Bibliomane, s.m. C’est un homme possédé de la fureur des
livres. Ce caractère original n’a pas échappé à
La Bruyère. Voici de quelle manière il le peint dans le chapitre XIII de son livre des
Caractères, où il passe en revue bien d’autres originaux. Il feint de se trouver avec un de ces hommes qui ont la manie des livres; et sur ce qu’il lui a fait comprendre qu’il a une
bibliothèque, notre auteur témoigne quelque envie de la voir. « Je vais trouver, dit-il, cet homme qui me reçoit dans une maison où dès l’escalier je tombe en faiblesse d’une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu’ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d’or et de la bonne édition; me nommer les meilleurs l’un après l’autre; dire que sa galerie est remplie à quelques endroits près, qui sont peints de manière qu’on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l’œil s’y trompe; ajouter qu’il ne lit jamais, qu’il ne met pas le pied dans cette galerie; qu’il y viendra pour me faire plaisir : je le remercie de sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, visiter sa tannerie, qu’il appelle
bibliothèque.» Un
bibliomane n’est donc pas un homme qui se procure des livres pour s’instruire : il est bien éloigné d’une telle pensée, lui qui ne les lit pas seulement. Il a des livres pour les avoir, pour en repaître sa vue; toute sa science se borne à connaître s’ils sont de la bonne édition, s’ils sont bien reliés; pour les choses qu’ils contiennent, c’est un mystère auquel il ne prétend pas être initié, cela est bon pour ceux qui auront du temps à perdre. Cette possession qu’on appelle
bibliomanie est souvent aussi dispendieuse que l’
ambition et la volupté. Tel homme n’a de bien que pour vivre dans une honnête médiocrité, qui se refusera le simple nécessaire pour satisfaire cette
passion.