Cicéron

106 av. J.-C.-43 av. J.-C.
Extrait d'un ouvrage d'histoire littéraire québécois de la fin du XIXe siècle qui, s'il a naturellement un peu vieilli, trace néanmoins un portrait vivant et utile du grand humaniste qu'était Cicéron:

"Le grand orateur de Rome naquit en 106, et mourut en l’an (43) avant Jésus-Christ.

La plupart des poésies de Cicéron sont devenues la proie du temps.

Ses œuvres philosophiques et littéraires n’éprouvèrent pas le même sort, heureusement.

Il est établi que Cicéron s’est livré à la poésie dans sa jeunesse; outre un grand nombre de pièces détachées, il composa un poëme sur son consulat. Le poëte Archias fut son maître dans cet art. Cet homme a de si beaux titres pour passer à la postérité que la perte de ses poésies ne diminuent (sic) pas les fleurons qui ornent son front. Comme philosophe, il ne connaît guère de rivaux dans l’ancienne Rome. Ses œuvres sur la rhétorique sont utiles à ceux qui veulent se perfectionner dans cet art. Son éloquence l’a fait surnommer le Prince des orateurs romains.

Cicéron a tout sondé, tout étudié; c’est l’antiquité vivante, l’homme verbe, comme l’appelle Lamartine, et après Platon le plus grand style de toutes les langues. « C’est un vase sonore qui contient tout, depuis les larmes privées de l’homme, du mari, de l’ami, jusqu’aux catastrophes de l’homme du monde, jusqu’aux pressentiments tragiques de sa propre destinée. Cicéron est comme un filtre où toutes ces eaux se déposent et se clarifient sur un fond de philosophie et de sérénité presque divines, et qui laisse ensuite s’épancher sa grande âme en flots d’éloquence, de sagesse, de piété pour les dieux, et d’harmonie. On le croit maigre parce qu’il est magnifiquement drapé, mais enlevez cette pourpre, il reste une grande âme qui a tout senti, tout compris et tout dit de ce qu’il y avait à comprendre, à sentir et à dire de son temps à Rome » (Lamartine, Les Confidences).

La mort de Cicéron, par Bartolomeo Pinelli, 1819. Crédit: Bibliothèque du Congrès américain - reproduction autoriséeCatulle l’appelle le plus éloquent des Romains passés, présents, et futurs, et Tite-Live dit que pour le louer comme il le mérite il faudrait qu’il eut pour panégyriste un autre Cicéron. Les auteurs anciens reconnaissent en lui le Père de la patrie, l’homme vertueux dans un siècle de crimes, le défenseur des lois dans l’anarchie, qui vécut, dit Thomas, dans les orages, les traverses, le succès et le malheur, et qui après avoir servi pendant 60 ans les particuliers et l’État, lutta contre les tyrans, cultiva au milieu des affaires la philosophie, l’éloquence et les lettres, tomba victime d’un homme dont il avait été le protecteur et le père. Le plus bel éloge que l’on puisse faire de toi, Cicéron, disait St. Jérôme, c’est de dire: Démosthène en arrivant avant toi t’empêche d’être le premier orateur et toi tu l’empêches d’être l’unique.

Les travaux philosophiques de Cicéron représentent la plus saine philosophie d’alors. Il n’embrasse peut-être pas toujours les idées de Socrate et de Platon, mais il ne s’éloigne pas trop de ce gros bon sens que la plupart des philosophes anciens méconnaissent. Parmi ceux de ses ouvrages qui nous restent on remarque surtout une traduction libre de L’Économique de Xénophon. Les Ausculaires, au nombre de cinq, sont autant de dialogues où il discute sur des questions purement philosophiques. Ses Paradoxes sont au nombre de six; les trois premiers se trouvent dans (L)es vrais biens et les vrais maux. Ils paraissent comme un amusement de l’auteur pour y remplir quelques moments de loisir. L’abbé d’Olivet dit que ce serait donner une idée précise de son ouvrage intitulé : La nature des dieux en l’appelant le Roman théologique des Anciens. C’est un travail remarquable, fait en forme de dialogue entre un épicurien et un académicien. Cicéron tourne en ridicule les superstitions des Romains dans son ouvrage De la divination. Son traité sur le Destin fait une brèche sérieuse au fatalisme. On lit encore avec attention ses traités de La république, Des lois, Des devoirs, son dialogue sur La vieillesse, L’amitié, Les Académiques. Tous les lecteurs sérieux on lu les Lettres de Cicéron. Le nombre s’en élève à 807.

Mais l’éloquence est le mérite réel de Cicéron.

Surpasse-t-il Démosthène? Lui est-il inférieur, ou marche-t-il son égal? Voilà une question que se sont posés les critiques de tous les temps. Nul doute que Cicéron fut un grand orateur. Ses harangues attestent une connaissance profonde de l’art. Il met beaucoup de temps à préparer son auditoire et à gagner son affection. Jamais il n’entreprend d’émouvoir avant de s’être efforcé de convaincre, et il réussit à émouvoir surtout lorsqu’il s’agit d’exciter les passions douces. Personne peut-être n’a mieux connu l’art, la force et le pouvoir des mots. Son style est toujours plein de coulant, son expression remplie de magnificence.

D’un autre côté Démosthène est proclamé le roi de l’éloquence par Cicéron lui-même. « Rien, dit-il, rien ne manque à Démosthène. Il ne me laisse rien à désirer; il n’a de rivaux dans aucune partie de son art. Il remplit l’idée que je me suis formé de l’éloquence; il atteint le degré de perfection que j’imagine. » En effet, le mouvement, la force du raisonnement, la clarté, la dignité et la chaleur sont les caractères distinctifs de l’éloquence de Démosthène. Enthousiasmer, passionner, dire dans un mot plus qu’une longue phrase, dans une pensée, plus qu’un long discours, et puis serrer, presser, forcer son adversaire au pied du mur, par une argumentation nerveuse, écrasante, irrésistible : voilà l’orateur. Sous ce rapport Démosthène est l’athlète de la raison. Il la défend de toutes les forces de son âme et de son génie. Il subjugue à la fois ses adversaires, ses auditeurs et ses juges. « Admirable Démosthène, génie superbe, incomparable logicien! La foudre qui éclate, le tonnerre qui gronde, l’éclair qui sillonne la nue, sont les images les plus propres à nous donner une idée de la hardiesse de tes conceptions, de l’éclat de ta puissance et de la vivacité de ton esprit. Oui, tu es le roi de l’éloquence, et comme à un roi, je te rends le faible tribut de mon hommage. » (La Harpe, Cours de littérature).

Cicéron a terni sa gloire en poussant quelque fois l’art jusqu’à l’ostentation, en s’occupant plus de l’administration de son auditoire qu’à le convaincre, et en affaiblissant son style par une magnificence excessive.

L’Anglais Hugues Blair dit que « Démosthène a la force et l’autorité, Cicéron l’insinuation et la douceur; le style de l’un est plus mâle, celui de l’autre plus orné, le premier a de la rudesse, mais il est plus pressant et plus animé, le second est plus agréable mais plus lâche et plus faible. »

Fénelon et l’abbé Maury inclinent pour Démosthène. La Harpe, après avoir fait le parallèle des deux hommes, donné les raisons qui le font pencher pour l’orateur d’Athènes, n’ose cependant pas formuler un choix définitif.

Cicéron composa un grand nombre de livres sur l’art de bien dire. Parmi ceux qui nous sont parvenus, on remarque surtout : l’Invention en Rhétorique, qu’il publia à l’âge de 20 ans; Rhétorique à C. Herennius, L’Orateur, De l’Orateur, Brutus, ou Dialogues sur les orateurs illustres, Les Topiques, Dialogue sur les précautions oratoires, Du Meilleur Genre d’Éloquence, etc.

Parmi ses nombreux discours on cite surtout ses Philippiques, ses Catilinaires, ses Varrines et son plaidoyer pour Milon, dont la péroraison est un chef-d’œuvre inimitable.

Quintus Cicéron, frère de l’orateur, laissa quelques tragédies traduites ou imitées du grec, un traité De Petitione Consulati, inséré dans les écrits de son frère, et une épître sur la légèreté des femmes."

Edmond Lareau, Histoire abrégée de la littérature, Montréal, J. Lovell, 1884, p. 106-109

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