Les deux niveaux de liberté
Les deux niveaux peuvent exister séparément. Il y a des situations ou le choix entre les objets ou les projets se fait dans l'indifférence à l'égard du Bien et du mal, et d'autres situations où l'on consent à s'orienter ou non vers le Bien en l'absence de tout objet et de tout projet.
Les deux niveaux peuvent aussi s'entremêler. On peut s'orienter vers le Bien ou le mal en choisissant tel objet ou tel projet (un lieu sacré plutôt qu'une destination quelconque) comme on peut être poussé vers tel objet ou tel projet par une orientation fondamentale vers le Bien ou vers le mal.
Selon que l'on met l'accent sur le lien entre les deux niveaux ou sur leur séparation, on est plutôt favorable à la société autoritaire ou à la société libérale. L'importance accordée aux liens entre les deux niveaux, en rendant plus manifestes les conséquences des choix, dans un ordre et dans l'autre, incite à leur imposer une limite, ce qu'on fait dans les sociétés autoritaires; tandis qu'en mettant l'accent sur la séparation entre les deux niveaux, on est porté à minimiser les conséquences des choix, ce qui incite à ne leur imposer aucune limite.
Dans les sociétés démocratiques actuelles, le choix est l'alpha et l'oméga de la liberté. On ne choisit plus une chose parce qu'elle est bonne, elle est bonne parce qu'on la choisit. Plutôt que de viser le choix du bien, on fait du choix le bien. Comme la connaissance réduit les possibilités de choix, on fait de l'ignorance un objet d'attachement, un privilège à défendre. Il existe certes une connaissance, celle des moyens techniques séparés de leur finalité ou celle des objets et des projets offerts, qui est parfaitement compatible avec la liberté définie par le choix. C'est cette connaissance qui est en vogue en ce moment. La connaissance qui limite le choix et en montre le caractère illusoire est celle qui porte sur la nature des choses et sur leurs fins. Elle est en régression. C'est de sa remontée que dépend toute forme d'accomplissement fondée sur autre chose que la force et l'argent, qui multiplient les occasions et les moyens de choisir. C'est elle aussi qui fonde l'espérance. Si la mort est la fin des choix, il n'est pas exclu qu'elle soit l'achèvement de la connaissance.
Gardons-nous toutefois de limiter le débat sur la liberté à cette opposition entre le choix et le connaissance. La liberté peut aussi prendre la forme de la dignité comme à la Renaissance, ou de la vie: cette néguentropie, cette lutte contre la pesanteur.