Mensonge et méprise
Samedi le 25 janvier 2003
La vie (…) est faite de méprises; elle est peut-être basée sur la méprise. Nous passons nos instants à nous tromper sur la valeur des choses et des hommes, et souvent cela nous est agréable et même utile. S’il régnait un accord parfait entre nos jugements et la réalité, l’exercice même de la vie nous paraîtrait bientôt fastidieux. On est mécontent d’avoir été trompé, mais comme on est content de l’être, souvent, au moment même où on l’est! L’homme le plus heureux est celui qui est capable de subir le plus naïvement les mensonges nécessaires de la vie. Il y a même une certaine naïveté acquise – parfois chèrement – qui mettra volontiers sur le même plan le mensonge et la sincérité. Sont-ils si rares, les hommes désabusés qui savent, par exemple, se contenter de l’apparence de l’amour? Ils n’ignorent pas que la sincérité n’ajouterait rien à l’excellence de la mimique dont ils sont les dupes contentes : et ce bonheur factice ne l’est pas tant qu’on pourrait le croire. Qui pourrait d’ailleurs oser, dans la catégorie sentiment, être juge de la sincérité d’autrui, alors qu’on a tant de peine à s’assurer de sa sincérité propre? Deux mensonges peuvent fort bien donner d’excellentes illusions réciproques; il y faut seulement une certaine habileté et une bonne volonté décidée.