Article «Phidias» de L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert

Le Chevalier de Jaucourt
Cet extrait de l'article "Sculpteurs grecs" de L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, et signé par le chevalier de Jaucourt, comporte une recension intéressante des principales sources littéraires, Pline et Pausanias en particulier, d'où provient notre connaissance de l'art de Phidias. L'auteur utilise les noms latins pour nommer les divinités grecques. On remplacera selon le cas Minerve par Athéna et Jupiter par Zeus.
PHIDIAS, le sculpteur des dieux, était natif d'Athènes; il fleurissait vers l'an du monde 3356, dans la 83e olympiade, temps heureux où après les victoires remportées contre les Perses, l'abondance fille de la paix, et mère des beaux-arts, faisait éclore les talents par la protection de Périclès, l'un des plus grands hommes qui ait paru dans l'ancienne Grèce, et peut-être dans le monde.
Phidias avait fait une étude singulière de tout ce qui avait rapport à son talent, et en particulier l'étude de l'optique. On sait combien cette connaissance lui fut utile dans la statue de Minerve, qu'il fut chargé de faire, concurremment avec Alcamène; la statue par Alcamène vue de près, avait un beau fini qui gagna tous les suffrages, tandis que celle de Phidias ne paraissait en quelque sorte qu'ébauchée; mais le travail recherché d'Alcamène disparu, lorsque la statue fut élevée au lieu de sa destination; celle de Phidias, au contraire frappa les spectateurs par un air de grandeur et de majesté, qu'on ne pouvait se lasser d'admirer.

Ce fut lui qui, après la bataille de Marathon, travailla sur un bloc de marbre, que les Perses dans l'espérance de la victoire avaient apporté, pour en ériger un trophée; il en fit une Némésis, déesse qui avait pour fonction d'humilier les hommes superbes. La haine d'un Grec contre les Perses, jointe au plaisir de venger la patrie, anima son génie d'un nouveau feu, et prêta à son ciseau et ses mains une nouvelle adresse.

Périclès chargea encore Phidias de faire une Minerve différente de celle dont j'ai parlé, et qu'on plaça dans le temple de cette déesse, appelé le Parthénon. Cette statue de Phidias avait la hauteur de vingt-six coudées (39 pieds), et elle était d'or et d'ivoire. Il y entra 44 talents d'or, c'est-à-dire, 132 milles livres sterling, sur le pied de 3000 livres sterling pour chaque talent d'or; et comme un nommé Ménon accusa Phidias d'avoir détourné une partie de cette somme, l'or fut détaché de la statue, exactement pesé, et à la honte de l'accusateur, on y retrouva les 44 talents; mais quelque riche que fut cette statue, l'art y surpassait infiniment la matière; Cicéron, Pline, Plutarque, et autres grands écrivains de l'antiquité, tous connaisseurs, tous témoins oculaires, en ont parlé comme un des beaux ouvrages de main d'homme.

L'on aurait peut-être douté qu'il fût possible de rien faire de plus parfait en ce genre, si ce Phidias lui-même n'en eût donné la preuve dans son Jupiter olympien, qu'on peut peut appeler le chef-d'œuvre du plus célèbre maître, le plus grand effort de l'art, un prodige, et si bien un prodique, que pour l'estimer à sa juste valeur, on crut le devoir mettre au nombre des sept merveilles du monde. Phidias fut inspiré dans la construction de son Jupiter par un esprit de vengeance contre les Athéniens, desquels il avait lieu de se plaindre, et par le désir d'ôter à son ingrate patrie, la gloire d'avoir son plus bel ouvrage, dont les Eléens furent possesseurs avec reconnaissance. Pour honorer la mémoire de l'artiste, ils créerent en faveur de ses descendants une nouvelle charge, dont toute la fonction consistait à avoir soin de cette statue.

Cette statue d'or et d'ivoire haute de 60 pieds, et d'une grosseur proportionnée, fit le désespoir de tous les grands statuaires qui vinrent après. Aucun d'eux n'eut la présomption de penser seulement à l'imiter. Selon Quintilien, la majesté de l'ouvrage égalait celle de Jupiter, et ajoutait encore à la religion des peuples. On demandait si le dieu était descendu du ciel en terre pour se faire voir à Phidias, ou si Phidias avait été transporté au ciel, pour contempler le dieu. Pausanias qui avait vu cette statue, nous en a laissé une longue et belle inscription, que M. l'Abbé Gédoyn a insérée dans la dissertation sur ce sculpteur immortel. Au bas de la statue, on lisait cette inscription: PHIDIAS ATHÉNIEN, FILS DE CHARMIDE, M'A FAIT. Il termina ses travaux par ce chef-d'œuvre qui mit le comble à sa gloire, et qui lui assurat une réputation que plus de deux mille n'ont pu lui ravir.

Ce maître sublime fut le premier parmi les Grecs qui étudia la belle nature, pour l'imiter, et son imagination vaste et hardie, représentait encore mieux les dieux que les hommes. Il paraissait alors être dans son travail par la divinité elle-même. Si Phidias forme l'image de Jupiter, dit Senèque, il semble que ce Dieu va lancer la foudre: s'il représente Minerve, on dirait qu'elle va parler pour instruire ceux qui la considèrent, et que cette sage déesse ne garde le silence que par modestie. Aimable sœur de la peinture, art merveilleux, c'est donc ainsi que vous faites allusion aux sens, pour enchanter l'âme, pour attendrir le cœur, et pour élever l'esprit.

Pausanias rapporte que les Eléens conservèrent pendant très-longtemps l'atelier de Phidias, et que c'était une curiosité que les voyageurs ne manquaient pas d'aller voir.

Mais il ne faut pas omettre le jugement de Pline sur Phidias. Je ne parlerai point, dit cet historien, de la beauté de Jupiter olympien, ni de la grandeur de la Minerve d'Athènes, qui a vingt-six coudées (39 pieds), et qui est d'or et d'ivoire; mais je parlerai, continue-t-il, du bouclier, de cette même figure, sur le bord duquel il a représenté en bas-relief le combat des Amazones, et dans le dedans celui des dieux et des géants; il a employé toute la délicatesse de l'art pour représenter le combat des Centaures et des Lapithes sur la chaussure de la déesse, tant il a su profiter de tout; et il a décoré la base de la statue par un bas-relief qui représente la naissance de Pandore. On voit dans cette composition la naissance de vingt autres dieux, du nombre desquels, est une Victoire qui se distingue par sa beauté. Les connaisseurs admirent surtout le serpent et le sphinx de bronze sur lequel la déesse appuie sa hâte. Voilà ce que je voulais dire en passant, ajoute Pline, d'un artiste que l'on ne peut jamais assez louer, et dont la grande manière, magnificentia, s'est toujours soutenue jusque dans les plus petites choses.

Les beautés de détail qu'on vient de lire n'ont été décrites que par Pline, et elles amusent l'imagination. Je conviendrai sans peine que leur travail était en pure perte pour les spectateurs, parce qu'en donnant même au bouclier de Minerve dix pieds de diamètre, on ne pouvait distinguer les ornements d'assez près pour en juger sur une figure d'environ quarante pieds de proportion, et qui d'ailleurs était placée sur un piédestal qui l'élevait encore. Aussi n'est-ce pas dans ces petits objets que consistait le principal mérite de la statue de Minerve; ils n'étaient représentés que sur le bouclier de la déesse, et Pline ne les donne que comme de légères preuves des talents et du génie de l'artiste, argumenta parya & ingenii tantum. Mais Phidias se vit obligé de se prêter au goût des Grecs qui aimaient passionnément ces sortes de petits morceaux, le trône d'Apollon par Bathyclès faisait leurs délices. Or qui peut douter du mérite éminent et de la perfection des ouvrages de Phidias en ce genre? Tout le monde avait vu de près le bouclier de Minerve, et l'avait admiré avant qu'il fût en place.

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