OIKOS
En juin dernier 1, le démographe Jacques Henripin proposait une explication de notre infécondité: «Si nous refusons de faire des enfants, cela signifie peut-être, essentiellement, que nous avons perdu le goût de la vie...».
Chez nos enfants parvenus à l'âge adulte, la deuxième cause de mortalité est le suicide, après les accidents de voiture...
«Le goût de la vie»... perdre le goût de la vie: mais pourquoi? mais comment?
Et parce que tout se tient en nous, parce que la vie est un mystère insondable, au même moment des enquêtes nous révèlent l'état pitoyable de la vie intellectuelle, culturelle des jeunes qui fréquentent nos écoles secondaires, nos cégeps et nos universités.
À cela, rien de surprenant: nous récoltons les fruits amers d'une vision du monde qui asphyxie nos sociétés et atrophie tous les humains qui y vivent.
Une vision du monde
Lucien Goldmann a défini ainsi une vision du monde: «une perspective cohérente et unitaire sur les relations de l'homme avec ses semblables et avec l'univers. La pensée des individus étant rarement cohérente et unitaire, la vision du monde correspond rarement à la pensée réelle de tel ou tel individu» 2.
D'où l'importance de retrouver et d'identifier cette vision du monde à travers les faits et gestes des individus et dans les démarches de toutes sortes de la société, entre autres dans ses choix politiques, économiques, sociaux, culturels et dans les institutions qu'elle se donne pour les réaliser.
C'est à travers tout cela que s'exprime une vision du monde qui peut échapper aux individus mais qui n'en constitue pas moins la trame de toutes leurs décisions et, par là même, de tous leurs faits et gestes. Le fait qu'ils n'en aient pas conscience ne change rien à la réalité: ils agissent et leurs gestes ont des conséquences.
Ainsi l'actuel débat autour de la reproduction humaine «industrialisée», pour reprendre le titre qu'a donné Jacques Dufresne à son récent ouvrage sur ce sujet, illustre-t-il très bien l'affrontement de deux visions du monde: une vision organique, à qui répugne toute intervention dans la transmission de la vie et une vision mécaniste qui ne voit aucune objection à utiliser toutes les techniques existantes pour assurer une fécondation. Ce débat a ceci de particulier qu'il a pour objet la vie elle-même et qu'il auréole la technique d'une sorte de générosité: donner un enfant à des parents qui n'en auraient pas autrement.
Mais cette apparente générosité ne doit pas nous faire oublier que ceux qui s'en autorisent ont franchi une limite jusque là respectée: l'origine même de la vie humaine. Et ils l'ont fait en toute quiétude, tous, sauf celui qui est à l'origine de cette technique, Jacques Testard, qui, lui, a mis fin à ce genre d'expérience quand il a compris jusqu'où cela pouvait conduire. Ce faisant, il a affirmé son respect pour l'inimaginable complexité de la vie et reconnu qu'il existe des limites à ne point franchir. Ce sens de la limite a son origine dans une vision du monde.
La vie comme valeur fondatrice
Pour réparer les cœurs défaillants, les chirurgiens doivent, le temps de l'intervention chirurgicale, confier à un appareil à circulation extra-corporelle le soin d'assurer la relève du cœur humain. La comparaison est éloquente: le cœur et les poumons humains ne pèsent qu'un kilogramme et occupent un volume restreint alors que l'appareil qui y supplée pèse 146 kilos et occupe un volume important 3. Et, qui plus est, il faut s'assurer qu'une génératrice (énorme, elle aussi!) prendra la relève en cas de panne de courant.
Nous pourrions multiplier les exemples. L'essentiel, c'est de reconnaître que la vie crée des fonctions fragiles et délicates dont nous commençons à peine à saisir la complexité. Gustave Thibon a résumé en quelques mots le mal qui nous guette: «Ignorance des synthèses et des hiérarchies qui sont le signe de la vie» 4. Vie physique mais, aussi, vie du cœur, de l'esprit, de l'âme. Vie des sociétés, vie des institutions. Partout, la vie a créé des synthèses et des hiérarchies fort complexes: la famille, les quartiers, les écoles, les villages, les traditions de toutes sortes.
L'expérience des vingt dernières années nous a appris le coût du remplacement de ces «synthèses» et de ces «hiérarchies», créées par la vie, par des machines administratives lourdes, encombrantes et qui ne sont toujours que des prothèses. Il en va de nos machines administratives comme de l'appareil à circulation extracorporelle: elles prennent beaucoup de place, coûtent très cher et ne remplacent jamais la vie.
Aux sources de la vie, le langage de la vie
«Terra educat»: la terre nourrit, disaient les Latins. Le mot «éducation» a donc une origine nourricière. Il s'en trouve pour donner à l'éducation une autre origine étymologique: le verbe educere: faire sortir de, tirer de. Deux visions du monde, deux conceptions de l'éducation. Les images du Sahel nous viennent alors à l'esprit: les terres surexploitées, les arbres coupés, le sol durci et, comme résultat, le désert.
Pour redonner vie à leur village assailli par les dunes de sable, les habitants d'un village, conseillés, aidés par un ingénieur italien, ont, depuis une vingtaine d'années planté des milliers d'arbres. La télévision nous a montré ces images émouvantes du combat acharné des arbres contre le sable et leur verdoyante victoire, toujours fragile, menacée qu'elle est par le va et vient des troupeaux des nomades, les coupes de bois, le feu...
Ces images ne sont pas que des images: elles témoignent de «la présence de la pensée symbolique, aux sources de la réflexion humaine». Cette pensée symbolique constituerait «une matrice de sens qui agirait jusqu'aux sommets de la pensée spéculative» 5.
Ainsi l'image de la racine «qui d'abord correspond à un archétype enseveli dans l'inconscient de toutes les races» ce qui permet la communicabilité.
Pour bien comprendre la vie, il faut employer le langage de la vie: et parce que la vie est faite d'interactions, d'interdépendances, «Le mot lui-même, racine, est un mot inducteur, qui fait rêver, très riche d'associations» 6. Nous avons donc choisi, pour expliquer notre conception de l'éducation, des mots «inducteurs»: l'humus est notre maître mot, notre mot clef.
L'humus nourricier et protecteur
L'humus, la terre arable, couche insignifiante qui recouvre des épaisseurs incommensurables de sable et de roc. Pourtant, sans cette couche si mince, si fragile, toute la terre ne serait qu'un désert.
L'humus, c'est la grande leçon que nous donne la vie: il faut de l'humus pour permettre à la vie de s'implanter et de retenir ainsi le sol. Sans lui, l'érosion ruine tout: la pluie arrache les pierres les plus solides sur le flanc des montagnes, ronge les berges des cours d'eau, s'infiltre dans les sols fragiles et fait s'affaisser des maisons, des villages entiers.
L'humus est un bel exemple du travail de la vie: c'est une de ces fonctions complexes et fragiles dont nous avons déjà fait mention, une de ces synthèses et de ces hiérarchies dont Gustave Thibon disait qu'elles étaient «le signe de la vie». L'humus protège le sol et permet ainsi à la vie de s'implanter: il nourrit la vie et la vie le nourrit. L'arbre qu'il a nourri, le nourrit, à son tour, de ses feuilles.
L'image est «inductrice», le symbole riche et fructueux, vivifiant surtout. Il en va de la vie humaine et de la vie des sociétés comme de celle des arbres et des plantes: sans humus, l'érosion ruine tout et le désert ensable tout.
L'homme a transformé en désert ce qui a déjà été le grenier de l'Empire romain. Il vient à peine de prendre conscience de sa bêtise. «Sans ses arbres, l'Éthiopie perd plus d'un milliard de tonnes d'humus par année». Selon le météorologue F. Kenneth Han, de l'Université de Toronto, cet humus est essentiel au cycle des pluies. Après deux décennies d'érosion, l'Afrique est comme une éponge séchée: «La capacité de rétention d'eau du continent africain a peut-être diminué de façon permanente» 7. Si l'homme agit de même dans ses interventions culturelles, politiques, économiques et sociales, il crée des «déserts». Et cela vaut, aussi pour nos vies personnelles: l'humus est mince, fragile et quand il est détruit, plus rien ne résiste aux grandes tempêtes intérieures.
L'érosion a fait des dégâts dans nos sociétés parce que nous en avons détruit l'humus. Cela nous ramène à nos grandes questions de départ: la dénatalité, le suicide des jeunes, la véritable érosion culturelle dont nous commençons à prendre conscience. Le poète nous avait pourtant mis en garde:
Les feuilles tombent
mais les racines demeurent
Et meurt la tête
quand meurent les racines.
Il est bien difficile de faire l'histoire des racines.
Il est beaucoup plus simple de les renier.
Mais alors, que devient la tête? 8.
La vision mécaniste du monde
Marcuse a utilisé une expression riche de sens «le noyau dur au cœur des institutions». Ce «noyau dur» pourrait bien être une vision du monde, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà vu, «une perspective cohérente et unitaire sur les relations de l'homme avec ses semblables et avec l'univers». On peut concevoir toutes choses en termes de «rouages» et par là même, ne voir entre elles que des juxtapositions et des superpositions: c'est la vision mécaniste du monde. Rappelons-nous la mise en garde que nous servait Goldmann: «La pensée des individus étant rarement cohérente et unitaire, la vision du monde correspond rarement à la pensée de tel ou tel individu». Il ne s'agit donc pas de dresser un tableau simpliste où tout serait noir ou blanc. Mais cela ne change rien, non plus, au fait que, même s'ils n'en sont pas conscients, les individus participent à une vision du monde, s'en inspirent et la nourrissent à leur tour.
Le monde scolaire a subi les ravages de l'approche mécaniste où tout n'est que rouages juxtaposés et superposés. On a littéralement sabré dans les institutions existantes au nom de la «rationalisation». Tout y a passé: les traditions pédagogiques, les programmes, les institutions elles-mêmes, devenues, souvent, des «succursales», de simples rouages administratifs.
Les transformations faites l'ont été de façon mécaniste: changements de programmes, de manuels, imposition de méthodologies, tout cela sans égard aux milieux, sans aucun respect de la vie, de ses exigences et des fonctions fragiles qu'elle avait élaborées.
C'est ainsi que l'on a ruiné l'humus des écoles et, ce faisant, appauvri les êtres qui y vivent. L'erreur des mécanistes consiste à croire que le tout n'est que la somme des parties. C'est le physicien Fritjof Capra qui rappelle aux scientifiques que lorsqu'ils cherchent à expliquer tous les phénomènes par rapport à leurs composants fondamentaux, «ils sont dans l'impossibilité de comprendre les activités coordinatrices de l'ensemble du système» 9.
De cette réforme mécaniste sont nés de multiples rouages: les écoles n'ont plus qu'à respecter des «maquettes» de toutes sortes et des grilles imposantes d'objectifs tiennent lieu de programmes. Les «matières» se sont multipliées: il ne s'agit plus de former un être humain mais de répondre à des impératifs qui s'accumulent au fil des ans et à des pressions qui s'exercent sur les responsables des «maquettes» et des «grilles». Les écoles ont perdu l'autonomie dont elles avaient besoin pour vivre et rendre le service attendu d'elles.
Le parallèle avec la culture du sol explique bien ce qui s'est passé. Alors qu'une conception organique de la culture nous invite à considérer le sol comme le support nourricier de la plante, la conception mécaniste nous réduit à n'y voir qu'un support physique qui ne sert qu'à tenir la plante en place, la nourriture ne provenant que de l'apport externe d'engrais chimiques. On connaît les résultats de ce type de culture: sol durci, séché, qu'il faut labourer à grands frais et dont le vent fait sa proie.
La vision organique du monde
Au cœur de la vision organique du monde, il y a cette évidence enseignée par la vie: l'être vivant porte en lui-même son principe d'unité. Pour croître, il a besoin d'un environnement équilibré et d'une nourriture appropriée.
Dans l'approche organique, on conçoit les choses en termes de fonctions complexes, de hiérarchies, de synthèses qui sont le signe de la vie et qui exigent des interventions prudentes, respectueuses de «l'inimaginable complexité de la vie». Selon que l'on conçoit, par exemple, une école comme un rouage ou comme un être vivant, les interventions que l'on fera seront de nature tout à fait différente. Changer l'engrenage d'un rouage est une chose, intervenir chez un être vivant en est une autre. Les machines ne rejettent pas les engrenages, les êtres vivants rejettent les greffes. Et il arrive que le choc opératoire tue des patients. Et que dire des effets secondaires des médicaments!
Le vivant est un tout, un ensemble de fonctions interdépendantes et toute intervention risque d'affecter les fonctions connexes. Ce qui vaut pour l'école vaut, aussi, pour les familles, les quartiers urbains et tous les organismes complexes issus de la vie.
Pour faire face à l'érosion du sol, de nombreux agriculteurs ont décidé de planter des arbres autour de leurs «pièces» de culture, imitant en cela l'Elzéard Bouffier de Jean Giono, dont Frédéric Back nous a raconté l'aventure patiente et désintéressée dans son film «L'homme qui plantait des arbres».
C'est dire que lorsqu'on a endommagé le «tissu» urbain, le tissu social, le tissu personnel, le tissu pédagogique c'est-à-dire l'humus de l'homme et de la société, il faut le restaurer c'est-à-dire «recréer le tissu vivant» comme l'écrivait Gabriel Marcel il y a plus de trente-cinq ans 10.
Les écoles retrouveront le sens qu'elles ont perdu dans la mesure où elles retrouveront la vie et, pour ce faire, l'unité qui caractérise le vivant. Elles ont, en effet, littéralement éclaté sous les pressions de l'approche mécaniste dont nous avons déjà décrit les ravages. Objets des changements de toutes sortes imposés de l'extérieur, elles ont perdu l'autonomie qui est le propre du vivant pour n'être plus que les rouages d'une machine.
Une école vraie est source de changement, non pas objet de changement: c'est un lieu de lente maturation qui préfère aux modes et aux slogans ce que Gustave Thibon nomme si bellement «les moyens lents et profonds». Une école Jardin.
L'école jardin
L'expression peut surprendre: elle veut, tout simplement, faire écho à ce que Jacques Barzun écrivait sur la culture dans l’Atlantic Monthly de novembre 1984. «La culture menacée, selon lui, c'est celle qui est dérivée de la première grande expérience de l'homme: l'agriculture. Elle évoque: une créature dont la substance a été retournée, labourée, ensemencée avec de bonnes graines, d'une manière telle que les possibilités de l'être humain et de ce qui a été implanté en lui puissent être réalisées de façon visible et utile 11.
L'élève, «une créature dont la substance a été retournée, labourée...»
Ainsi conçue, la culture conserve sa richesse formatrice et n'est pas ce mot «vidé de toute idée de formation, d'ouverture au monde et de soin de l'âme» que dénonçait Alain Finkielkraut 12.
«Soin de l'âme», «formation»: des mots disparus, des mots tabous, des mots qui font peur et avec raison parce qu'ils renversent l'ordre pédagogique établi, fondé sur le laisser-faire, le relativisme et le «bien dans sa peau», alors que les philosophes des Lumières, dont l'école, au sens moderne du mot, est la création, disaient: «on ne naît pas individu, on le devient en surmontant le désordre des appétits, l'étroitesse de l'intérêt particulier, et la tyrannie des idées reçues» 13.
L'élève, «une créature dont la substance a été ensemencée de bonnes graines...»
Les grandes œuvres, les grand maîtres, le Beau, le Vrai, le Bien, la transcendance, voilà «les bonnes graines» que l'école doit semer parce que, contrairement aux futilités du jour et aux banalités à la mode, elles ont une puissance germinative.
Barzun, en évoquant «les possibilités de l'être humain et de ce qui a été implanté en lui» se rattache à la tradition culturelle occidentale. Rappelons-nous ce beau texte de Sénèque:
par l'histoire la puissance de notre esprit
peut franchir les limites de la faiblesse de
l'homme seul (. ..)
partager avec les meilleurs esprits
ces vérités magnifiques et éternelles... 14
L'école Jardin, s'inspirant en cela de «la première grande expérience nourricière de l'homme: l'agriculture», attache donc une grande importance au climat, au sol, à la semence, à la culture.
Le climat, le sol, la semence et la culture
Il y a un lien étroit entre le climat et la qualité du sol: sans humus, le sol ne retient plus l'eau et devient une «éponge séchée»: le cycle de la pluie est ainsi brisé et le désert s'installe. Il en va de même pour une école.
Pour que la culture puisse y être possible, il faut qu'il y règne un climat respectueux des valeurs humanistes: respect des personnes, des lieux, règle de vie...
Le sol, c'est l'élève et c'est l'école elle-même.
L'école humaniste croit en la capacité qu'a l'homme de se transformer lui-même s'il plonge ses racines dans un sol riche qui nourrit son esprit, son cœur et son âme. D'où l'importance à accorder à tout ce qui constitue l'humus de l'institution: ses traditions pédagogiques, ses pratiques, les valeurs privilégiées...
La semence: les grandes œuvres, le contact avec les choses de l'esprit et les grands esprits...
Et la culture, enfin: culture entendue au sens premier: tout ce qui permet à la semence de porter du fruit, c'est-à-dire, la pratique pédagogique elle-même, celle qui se préoccupe des petites et des grandes racines, une pratique pédagogique qui s'inspire non pas du béhaviorisme ou des «droits des élèves» mais des véritables besoins de l'âme humaine comme les a définis Simone Weil.
Nous n'insisterons jamais trop sur l'interaction et l'interdépendance de ces quatre facteurs: ce que l'on sème doit être de qualité, avoir une puissance germinative. Cette semence de qualité rendra la «culture» plus fructueuse, laquelle, en retour, si elle est bien faite, permettra à la semence de donner du «cent pour un».
Et le mode de culture a un effet sur le sol et donc sur le climat...
Oikos: une conception organique de l'éducation
Le mot grec «OIKOS» signifie maison, habitat et a donné naissance aux mots écologie (étude de l'habitat) et économie (organisation de la maison).
Le choix de ce mot annonce une conception de l'éducation qui s'inspire d'une vision du monde fidèle à celle de Platon telle que l'a interprétée Simone Weil, qui a voulu placer la vie au centre de l'univers des valeurs pour en faire la valeur fondatrice.
Dans cette vision du monde, l'homme n'est plus le maître de l'univers qu'il modèle à son image: il habite l'univers et essaie d'établir un rapport harmonieux avec lui.
Cet humanisme accueille la culture plutôt que de vouloir la produire, de toutes pièces, à partir de la raison: il voit en elle «le lieu de l'homme» comme l'écrivait Fernand Dumont.
C'est un humanisme soucieux de bâtir une société et des institutions à la mesure de l'homme sans faire de l'homme la mesure de tout.
OIKOS, c'est, surtout, la maison et, par là même, l'affirmation que chacune des écoles a sa vie propre et ne peut pas être le rouage anonyme d'un système.
Un réseau scolaire digne de ce nom n'a pas de succursales: il a des racines et chacune des écoles en est une.
Dans cette vision non mécaniste du monde, l'école est un humus, une terre nourricière: elle a sa vie propre, soumise à toutes les lois de la vie: c'est l'école Jardin.
Concevoir l'école comme un jardin, c'est consacrer toutes les énergies de ceux qui y œuvrent à la formation, au respect et à l'enrichissement de l'humus de l'institution; c'est, surtout, croire en la capacité qu'a l'être humain de se transformer lui-même s'il plonge dans un sol riche qui nourrit son esprit, son cœur et son âme.
D'où notre conviction qu'il faut enrichir toute la vie de l'école pour le bénéfice de tous les élèves. Enrichir la vie de l'école, c'est reconnaître que tous les élèves, peu importent leurs aptitudes intellectuelles, peuvent, à leur façon et selon une pédagogie appropriée, respectueuse de leurs besoins, de leur rythme d'apprentissage, accéder à la réflexion, à la vie intérieure et, ainsi, élargir leurs horizons, s'enraciner dans l'humanité et par là même, échapper à la superficialité qui désagrège et appauvrit.
Sans cet enracinement dans un sol riche, nos enfants se dessécheront et les tempêtes les briseront; songeons à l'effroyable taux de suicide dont le Québec est victime: le plus élevé en Occident.
Nous croyons que les écoles qui le veulent peuvent reprendre elles-mêmes en main la définition d'une éducation de qualité qui irait au-delà du «minimum officiel».
Depuis plus de trente ans, nous œuvrons en éducation; OIKOS s'inspire donc d'une longue expérience entre autres à l'école secondaire Louis-Riel de Montréal.
Une expérience qui a montré le bien-fondé d'une conception de la pédagogie inspirée d'une vision organique de la réalité, traduite dans une philosophie de l'éducation bien définie et vécue de façon cohérente dans la réalité de la pratique pédagogique quotidienne.
Cette longue expérience nous a fait comprendre qu'une institution est vivante et dynamique dans la mesure où toutes les fonctions essentielles à sa vitalité, ses fonctions vitales s'exercent en harmonie au service des grandes finalités qui constituent sa raison d'être.
La découverte de ces fonctions, de leurs interactions et de leurs interdépendances est le fruit d'une vie d'étude, de réflexion et d'une longue pratique quotidienne de la direction d'une grande institution d'enseignement secondaire, direction conçue elle-même comme une fonction éminemment pédagogique, au service de la fonction éducative de l'institution.
C'est le fruit de cette expérience que nous voulons mettre au service de ceux et celles qui voudraient en tirer parti.
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Notes
1. La Presse du samedi 22 juin 1987
2. Cité par Fernand Dumont, Le Lieu de L’Homme. La culture comme distance et mémoire, HMH, 1968, p.119.
3 Renseignements fournis par le docteur Jocelyne Simoneau, pathologiste, Centre hospitalier de Valleyfield et Monsieur Claude Pelletier, chef ingénieur bio-médical à l'Institut de Cardiologie de Montréal
4. Gustave Thibon, Le voile et le masque, Fayard, 1985, p. 105.
5. Madeleine Préclaire, Une poétique de l'imaginaire. Essai sur l'imagination d'après l'œuvre de Gaston Bachelard, Desclée — Bellarmin, 1971, p 73.
6. Ibid., p. 81.
7. Le naufrage de l'Afrique (Collectif d'auteurs), L'Actualité, novembre 1985.
8. Félix-Antoine Savard, Carnet du soir intérieur, 1, Fides, Montréal, 1978, p. 93.
9. Fritjof Capra, Le temps du changement, Éditions du Rocher, Monaco, 1983.
10. Gabriel Marcel, Les Hommes contre L'humain, Éditions du Vieux Colombier, Paris, 1951, p. 140.
11. Cité par Jacques Dufresne, La Presse du Samedi 20 octobre 1984.
12. Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Gallimard, 1987, p. 150.
13. Ibid., p. 153.
14. De brevitate vitae, 14, 1-2.