La psychologie est-elle une science?

Jacques Dufresne

Toutes les psychothérapies s'équivalent
Dans un article paru le 15 octobre dernier, sous le titre de Nouvel Âge, le président de la Corporation des psychologues, Mario Poirier, s'élève contre « les approximatifs de la plus belle eau qui s'intitulent désormais psychothérapeutes. (...) Ces spirites et guérisseurs, ajoute-t-il, sévissent souvent auprès des clientèles les plus démunies. De sagesse tantrique en remèdes médiats, on tâte, on synthonise, on agace les viscères! Quand c'est du loisir, du finement spirituel, on est tenté d'en rire sagement, mais quand on en profite pour tirer le portefeuille des plus crédules, pour pousser à la dérive les plus vulnérables, on perd le goût du zazen contemplatif ».

Monsieur Poirier sait bien que plusieurs membres de sa profession font partie de ces approximatifs et c'est d'abord contre eux qu'il dirige sa corporatiste colère. L'ensemble de son article se présente toutefois plutôt comme une dénonciation du phénomène du Nouvel Âge, auquel tous les approximatifs paraissent associés à ses yeux.

Le 19 novembre, madame Nadine Gueydan, psychologue, répond à monsieur Poirier qu'il fait lui-même preuve d'un sens un peu trop développé de l'approximatif en s'attaquant globalement au Nouvel Âge.

À l'arrière-plan, deux débats bien distincts. Le premier est pratique. La corporation des psychologues, par rapport à celle des médecins par exemple, n'est qu'une demi-corporation en ce sens que seul le titre est protégé. Un médecin omnipraticien ou une travailleuse sociale par exemple, même s'ils n'ont reçu aucune formation spécialisée à cette fin, peuvent très bien recourir à un traitement psychothérapique, à condition de ne pas s'afficher publiquement comme psychologues.

La corporation des psychologues poursuit depuis de nombreuses années des démarches en vue de faire reconnaître la psychothérapie comme un acte réservé exclusivement aux psychologues. D'où, chez le président, un intérêt à démontrer sur la place publique le professionnalisme, la rigueur scientifique des membres de la profession.

La psychologie est-elle une science?

Le débat pratique rejoint par là le débat théorique, que l'on peut ramener à cette question : la psychologie, dans son aspect clinique, est-elle suffisamment bien établie comme science pour qu'on puisse l'opposer à l'ensemble des pratiques psychothérapiques qui n'ont pas reçu sa sanction?

J'ouvre le Précis de psychiatrie de Duguay et Ellenberger, à la section traitant de la recherche sur l'efficacité de la psychothérapie en général. Le premier paragraphe se lit comme suit : « Hans Eysenck a fait sensation lorsqu'en 1952 il affirma, statistiques en mains, que la psychothérapie était complètement dénuée de toute efficacité. En 1965, il publia un nouveau rapport, confirmant son opinion négative. Il n'y avait, affirmait Eysenck, aucune différence entre le pourcentage des guérisons attribuées aux traitements psychothérapiques et le pourcentage des guérisons spontanées survenant dans un groupe de contrôle, avec la seule exception des sujets traités par la thérapie comportementale ».

Des études plus récentes ont montré une amélioration significativement plus élevée dans les groupes ayant suivi une psychothérapie que dans le groupe contrôle. Dans la plus importante de ces études toutefois, on n'a pu voir aucune différence entre les diverses psychothérapies étudiées.

Pour être précis...

Conclusion : la personnalité du psychothérapeute est plus importante que sa méthode. Le bon thérapeute c'est celui qui a le plus de bonté. L'on voudra bien tenir pour acquis que la bonté dans ce cas suppose l'intelligence et la culture. Quoique les annales de la science - je tire ces vérités de mon Précis - regorgent d'exemples mettant en cause des guérisseurs à la fois peu brillants et diablement efficaces.

On aura compris que si j'ai choisi de m'en remettre à un Précis c'est pour échapper autant que possible à l'influence des approximatifs.

Mon Précis contient une liste de toutes les thérapies (tout au moins partiellement psi) qui sont en principe équivalentes. Sous la rubrique méthodes d'entraînement, la liste est particulièrement longue et elle comprend la méditation, le biofeedback et l'art-thérapie.

S'il y a dans tout cela plus de science que d'art, ce dont il est permis de douter, cette science se trouve sûrement plus dans la partie physiologique de l'ensemble que dans la partie proprement psychologique. Et -répétons-le- si science il y a, à quoi sert la science puisqu'elle ne garantit pas une plus grande efficacité?

La psychologie n'est une science que dans la mesure où elle oublie l'âme... qui entre pourtant dans sa définition. Psychologie en effet signifie littéralement science de l'âme. Il n'existe pas de science de l'âme. Il existe dans une certaine mesure une science de la partie des comportements ressortissant à la mécanique.

Monsieur Poirier n'ignore sans doute pas que plusieurs membres de sa profession, parmi les plus réputés et les plus éclairés, se réclament d'un collègue américain, James Hillman, qui est en train, et de façon magistrale, de rétablir la psychologie comme art.

Je m'empresse ici de préciser que le mot art n'ouvre pas la porte à toutes les déraisons, qu'il est plutôt une invitation à ramener la psychologie à la hauteur de ses plus grands maîtres : Platon, Sénèque, La Rochefoucauld, Balzac, Dostoievsky, Nietzsche... liste considérable, à laquelle il faut ajouter les innombrables et obscurs auteurs des mythes tel le mythe de Psyché, justement.

Monsieur Poirier ferait peut-être mieux de veiller sur l'intégrité de la psychologie comme art plutôt que sur celle de la psychologie comme science. Quand à l'acte exclusif, si le critère pour le justifier est scientifique, il y a des chances qu'il se limite à quelques thérapies comportementales.

Un mot sur les guérisseurs et les charlatans. Voici ce qu'en dit mon Précis : « La médecine occidentale semble plus préoccupée à les poursuivre en justice qu'à étudier le mécanisme de leurs guérisons ». La psychologie aurait-elle les mêmes tentations que la médecine?

Présider la Corporation des psychologues, un dur métier

Au moment où toutes ces choses sont à l'ordre du jour, l'affaire Bombardier-Bouchard, un psychologue, refait surface. La fonction de président de la Corporation des psychologues doit être difficile par les temps qui courent. Dans une société comme la nôtre qui a horreur du jugement de valeur et de l'autorité devant laquelle il faut s'incliner pour accepter lesdits jugements, comment limiter les abus? En invoquant la science? Même quand on n'est pas du tout sûr qu'elle sera au rendez-vous?

En 1979 la Corporation avait suspendu Alain Bouchard pour une semaine en raison des ses opinions favorables à la pédophilie. Aujourd'hui à cause d'un certain procès, ses thèses jouissent d'une publicité dont les travaux universitaires les plus sérieux ne bénéficieront jamais.

Et c'est là, comme le caricaturiste Girerd l'a indiqué cette semaine, l'aspect le plus important de toute l'affaire. Dans le milieu de la recherche - à condition bien sûr qu'il s'agisse d'une recherche ou d'une réflexion digne de ce nom - la liberté d'opinion doit être totale, mais là seulement. Une opinion, celle par exemple d'un psychologue sur la pédophilie, qui pourra susciter une bonne discussion entre chercheurs, pourra avoir des effets négatifs sur l'ensemble d'une société si elle est l'objet d'une large diffusion. Les uns, sans raisons sérieuses, se méfieront davantage des psychologues, les autres mépriseront les tribunaux sans savoir précisément pourquoi. Le mal aura été fait. Comment aurait-on pu le prévenir? Comment pourrait-on y remédier?

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