Où est Wallenberg?

Jacques Dufresne
Un grand philantrope, disparu sans laisser de trace.
Deux personnes seulement sont devenues citoyens honoraires des États-Unis de leur vivant: Winston Churchill et Raoul Wallenberg. Divers groupes, dont la Fédération internationale des droits de l'homme et la Ligue des droits de B'nai Brith font depuis avril 84 des pressions pour que Wallenberg reçoive le même honneur du Canada.

Qui est Wallenberg? Comment se fait-il qu'il soit si peu connu tout en ayant eu droit aux mêmes honneurs que Churchill?

Ce jeune architecte suédois a sauvé la vie de plus de 100 000 Juifs vers la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La Suède, on le sait, était un pays neutre qui, à ce titre, pouvait maintenir des services diplomatiques dans les pays occupés ou protégés par l'Allemagne.

Au début de 1944, Wallenberg fut envoyé à l'ambassade de Suède en Hongrie avec mission de tout tenter pour empêcher l'achèvement d'un génocide. Il disposait à cette fin d'imposants capitaux américains. Il a accompli sa mission.

Quand on lit les récits sur la façon dont les Juifs étaient arrêtés massivement et transportés par trains entiers vers les camps de la mort, on se demande comment toutes ces opérations ont pu être menées à bien si facilement. On s'interroge. Que faisaient, par exemple, les représentant des pays neutres? Wallenberg a été l'une des glorieuses exceptions à la règle de ce silence et de cette prudence. Il a été intelligemment et efficacement courageux; le représentant du pape à Budapest et des diplomates suisses se sont aussi illustrés.

Wallenberg a eu notamment l'idée d'une pièce d'identité spéciale qu'il a fait distribuer à des milliers et des milliers d'exemplaires à des Juifs qui devenaient ainsi citoyens suédois. Quand un quelconque contrôleur refusait de reconnaître ces documents, Wallenberg se rendait lui-même sur les lieux du litige, faisant éloquemment état de son statut de représentant d'un pays neutre. Les soldats allemands, le plus souvent par ignorance de ce qui se passait vraiment, finissaient presque toujours par se laisser convaincre.

Il fallait aussi loger sur place le maximum de Juifs dans des lieux sûrs, c'est-à-dire en territoire suédois. Wallenberg acheta à cette fin plusieurs immeubles à Budapest. Pendant tout ce temps, il se savait surveillé. Il a même été victime d'au moins un attentat, raté de peu.

Vers la fin de la guerre, peu avant l'invasion de la Hongrie par les Russes, la brigade des exterminateurs allemands fit preuve d'un zèle spécial. D'interminables colonnes de Juifs faméliques furent acheminées vers des wagons de bestiaux en bordure de Budapest. Connaissant la sinistre signification de ces déplacements, Wallenberg se rendit sur place et sauta même dans des wagons déjà remplis pour y distribuer ses passeports pour la vie. Défiant les mitraillettes tournées vers lui, il entamait des négociations avec l'officier de service qu'il finissait par acheter avec des liasses de dollars.

Juste avant l'arrivée des Russes à Budapest, la brigade des exterminateurs reçut l'ordre de vider les maisons suédoises et de rassembler tous les Juifs de la ville dans un immense terrain vague pour y être mitraillés. Wallenberg usa si bien de son courage et de sa ruse qu'il parvint in extremis à faire annuler l'ordre par le commandant de l'armée allemande en poste à Budapest. Des dizaines de milliers de Juifs furent ainsi sauvés.

Puis ce fut l'entrée des Russes. En tant que représentant des pays alliés, Wallenberg fut invité à rencontrer leur commandant, le général Malinovsky. On a perdu sa trace depuis ce moment. Il connut le sort de ces soldats russes qui passèrent sans transition des camps allemands à ceux de leur propre pays.

En 1947, la Russie annonça officiellement la mort de Wallenberg mais n'en donna aucune preuve. Plusieurs années après, des «bénéficiaires» du Goulag, émigrés en Occident, assurèrent qu'ils avaient vu Wallenberg bien après 1947. Le détail de ces révélations est donné dans le livre de Fredrik von Dardel, Wallenberg, the Facts about His Fate.

Il se pourrait donc fort bien que Wallenberg soit encore vivant. Il avait une robuste santé. Il aurait 72 ans (article écrit en 1985).

C'est à lui-même d'abord que le Canada ferait honneur en accordant la citoyenneté, honoraire à un tel être. L'un des biographes de Wallenberg, Per Anger, qui avait travaillé avec lui à Budapest, occupa par la suite un poste à Ottawa au cours des années mil neuf cent soixante-dix. On peut donc présumer que l'histoire de Wallenberg est connue depuis longtemps dans les milieux généralement bien informés.

Nous pouvons encore faire quelque chose pour Wallenberg. Cent mille êtres humains lui doivent la vie. Plusieurs d'entre eux s'emploient depuis la fin de la guerre à faire la lumière sur sa disparition. Le Canada doit les aider. Aucun effort n'est vain quand il s'agit de rendre justice à un être pour qui justement aucun effort n'était vain. La détermination finit toujours par impressionner les Russes. Un héros vaut bien un boisseau de blé.

1) With Raoul Wallenberg in Budapest, Holocaust Library, New, York 1981. Préface de Elie Weisel.

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