Souvenirs sur Lohengrin (1849)

Gérard de Nerval
C’est, croyons-nous, le premier article qui ait été écrit en français sur Lohengrin. Il fait partie d’une description des fêtes de Weimar en 1849 et a été réuni, sous la rubrique de Souvenirs de Thuringe, à quelques autres articles dans un volume aujourd’hui très rare, Lorely – Souvenirs d’Allemagne. [présentation de la Revue wagnérienne]

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« Commençons par les dieux… » (1) Le 25 Auguste, comme disent les Allemands – et nous savons aussi que Voltaire donnait ce nom au mois d’août –, a été le premier jour des fêtes célébrées dans la ville de Weimar, en commémoration de la naissance de Herder et de la naissance de Goethe. Un intervalle de trois jours seulement sépare ces deux anniversaires; aussi les fêtes comprenaient-elles un espace de cinq jours.

Un attrait de plus à ces solennités était l’inauguration d’une statue colossale de Herder, dressée sur la place de la Cathédrale. Herder, à la fois homme d’église, poète et historien, avait paru convenablement situé sur ce point de la ville. – On a regretté cependant que ce bronze ne fît pas tout l’effet attendu près du mur d’une église. Il se serait découpé plus avantageusement sur un horizon de verdure, ou au centre d’une place régulière.

Mais nous n’avons à parler ici que de ce qui concerne l’art dramatique. Nous passerons donc légèrement sur les détails de la cérémonie, pour arriver à l’exécution du Prométhée, vaste composition doublement lyrique, dont les paroles, écrites jadis par Herder, ont été mises en musique par Liszt. C’était l’hommage le plus brillant que l’on pût rendre à la mémoire de l’illustre écrivain.

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Le 25 (1), la statue a été découverte au milieu d’une grande affluence, des corps d’état et des sociétés littéraires et artistiques. Un grand dîner, à l’Hôtel de Ville, a réuni ensuite les illustrations venues des divers points de l’Allemagne et de l’étranger. On remarquait là deux poètes dramatiques célèbres, MM. Gutzkow et Dingelstedt. Ce dernier avait composé un prologue qui fut récité au théâtre le 28.

On a donné aussi, ce jour-là, pour la première fois, Lohengrin, opéra en trois actes, de Wagner. Liszt dirigeait l’orchestre, et, lorsqu’il entra, les artistes lui remirent un bâton de mesure en argent ciselé, entouré d’une inscription analogue à la circonstance. C’est le sceptre de l’artiste-roi, qui provoque ou apaise tour à tour la tempête des voix et des instruments.

Le Lohengrin présentait une particularité singulière, c’est que le poème avait été écrit en vers par le compositeur. – J’ignore si le proverbe français est vrai ici, « qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même »; toujours est-il qu’à travers d’incontestables beautés poétiques, le public a trouvé des longueurs qui ont parfois refroidi l’effet de l’ouvrage.

Presque tout l’opéra est écrit en vers carrés et majestueux, comme ceux des anciennes épopées. Il suffit de dire aux Français que c’est de l’alexandrin élevé à la troisième puissance.

Lohengrin est un chevalier errant qui passe par hasard à Anvers, en Brabant, vers le onzième siècle, au moment où la fille d’un prince de ce pays, qui passe pour mort, est accusée d’avoir fait disparaître son jeune frère dans le but d’obtenir l’héritage du trône en faveur d’un amant inconnu.

Elle est traduite devant une cour de justice féodale, qui la condamne à subir le jugement de Dieu. Au moment où elle désespère de trouver un chevalier qui prenne sa défense, on voit arriver Lohengrin, dans une barque dirigée par un cygne. Ce paladin est vainqueur dans le combat, et il épouse la princesse, qui, au fond, est innocente et victime des propos d’un couple pervers qui la poursuit de sa haine.

L’histoire n’est pas terminée; il reste encore deux actes, dans lesquels l’innocence continue à être persécutée. On y rencontre une fort belle scène dans laquelle la princesse veut empêcher Lohengrin de partir pour combattre ses ennemis. Il insiste et se livre aux plus grands dangers; mais un génie mystérieux le protège – c’est le signe, dans le corps duquel se trouve l’âme du petit prince, frère de la princesse de Brabant –, péripétie qui se révèle au dénouement, et qui ne peut être admise que par un public habitué aux légendes de la mythologie septentrionale.

Cette tradition est du reste connue, et appartient à l’un des poèmes ou romans du cycle d’Arthus. – En France, on comprendrait Barbe-Bleue ou Peau d’âne; il est donc inutile de nous étonner. Lohengrin est un des chevaliers qui vont à la recherche du Saint-Graal. C’était le but, au moyen-âge, de toutes les expéditions aventureuses, comme à l’époque des anciens, la Toison d’or et aujourd’hui la Californie. Le Saint-Graal était une coupe remplie du sang sorti de la blessure que le Christ reçut sur sa croix. Celui qui pouvait retrouver cette précieuse relique était assuré de la toute puissance et de l’immortalité. – Lohengrin, au lieu de ces dons, a trouvé le bonheur terrestre et l’amour. Cela suffit du reste à la récompense de ce chevalier.

La musique de cet opéra est très remarquable et sera de plus en plus appréciée aux représentations suivantes. C’est un talent original et hardi qui se révèle à l’Allemagne, et qui n’a dit encore que ses premiers mots. On a reproché à M. Wagner d’avoir donné trop d’importance aux instruments, et d’avoir, comme disait Grétry, mis le piédestal sur la scène et la statue dans l’orchestre; mais cela a tenu sans doute au caractère de son poème, qui imprime à l’ouvrage la forme d’un drame lyrique, plutôt que celle d’un opéra.

Les artistes ont exécuté vaillamment cette partition difficile, qui, pour en donner une idée sommaire, semble se rapporter à la tradition musicale de Gluck et de Spontini. La mise en scène était splendide et digne des efforts que fait le grand-duc actuel pour maintenir à Weimar cet héritage de goût artistique qui a fait appeler cette ville l’Athènes de l’Allemagne.

La salle du théâtre de Weimar est petite et n’est entourée que d’un balcon et d’une grille; mais les proportions en sont assez heureuses et le ceintre est dessiné de manière à offrir un contour gracieux aux regards qui parcourent la rangée de femmes bordant comme une guirlande non interrompue le rouge ourlet de la balustrade. L’absence de loges particulières et la riche décoration de la loge grand-ducale lui donnent tout à fait l’apparence d’un théâtre de cour, et l’effet général est loin d’y perdre. L’œil n’est heurté ni par ce mélange de jolies figures de femmes et de laides figures d’hommes qu’on remarque ailleurs sur le devant des loges et des amphithéâtres, ni par cette succession de petites boîtes ressemblant tantôt à des tabatières, tantôt à des bonbonnières, qui divisent d’une façon si peu gracieuse les divers groupes de spectateurs.

Le lendemain de la représentation (3), j’avais besoin de me reposer de cinq heures de musique savante dont l’impression tourbillonnait encore dans ma tête à mon réveil. Je me mis à parcourir la ville à travers les brumes légères d’une belle matinée d’automne.


Notes
(1) En titre : Les fêtes de Weimar – Le Prométhée.
(2) En titre : Lohengrin.
(3) En titre : La maison de Goethe

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