Le système de Ptolémée

Jacques Dufresne
Pour les stoïciens comme pour les pythagoriciens donc, morale, cosmologie et métaphysique ne faisaient qu'un. Et dans cet ensemble, le matériel était subordonné au spirituel. Rien n'est plus étranger à l'esprit moderne qu'une telle vision globale et hiérarchisée des choses.

    C'est ce qui nous permet de comprendre, a posteriori, pourquoi ce n'est ni le système de Pythagore ni celui des stoïciens qui s'imposa dans la chrétienté, mais celui de Ptolémée, dont la principale caractéristique est que Dieu se trouve dissocié de l'univers, d'un univers dont il devient dès lors plus intéressant d'analyser le fonctionnement, fût-ce à partir de prémisses fausses. Les rouages dont parle Ptolémée qui n'ont de toute évidence rien de divin en eux-mêmes, sont une préfiguration des idées modernes sur le monde.

    La cosmologie de Ptolémée

    Ptolémée était encore cité comme une autorité au XVIIe siècle. Lui-même tirait sa propre autorité d'Aristote dont il avait achevé le système.

    Aristote place la Terre, immobile, au centre de l'univers. Neuf sphères transparentes et concentriques l'entourent: la lune, Vénus, Mercure, le soleil, Mars, Jupiter, Saturne, les étoiles fixes et Dieu. Dieu, lui-même immobile, est le premier moteur: il fait tourner l'ensemble dans un mouvement circulaire éternel.

    Contrairement au Dieu de Pythagore au coeur du monde, le Dieu d'Aristote lui est extérieur et demeure étranger aux mortels qui ne peuvent en attendre aucun secours. Pour rendre compte des phénomènes observés dont on savait déjà qu'ils ne permettent pas de conclure à l'existence d'un mouvement circulaire uniforme, Aristote faisait l'hypothèse qu'il existe des dizaines de sphères tournant autour d'axes différents, comme emboitées les unes dans les autres. La perfection d'un astre était inversement proportionnelle au nombre de sphères qui l'animaient. Et l'honneur des formes parfaites était sauf.

    Le monde sublunaire, c'est-à-dire la Terre et l'espace circonscrit par le mouvement de la lune est imparfait et altérable par opposition au monde situé au-delà du domaine lunaire, lequel est éternel et inaltérable. Alors que le monde sublunaire est composé de quatre éléments - l'air, le feu, l'eau et la Terre -, au-delà de la lune, l'éther remplace les quatre éléments. Ainsi donc, le cosmos aristotélicien est hiérarchisé et, bien qu'elle en soit le centre, la Terre en est la partie la plus imparfaite.

    Comme Aristote, Ptolémée situe la Terre au centre du monde et les astres autour d'elle. Il conserve aussi l'idée d'un monde céleste parfait superposé à un monde sublunaire imparfait, mais pour expliquer le mouvement circulaire des astres à vitesse uniforme, il rattache les planètes à des roues non à des sphères, ce qui l'amène à supposer l'existence d'une quarantaine de roues décentrées auxquelles sont attachés les corps qui tournent comme dans des engrenages.

    L'idée de la Terre immobile au centre de l'univers et celle du mouvement circulaire et uniforme étaient destinées à défier les siècles, à résister à une critique fondée sur des faits dont certains étaient connus déjà du vivant de Ptolémée.

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