Les deux niveaux de liberté

Jacques Dufresne
Connaître pour pouvoir choisir ou choisir pour choisir?
La liberté réside dans le choix entre des objets ou des projets (tel ou tel moyen de transport, telle ou telle destination) et à un niveau supérieur, dans le choix entre deux orientations de l'âme, vers le Bien, ou vers le mal, vers la lumière ou vers l'obscurité: sortir de la caverne ou y rester enfermé.
Les deux niveaux peuvent exister séparément. Il y a des situations ou le choix entre les objets ou les projets se fait dans l'indifférence à l'égard du Bien et du mal, et d'autres situations où l'on consent à s'orienter ou non vers le Bien en l'absence de tout objet et de tout projet.
Les deux niveaux peuvent aussi s'entremêler. On peut s'orienter vers le Bien ou le mal en choisissant tel objet ou tel projet (un lieu sacré plutôt qu'une destination quelconque) comme on peut être poussé vers tel objet ou tel projet par une orientation fondamentale vers le Bien ou vers le mal.
Selon que l'on met l'accent sur le lien entre les deux niveaux ou sur leur séparation, on est plutôt favorable à la société autoritaire ou à la société libérale. L'importance accordée aux liens entre les deux niveaux, en rendant plus manifestes les conséquences des choix, dans un ordre et dans l'autre, incite à leur imposer une limite, ce qu'on fait dans les sociétés autoritaires; tandis qu'en mettant l'accent sur la séparation entre les deux niveaux, on est porté à minimiser les conséquences des choix, ce qui incite à ne leur imposer aucune limite.
Dans les sociétés démocratiques actuelles, le choix est l'alpha et l'oméga de la liberté. On ne choisit plus une chose parce qu'elle est bonne, elle est bonne parce qu'on la choisit. Plutôt que de viser le choix du bien, on fait du choix le bien. Comme la connaissance réduit les possibilités de choix, on fait de l'ignorance un objet d'attachement, un privilège à défendre. Il existe certes une connaissance, celle des moyens techniques séparés de leur finalité ou celle des objets et des projets offerts, qui est parfaitement compatible avec la liberté définie par le choix. C'est cette connaissance qui est en vogue en ce moment. La connaissance qui limite le choix et en montre le caractère illusoire est celle qui porte sur la nature des choses et sur leurs fins. Elle est en régression. C'est de sa remontée que dépend toute forme d'accomplissement fondée sur autre chose que la force et l'argent, qui multiplient les occasions et les moyens de choisir. C'est elle aussi qui fonde l'espérance. Si la mort est la fin des choix, il n'est pas exclu qu'elle soit l'achèvement de la connaissance.
Gardons-nous toutefois de limiter le débat sur la liberté à cette opposition entre le choix et le connaissance. La liberté peut aussi prendre la forme de la dignité comme à la Renaissance, ou de la vie: cette néguentropie, cette lutte contre la pesanteur.

Autres articles associés à ce dossier

Liberté d'expression

Jacques Dufresne

C'est toujours une illusion de croire que la liberté d'expression n'est plus menacée et la vigilance n'est jamais aussi

Libertés techniquement assistées

Marc Chevrier

Les libertés que l'homme contemporain revendique pour lui arrivent rarement telles quelles. Elles sont techniquement assistées

L'homme libre

Bonaventure de Fourcroy


Liberté

Paul Éluard


Bien en soi-même

Jacques Dufresne


Les cinq libertés

Virginia Satir


La liberté

Jacques Dufresne


Conditionnement et liberté

Jeanne Parrain-Vial

Article tiré de la revue Critère, No 4, Le crime, Montréal 1971. Certains économistes croient pouvoir

L'illusoire liberté

Baruch Spinoza

Voici trois pensées de Spinoza sur la liberté

La philia et la liberté

Jacques Dufresne

Pour cette incursion au pays de la philia et de la liberté, j'aurais pu choisir comme guides les philosophes les plus grands et les plus réputés: P

À lire également du même auteur

Une rétrovision du monde
C‘est dans les promesses d’égalité que Jean de Sincerre voit la premi&egra

Éthique de la complexité
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents