Thérapie génique
Origine et application de la thérapie génique
Le défi de la thérapie génique est de parvenir à corriger, à l'intérieur des cellules d'un organisme humain, les anomalies qui, en affectant son génome, sont responsables de pathologies graves et, le plus souvent, actuellement incurables.
L'objectif est d'atteindre et de supprimer la cause de la maladie et de ne plus se contenter d'atténuer ou d'effacer les symptômes.
"La thérapie génique est l'insertion délibérée de matériel génétique dans l'organisme d'un patient pour corriger un défaut précis à l'origine d'une pathologie, que ce soit à titre curatif ou préventif " (29).
Cette définition inclut à la fois la thérapie du gène (réparation de gènes dont l'altération est responsable de maladies), objectif qui prévalait pour les maladies génétiques en 1983, après la mise au point des premiers vecteurs, et l'utilisation de gènes comme nouveaux types de médicament.
À l'origine, la cible la plus logique de la thérapie génique a paru être le domaine des maladies monogéniques héréditaires: pour ces affections, on était certain que les personnes porteuses d'un gène sain ne développeraient pas la maladie. Par ailleurs, on connaissait précisément les gènes responsables de nombreuses maladies génétiques grâce à l'action menée notamment par l'Association françaises contre les myopathies. Mais les champs d'application de la thérapie génique se sont ensuite diversifiés.
Le principe de cette thérapie, est d'introduire un gène-médicament à l'intérieur de la cellule cible afin de:
- - corriger une maladie génétique en introduisant dans les cellules malades un gène-médicament faisant défaut;
- inhiber ou stimuler la synthèse d'une protéine donnée.
- La thérapie génique ex vivo consiste à prélever sur le patient les cellules cibles, à les modifier génétiquement avec le vecteur viral porteur du gène thérapeutique puis à les réintroduire chez le patient.
Cette méthode est utilisée en particulier pour les cellules sanguines qui sont faciles à prélever et à réintroduire.
- La thérapie génique in situ consiste à placer directement au sein du tissu cible le vecteur de transfert. Cette technique est expérimentée, notamment, dans les cas de mucoviscidose (transfert de vecteurs dans la trachée et les bronches), de cancer (injection dans la tumeur d'un vecteur portant le gène d'une toxine, par exemple), ou de dystrophie musculaire (injection dans le muscle d'un vecteur porteur du gène de la dystrophine) ;
- La thérapie génique in vivo consiste à injecter le vecteur portant le gène thérapeutique directement dans la circulation sanguine; le vecteur est alors censé atteindre spécifiquement les cellules cibles.
Les obstacles techniques
La thérapie génique suppose nécessairement:
- - un gène-médicament;
- un vecteur pour le transporter;
- une cellule cible où le gène puisse s'exprimer.
Les principaux types de vecteurs
Les virus ont la capacité de franchir, dans certains conditions, les barrières de protection que dresse le corps humain en cas d'introduction d'ADN étranger dans son génome. Ils sont capables d'introduire leur matériel génétique dans les cellules qu'ils infectent. C'est pourquoi les chercheurs ont eu l'idée de les utiliser pour transférer les gènes thérapeutiques dans les cellules des patients.
Bien entendu, les virus utilisés ne doivent présenter aucun danger: on transforme donc génétiquement les virus en ôtant, dans leur propre génome, les séquences nécessaires à leur réplication et leur virulence (les gènes E 1 et E 4). Différents types de virus sont utilisés comme vecteurs :
- Les rétrovirus ont été les premiers virus testés. Leur qualité principale est de pouvoir intégrer leur matériel génétique de façon permanente dans le génome des cellules qu'ils infectent. Actuellement, 60 % des protocoles cliniques sont fondés sur l'utilisation de vecteurs rétroviraux, dérivés des rétrovirus de la leucémie murine (MLV, virus de Moloney en particulier). Ils peuvent contenir un ADN exogène de taille relativement grande: huit kilobases (30). À l'exception du VIH (virus de l'immunodéficience humaine), ces virus ont évolué sous des formes peu pathogènes et leur utilisation présente des risques limités.
Ils sont utilisés selon la technique ex vivo. La pénétration des rétrovirus dans les cellules cibles se fait grâce à la reconnaissance, par un récepteur cellulaire, d'une protéine présente sur l'enveloppe virale. Mais, pour être efficace, c'est-à-dire pour s'intégrer dans le chromosome cellulaire, le vecteur ne peut se contenter d'être entré dans le cytoplasme de la cellule : il doit pénétrer jusqu'au noyau de la cellule. Ce n'est possible qu'au moment où la cellule se divise pour se reproduire (mitose), car la membrane du noyau est alors momentanément rompue. Cette particularité explique que l'on doive utiliser la technique in vivo car, lorsque l'on cultive, en laboratoire, les cellules humaines, la plupart d'entre elles sont réceptives aux rétrovirus MLV et se divisent activement lors de l'exposition aux rétrovirus qui peuvent ainsi pénétrer dans leurs noyaux.
Mais l'approche ex vivo a ses limites. Les cellules sanguines qui pourraient être ainsi traitées, car elles sont faciles à prélever et à réintroduire dans l'organisme, sont malheureusement peu réceptives au MLV: elles expriment peu le récepteur à ce virus, qui pénètre donc difficilement en elles.
L'utilisation des rétrovirus in vivo est encore plus délicate:
- Les vecteurs doivent atteindre principalement les cellules cibles; or, les cellules endothéliales expriment naturellement un récepteur au MLV; de ce fait, les rétrovirus modifiés peuvent pénétrer dans ces cellules rencontrées sur le chemin qui doit les mener aux cellules cibles. Dans la mesure où les vecteurs rétroviraux ne peuvent pas être produits à des concentrations élevées, le fait qu'ils se fixent partout dans la circulation sanguine les empêche de parvenir en quantité suffisante pour une transduction (31) efficace dans les cellules cibles.
- La plupart des cellules considérées comme des cibles potentielles pour une thérapie génique ne prolifèrent pas activement in vivo. Les rétrovirus ne peuvent profiter de la mitose pour s'introduire dans leur noyau. La solution de l'avenir sera peut-être l'utilisation des lentivirus (tel que le VIH) qui sont capables de pénétrer dans le noyau des cellules ne se divisant pas. Le risque principal présenté par ces virus est une éventuelle recombinaison entre le génome viral et le génome des cellules transduites, susceptible de produire un virus pathogène.
C'est pourquoi les recherches portent sur des systèmes hybrides incluant le génome modifié du VIH (débarrassé des gènes responsables du caractère pathogène du virus) dans un vecteur rétroviral. Cette méthode paraît intéressante mais n'en est qu'à ses balbutiements.
- Les adénovirus ont des caractéristiques intéressantes: leur grande taille permet le transfert de très larges séquences d'ADN (plus de 35 kb); ils sont capables d'infecter un grand nombre de types de cellules différentes, même si elles ne sont pas en phase de mitose; ils peuvent être produits à des concentrations élevées. Ils ont aussi des défauts, notamment celui de provoquer de fortes réactions inflammatoires et immunitaires. C'est pourquoi les vecteurs adénoviraux de deuxième génération contiennent des génomes réduits des virus. On doit toutefois noter qu'ôter des séquences des génomes viraux présente des inconvénients: ainsi, il peut être nocif de retirer les séquences correspondant à des régions dites "activatrices" qui aident à maintenir la stabilité du génome viral dans la cellule.
Aujourd'hui, pour lutter contre ces réactions, l'utilisation des vecteurs adénoviraux suppose d'administrer des gènes viraux contenant des gènes immunosuppresseurs. Une autre solution consisterait à administrer un traitement "classique" de produits immunodépresseurs au patient parallèlement au traitement par thérapie génique. Parvenir à supprimer les réactions immunitaires est essentiel car les vecteurs adénoviraux ne s'intègrent pas dans le génome de la cellule cible et ont tendance à disparaître au fil des divisions cellulaires. Il faut pouvoir les administrer de façons répétées sans déclencher de réaction immunitaire.
- Les "adeno-associated virus" (AAV) sont des virus non pathogènes très répandus chez l'homme. Ils ne peuvent se répliquer qu'en s'associant avec des adénovirus ou des virus de l'herpès. Ils peuvent transduire efficacement les cellules du cerveau, du foie et certaines cellules sanguines. Ils peuvent infecter des cellules en dehors des phases de mitoses. Malheureusement cette qualité essentielle disparaît lorsque l'on modifie le génome des AAV pour y introduire le gène-médicament: les vecteurs restent capables d'infecter des cellules ne proliférant pas mais ne s'intègrent plus dans leur génome. Par ailleurs, les AAV présentent un autre inconvénient : celui de ne pouvoir contenir que des petites séquences d'ADN (4,8 kb).
Ces AAV pourront donner des vecteurs peu dangereux et présentant certains avantages mais ils sont actuellement inexploitables dans le domaine clinique.
- Les vecteurs synthétiques ont plusieurs qualités: facilement produits, ils sont stables et peuvent contenir des séquences d'ADN de grande taille. Ce sont des lipides, des peptides ou des polymères dits cationiques car ils sont porteurs d'une charge électrique positive. Celle-ci leur permet de compacter les milliers de paires de bases d'une molécule d'ADN (chargées négativement) et de donner une charge positive à l'ensemble (vecteur + ADN) qui peut interagir avec les charges négatives des membranes des cellules.
La pénétration in vitro des vecteurs synthétiques dans les cellules ne pose pas de problèmes; malheureusement les résultats in vivo sont très décevants. Il semble que, injectés par voie intraveineuse, les vecteurs s'agrègent en particules de grande taille mécaniquement retenues par les deux principaux filtres du corps humain (poumon et foie).
Compte tenu de ces difficultés, l'une des utilisations envisagée à terme, pour les vecteurs synthétiques est le traitement de la mucoviscidose par instillation du gène-médicament dans les poumons (dans ce cas, il suffirait semble-t-il d'atteindre 5 % des cellules pulmonaires):
Les défauts actuels des vecteurs synthétiques pourraient être corrigés au prix d'importants efforts de recherche dans le domaine de la chimie et de la biochimie. Or l'industrie pharmaceutique est prête à valoriser son savoir-faire traditionnel en chimie en étudiant de près les vecteurs synthétiques. Les retombées en seraient positives pour les groupes pharmaceutiques et pour la thérapie génique.
L'expression des gènes
Si le problème de l'efficacité du transfert du gène-médicament par des vecteurs est résolu à terme, il conviendra d'obtenir du gène une expression durable et au bon niveau.
L'intérêt de la thérapie génique, du moins telle qu'elle était conçue à l'origine, est en effet de traiter la cause de la maladie et non seulement ses symptômes: apporter dans l'organisme du patient des gènes destinés à compenser le dysfonctionnement de certains gènes ou leur absence n'est efficace que si le gène de remplacement exerce réellement ses fonctions, c'est-à-dire s'il exprime les protéines indispensables à la santé du patient.
Ce problème est loin d'être résolu.
Une expression stable et à un bon niveau
Plusieurs facteurs empêchent le maintien de l'expression des gènes après leur transfert:
- les séquences régulatrices (32) contrôlant l'expression du gène thérapeutique sont souvent reconnues comme étrangères et inactivées par la cellule qui les reçoit ;
- si l'efficacité du gène-médicament n'est pas atteinte, c'est alors la cellule "d'accueil", celle qui a reçu le gène, qui est détruite par le système immunitaire du patient, ce système reconnaissant et éliminant les produits de gènes étrangers et les cellules qui les expriment.
Une expression régulable
Si les problèmes précédents sont résolus, il faudra obtenir une expression régulable du gène. En effet, plusieurs gènes importants, tel que celui par exemple qui permet la production d'insuline, ne s'expriment pas au même taux en continu mais répondent à des signaux physiologiques. Il faudrait donc que les séquences génétiques insérées puissent répondre aux signaux physiologiques du corps et fonctionnent comme les autres gènes de l'organisme. Devant la complexité de ce problème une autre possibilité est envisagée: utiliser des substances chimiques administrées de façon traditionnelle et permettant de contrôler le niveau d'activité du gène.
Cette combinaison du gène-médicament et du produit pharmaceutique classique est étudiée avec intérêt par l'industrie pharmaceutique: cela lui permettrait d'exercer un certain contrôle sur le marché de la thérapie génique. Des recherches sont déjà en cours: ainsi, les chercheurs de l'Institut de thérapie génique de l'Université de Pennsylvanie, associés à ceux de la société Ariad Pharmaceuticals ont conçu une approche dans laquelle un vecteur biologique (virus) est utilisé pour délivrer aux patients des gènes thérapeutiques ayant une particularité intéressante: ils sont inactivés au départ et les patients doivent ingérer une pilule composée de produits chimiques pour déclencher leur expression.
Pour conclure, on peut noter que:
- si la vectorologie progresse, la thérapie génique ex vivo permettra vraisemblablement, d'ici quelques années, d'améliorer la situation clinique des patients. En revanche, la thérapie génique in vivo semble beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre ;
- compte tenu des problèmes de contrôle à long terme de l'expression des gènes-médicaments, une réorientation des finalités de la thérapie génique est en cours.
La réorientation des applications de la thérapie génique
"Il existe autant de thérapies géniques que de maladies à traiter, chaque type de tissu comportant des problèmes particuliers. Le fait de traiter une maladie acquise ou d'essayer de corriger une maladie héréditaire implique des problèmes de nature très différente" (33). Les maladies héréditaires monogéniques, les maladies acquises et les vaccins ont des horizons thérapeutiques très différents.
Les maladies héréditaires
Leur horizon thérapeutique est lointain. La seule solution, en matière de thérapie génique est d'introduire une bonne version du gène déficient, ou de moduler l'expression de certains gènes. Or, ainsi que l'a montré le paragraphe précédent, les techniques actuelles ne permettent pas de contourner les réactions inflammatoires ou immunitaires ni d'obtenir une expression stable et persistante du gène.
Les maladies héréditaires monogéniques sont régies par deux grands mécanismes l'un de perte, l'autre de gain de fonction.
En cas de perte de fonction, la carence fonctionnelle d'un gène aboutit à un déficit (tel est le cas, par exemple, de l'hémophilie ou de la mucoviscidose); la stratégie consiste alors à le remplacer par un gène en état de fonctionner.
Lorsqu'il y a gain de fonction (drépanocytose, chorée de Huntington, polykystose rénale héréditaire), les symptômes de la maladie sont liés à la synthèse d'une protéine anormale à effets délétères sous la direction du gène muté; l'apport d'un gène fonctionnel ne suffit pas à avoir des effets thérapeutiques; il faut inhiber le fonctionnement du gène muté ou inactiver son produit protéique.
Lorsqu'un effet thérapeutique peut être espéré par la production dans la circulation d'une substance très active, par exemple une hormone, une cytokine ou un facteur de coagulation, un certain optimisme est raisonnable, même si les difficultés ne sont pas toutes résolues.
En revanche, lorsqu'il s'agit de faire pénétrer un gène fonctionnel dans un très grand nombre de cellules affectées et si une expression prolongée du gène thérapeutique est nécessaire, on ne peut être optimiste, du moins à court et moyen terme.
Ces difficultés ne condamnent nullement les recherches. (...).
Dans un premier temps, la thérapie génique progressera plutôt, dans le domaine des maladies acquises.
Les maladies acquises
Les maladies aiguës nécessitent des vecteurs efficaces qui transfèrent de fortes quantités de gènes n'ayant pas obligatoirement une expression prolongée. On peut noter par ailleurs que les réactions inflammatoires liées à l'emploi de certains vecteurs sont de moindre importance dans la mesure où les gènes-médicaments ne sont pas destinés à être administrés de façon régulière et continue.
- Le cancer est une cible majeure de la thérapie génique. L'oncologie mobilise aujourd'hui la majorité des essais cliniques. Une grande variété d'approches sont actuellement expérimentées :
La technique du gène-suicide: on transfère dans des cellules (généralement des lymphocytes) le gène d'une enzyme, la thymidine-kinase (TK), du virus de l'herpès (HSV). Ces cellules génétiquement modifiées sont injectées dans la tumeur maligne. Le "gène-suicide", c'est-à-dire le fragment d'informations génétiques issu du virus de l'herpès, s'introduit au sein des cellules malignes. Les médecins administrent alors au patient un médicament qui n'est actif qu'en présence d'affections virales herpétiques (Cymevan ou Ganciclovir). Ce médicament provoque la destruction sélective des cellules tumorales.
La lutte contre l'angiogenèse:
La capacité, pour une tumeur cancéreuse, de grossir et de métastaser est étroitement liée à la prolifération des nouveaux vaisseaux sanguins qu'elle induit. Ce phénomène, appelé angiogenèse, permet la transformation d'un petit amas de cellules anormales en une grosse masse pouvant se disséminer dans tout l'organisme.
Bloquer l'angiogénèse est un bon moyen de lutter contre les tumeurs. Cela peut être réalisé grâce à l'angiostatine, une protéine existant naturellement dans le corps. On peut notamment citer, dans ce domaine, les travaux d'une équipe franco-américaine (35) qui a mis au point une technique de thérapie génique pour fabriquer deux anti-angiogenèses: l'angiostatine et l'endostatine et leur permettre d'agir efficacement; les gènes qui codent pour la protéine inhibitrice de l'angiogénèse sont introduits dans un rétrovirus puis transférés dans des cellules souches de moelles osseuses cultivées in vitro qui sont ensuite transplantées dans l'organisme. Cette technique semble toutefois plus efficace à l'heure actuelle chez la souris que chez l'homme.
L'immunothérapie est également un moyen de lutte contre le cancer. (...)
La destruction spécifique des cellules tumorales peut également être envisagée grâce à des produits cytotoxiques. On utilise alors la brièveté d'expression du gène comme un atout ce qui, dans le cas d'autres thérapies géniques appliquées à des maladies héréditaires chroniques, est un handicap.
Certains vecteurs cellulaires mis au point par la Société Transgène ont une expression brève et une forte efficacité. Il s'agit de cellules dites "vero", provenant d'un rein de singe; elles ont la capacité de "sur-exprimer" le gène-médicament avant d'être détruites rapidement. D'où leur intérêt, par exemple, pour stimuler la fabrication d'un cytotoxique comme l'interleukine II, au niveau d'une tumeur, sans risque d'affecter, à cause d'une expression trop durable du gène, les autres cellules de l'organisme.
Le gène P 53. Cette thérapie est actuellement en phase III des essais cliniques (36); elle semble assez efficace notamment contre le cancer de la sphère ORL appelé aussi cancer "tête et cou". On envisage d'associer le traitement à une chimiothérapie ou une radiothérapie.
Il s'agit d'une injection dans les tumeurs cancéreuses du gène suppresseur de tumeurs, P 53, surnommé "gardien du génome". Ce gène est naturellement présent dans les cellules. Lorsque des mutations surviennent, il fait en sorte qu'elles soient aussitôt réparées. Si les dégâts sont trop importants, il amorce le programme d'autodestruction de la cellule. Malheureusement, ce gène est lui-même parfois victime d'une mutation et n'effectue plus son travail. La cellule est alors livrée à elle-même et risque, à tout moment, de dériver vers la cancérisation. La moitié des cancers portent la marque de ce défaut. La thérapie génique permet de compenser cette mutation en introduisant un exemplaire actif du gène dans les cellules cancéreuses pour réactiver les mécanismes de correction ou d'autodestruction. Des essais cliniques de thérapies génique, avec le gène P 53, sont actuellement conduits sur des cancers aussi variés que le cancer du poumon, du sein, de l'ovaire, de la prostate, du cerveau..., mais ils en sont encore à des phases précoces.
En tout état de cause, même si la thérapie génique peut offrir, à terme, des opportunités pour le traitement des cancers, il faut rester très prudent et garder à l'esprit le récent abandon, par le groupe Novartis, des recherches sur le glioblastome (cancer du cerveau). Celles-ci avaient atteint la phase III des essais cliniques et les Drs David Klatzmann et Jean-Loup Salzmann avaient constaté des pourcentages de rémission jamais atteints par un autre traitement. Toutefois, l'essai de phase III, mené en aveugle (patients et médecins ignorant qui prend le médicament ou le placebo) a donné des résultats trop peu significatifs pour que Novartis envisage une commercialisation.
- Les maladies cardiovasculaires pourraient aussi bénéficier de thérapies géniques. On évalue en particulier les possibilités de stimuler la repousse de vaisseaux sanguins par transfert de gènes de facteurs de croissance des cellules endothéliales vasculaires (VEGF). Une maladie vasculaire avancée peut en effet déboucher sur la survenue d'ischémie dans les extrémités des membres; on pourrait remédier à celle-ci par l'injection directe de vecteurs exprimant le VEGF permettant ainsi d'accroître l'apport sanguin dans les territoires atteints.
Dans ce cas encore, la limitation dans le temps de l'expression de gène n'est pas un handicap car il suffit que celle-ci dure un mois pour que les vaisseaux repoussent. Selon le Dr Leboulch, l'efficacité de cette technique peut être accrue si l'on injecte directement les vecteurs dans les zones ischémiques à l'aide d'un cathéter spécial.
"La stratégie consistant à faire développer de nouveaux vaisseaux sanguins (ou angiogénèse) pour pallier l'obstruction des artères est une situation relativement accessible à une thérapie génique car il n'est ici pas nécessaire ni même souhaitable d'obtenir une expression prolongée des gènes thérapeutiques. En effet une expression prolongée des gènes induirait probablement la formation de nouveaux vaisseaux sanguins dans d'autres régions de l'organisme, ce qui pourrait conduire à la formation de tumeurs. (...) (37)
- Les autres pathologies:
D'autres voies thérapeutiques actuellement à l'étude visent les maladies infectieuses comme le SIDA et l'hépatite B, les affections articulaires inflammatoires, la maladie d'Alzheimer et la sclérose en plaques.
Dans le domaine du SIDA, de nombreux projets existent mais beaucoup se heurtent à deux problèmes: les difficultés de transfert des gènes et le peu de modèles animaux.
Les maladies sensibles aux protéines thérapeutiques
Certaines maladies peuvent être traitées par la sécrétion dans l'organisme d'une protéine "manquante".
Cette protéine peut être l'érythropoïétine, qui favorise la production des globules rouges ou, dans le cadre de maladies lysosomiales, l'enzyme déficiente susceptible d'être captée par les cellules de l'organisme. Dans le diabète insulino-dépendant, il faut fournir à l'organisme de l'insuline en quantité suffisante.
D'autres protéines dont l'insuffisance provoque des maladies graves peuvent être produites in situ par l'organisme: la facteur VIII, l'urokinase, la calcitonine (maladie de Paget). On peut alors parler de protéines de troisième génération, la première génération étant celle des protéines purifiées et la deuxième celle des protéines recombinantes.
"Avec la thérapie génique, le gène devient un possible médicament. La thérapie génique pourra s'appliquer, évidemment, à des maladies génétiques, et, plus généralement, à toutes les affections, héréditaires ou acquises, qui peuvent bénéficier du traitement par une protéine thérapeutique. En effet, il est, en principe, toujours possible de remplacer un médicament protéique par le gène qui va en commander la synthèse dans les propres cellules du malade qu'il faut soigner. En ce sens, la thérapie génique constitue la troisième étape de l'utilisation des protéines médicamenteuses. La première est celle de la purification à partir de tissus ou de fluides animaux ou humains ; la seconde est le génie génétique, où l'on asservit des micro-organismes à produire le médicament protéique en leur transférant le gène correspondant ; la thérapie génique, enfin, transfère directement l'ADN dans l'organisme qu'il faut soigner, des cellules de celui-ci devenant des microfabriques du médicament et des microsystèmes de sa délivrance au malade." (38)
Ainsi, la firme américaine Chiron a récemment lancé des essais de thérapie génique susceptible de traiter les personnes atteintes d'hémophilie A. Ces essais visent à vérifier les possibilités d'injection, par voie intraveineuse, de gènes codant pour la production directe par l'organisme d'un facteur sanguin précis: le facteur VIII.
De même, la société Avigen a déposé un brevet relatif au traitement de l'anémie par l'injection, par l'intermédiaire du vecteur viral AAV, du gène codant pour l'EPO (erythropoïétine).
La thérapie génique associée
Cette approche thérapeutique semble très intéressante. C'est la combinaison de la thérapie génique et d'un traitement médical ou chirurgical classique. On peut citer quelques exemples:
- Lors des greffes de moelle osseuse, on est amené à injecter au patient des lymphocytes du donneur de moelle ce qui présente l'inconvénient d'exposer le patient à un risque de maladie de greffon contre l'hôte qui peut être très grave.
L'une des parades possibles est de prélever des lymphocytes du donneur et d'y transférer un gène-suicide (enzyme TK du virus de l'herpès, comme dans le cas des tumeurs cancéreuses) avant de les injecter au patient greffé. Si ces lymphocytes entraînent effectivement une réaction sévère du greffon contre le receveur, on peut administrer à ce dernier une molécule comme le Ganciclovir. Les lymphocytes modifiés, rendus sensibles à cette substance seront détruits.
- Les cellules cancéreuses résiduelles peuvent également être détruites:
Lors de traitements de cancers par chimiothérapie, l'on envisage souvent des greffes autologues de cellules sanguines (à l'origine des défenses immunitaires). Dans ce cas, on réinjecte au patient ses propres cellules, qu'elles aient ou non été modifiées; souvent il peut rester des cellules cancéreuses dans les populations cellulaires sanguines que le patient reçoit. Une équipe américaine (université de Yale) vient de mettre au point un système de thérapie génique par gène suicide permettant de se débarrasser des cellules cancéreuses résiduelles.
- La thérapie génique peut également protéger les patients des effets négatifs de la chimiothérapie anticancéreuse.
Une des limitations de la chimiothérapie est l'excessive toxicité des molécules utilisées s'exerçant notamment vis-à-vis des cellules sanguines et conduisant à une immunodépression sévère. Des stratégies de thérapie génique proposées reposent sur le transfert chez le malade de gènes protecteurs dans les cellules à l'origine des lignées sanguines et présentes dans la moelle osseuse. Dans ce type de méthodes, le transfert de gène est d'abord entrepris sur des cultures de cellules de moelle osseuse du malade (ex vivo), et les cellules modifiées sont ensuite ré-injectées au patient. Celui-ci peut alors recevoir sans risque un traitement chimiothérapique intensif.»
Notes
(29) Rapport de l'OTA (Office of Technology Assessment). 1984.
(30) Le kilobase (kb) est une unité de taille correspondant à 1000 paires de bases d'ADN. La taille moyenne d'un gène est de 1 à 2 kb.
(31) La transduction est le transfert de séquences d'ADN entre différents génomes par l'intermédiaire d'un virus.
(32) Séquences situées avant ou après le gène proprement dit sur le filament d'ADN et impliquées dans l'efficacité de la production des protéines.
(33) Pr Alain FISCHER.
(...)
(35) Dr. Leboulch (Harvard Medical School, Massachusetts) et Dr. Bachelot (Centre Léon Bérard. Lyon).
(36) Société Gencell RPR.
(37) Chronique des mille jours de la thérapie génique, no 3, mars 1998; AFM.
(38) Axel Kahn, "Thérapie génique: thérapie du gène et gène médicament"
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Génomique et informatique : l'impact sur les thérapies et sur l'industrie pharmaceutique. Rapport de M. Franck Sérusclat, sénateur (15 octobre 1999) [sur le site du Sénat de la République française]. Assemblée nationale: n° 1871 (11ème législature) - Sénat: n° 20 (1999-2000).