise financière par des adaptations improvisées, les groupes impliqués dans les Initiatives de Transition , transforment le grand défi du pic pétrolier en une occasion de fonder un nouveau plan d'action sur une vision de l'avenir qu'ils ont eux-mêmes précisée. À quoi voulons-nous que notre ville ou notre région ressemble en 2030? Les citoyens engagés sont d'abord invités à répondre à cette question.

L'exercice, la preuve en est faite, peut devenir passionnant s'il est bien dirigé. Il se trouve que le mouvement  Initiatives de Transition met à la disposition de ses membres et futurs membres un Manuel de Transition fort bien fait. On y met l'accent sur la vision, la résilience, la permaculture, sur fond de pensée complexe, cela va sans dire. Il se trouve aussi, signe des temps, que ce sont des Québécois qui l'ont traduit en français, pour publication aux Éditions ÉcoSociété. Si les partis politiques avaient des guides de cette qualité pour orienter leur action et leur pensée, la population les considérerait sans doute avec un peu moins de cynisme.

Le pétrole n'est pas un bien de consommation quelconque que l'on peut remplacer par un autre sans que personne ne s'en aperçoive. Il est omniprésent dans nos vies personnelles aussi bien que dans l'économie de nos pays. Il a façonné nos paysages et même nos visages, dans la mesure où il entre dans la formule des produits nécesssaires au maquillage et à la chirurgie esthétique. Il a eu un effet déterminant sur nos rapports sociaux. Sans lui nos banlieues ne seraient pas ce qu'elles sont et les épiceries de quartier n'auraient peut-être pas disparu. Il y eut l'âge de pierre, l'âge de fer et longtemps après, le siècle du pétrole. Un siècle seulement, car l'essentiel de cette ressource précieuse aura été consommé entre 1935 et 2035.

On ne saurait sortir de la dépendance à l'égard d'un tel produit sans un bouleversement majeur touchant l'ensemble des activités humaines. Les mains se lèvent déjà, tout le monde aura une question à poser, une proposition à faire. La construction de deux grands hôpitaux au centre de Montréal était-elle une décision sage? A-t-on tenu compte de ce que coûtera le transport des employés et des visiteurs dans trente ou cinquante ans? La même question se pose à propos des grands équipements sportifs et culturels comme l'amphithéâtre de Québec. Certains ont réclamé l'abolition des cégeps, ces institutions d'enseignement supérieur si bien implantées dans les régions du Québec. Peut-être faudra-t-il les agrandir? Le transport scolaire correspond-il à une nécessité si évidente qu'il faille s'abstenir d'en limiter l'usage et le coût? En 2008-2009, il a coûté au Québec 572 millions. En 2011, la facture s'élèvera sans doute à plus de 600 millions soit plus que le coût prévu par la Coalition sur l'avenir du Québec pour sa politique d'éducation, qu'elle place au premier rang de ses objectifs.

Quand un bien devient rare, on le rationne, ce qu'on a fait pendant la guerre de 1939-45 dans de nombreux pays pour le pétrole. Il faut des critères pour établir un rationnement juste. Le Québec a-t-il un plan d'urgence pour la répartition du pétrole en cas de pénurie? Il faut voir encore plus loin. Parmi les divers secteurs d'activité qui dépendent du pétrole, quel sera le premier servi? Le transport aérien, la voiture individuelle, l'agriculture, l'industrie chimique?

Ne conviendra-t-il pas de faire du circuit court - le plus court trajet entre le point d'origine d'un produit et son point de destination - une règle applicable à une grande variété d'activités? La part de ses aliments que le Québec tire de ses cours d'eau et de ses lacs est dérisoire en ce moment. N'est-ce pas regrettable?

S'il y a tant de gazons dans le monde, en particulier en Amérique du Nord sur les terrains de golf, ce n'est pas uniquement pour des raisons esthétiques ou anthropologiques, parce que le gazon rappelle la clairière primitive, c'est aussi parce que le coût de l'entretien de ces espaces a été négligeable depuis le début de l'âge du pétrole. Le sera-t-il encore demain? Ne serions-nous pas encore plus heureux dans nos maisons si un potager et des arbres fruitiers remplaçaient le gazon? L'architecture, l'aménagement, à la ville comme à la campagne, tout est à repenser. Ce renouveau est l'une des raisons d'être du mouvement Villes en transition, puisqu'il est né dans le sillage de la permaculture, dont on peut dire entre autres choses qu'elle est une stratégie d'aménagement basée sur l'apport minimal d'énergie.

Certes, il est difficile d'imaginer qu'un parti politique provincial puisse en ce moment inscrire la permaculture à son programme. Il est essentiel toutefois qu'il tienne compte à la fois de la complexité et d'un long terme marqué par la rareté du pétrole et par le réchauffement climatique. Les experts prédisent que vers la fin du présent siècle la température de Chicago sera celle qui a cours à l'heure actuelle à Bâton Rouge (Louisiane) et que la pluie y sera beaucoup plus fréquente et abondante qu'aujourd'hui. Pour pouvoir prendre ces experts au sérieux et agir en conséquence, il faut, comme nous le rappelle Andrée Mathieu dans sa Lettre au ministre du développement durable, passer de la pensée linéaire à la pensée complexe. Comme on l'a déjà fait à Chicago où l'on pave les rues avec de l'asphalte plus perméable à l'eau que celui qu'on avait utilisé jusqu'ici. À Toronto, pour les mêmes raisons, on modifie les espèces d'arbres destinés à l'ornementation de la ville. Des changements de ce genre, la ville reine en a prévu soixante-dix (70) dans son plan d'action Climat Change adopté en 2008 (Globe and Mail, 4 juin 2011).

Il faut souhaiter que l'un ou l'autre de nos nombreux partis politiques provinciaux voudra s'engager dans une telle aventure, faute de quoi, il faudra que les citoyens déjà engagés dans des projets de Villes en transition se réunissent pour faire la démarche pour l'ensemble du Québec. Et ce assez rapidement pour que l'offre de la Coalition pour l'avenir du Québec puisse être comparée à la leur où l'avenir sera véritablement pris en considération. Deux façons de préparer l'avenir. La première, celle de la Coalition de François Legault, consiste à prolonger les tendances actuelles avec une pensée linéaire qui convenait mieux au passé qu'elle ne convient à l'avenir tel que nous avons toutes les raisons de l'entrevoir. La seconde consiste à partir d'une vision formée en commun et à modifier ou infléchir les tendances pour qu'elles correspondent à la vision de l'avenir. Cette méthode est celle de Initiatives de transition.

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