L'Athéna Parthénos
Extrait de Phidias et la sculpture grecque au Ve siècle, de Henri Lechat, ouvrage paru au tournant du XXe siècle.
Au fond du Parthénon, dans ce demi-jour des temples grecs, plus favorable que la pleine clarté aux délicats assemblages de pièces rapportées, soit collées ou agrafées sur une forme de bois, qu'étaient les grandes idoles chryséléphantines, l'Athéna de Phidias offrait une vision d'une surnaturelle splendeur. L'ivoire faisait la douce blancheur polie de son visage, de ses bras nus et de ses pieds; l'or faisait l'éclat de sa chevelure, de son péplos, de l'égide que fermait un gorgoneion d'ivoire; et son casque à trois cimiers était à lui seul une étonnante pièce d'orfèvrerie, du plus raffiné travail, de la plus luxueuse décoration. La main droite étendue portait une Nikè d'ivoire et d'or, haute de 1m80 à 1m90, une vraie statue; la main gauche s'appuyait sur le boucher, dressé verticalement, contre l'intérieur duquel se déroulait à demi le grand serpent Érichthonios, gardien et mystérieux génie de l'Acropole; du même côté gauche, entre le serpent et la déesse, la haute lance, que la main ne pouvait pas tenir, reposait contre l'épaule un peu obliquement. Au côté extérieur du bouclier, était figurée en relief une Amazonomachie, tandis qu'à l'intérieur une Gigantomachie était peinte; sur la tranche épaisse des sandales, d'autres reliefs montraient des scènes d'une Centauromachie. Enfin le piédestal, richement orné, présentait sur son devant un large bandeau de sculptures, dont le sujet était la création et la toilette, la mise en vie et en valeur, parmi vingt dieux et déesses réunis, de Pandora, la première femme. — Telle nous connaissons la Parthénos, grâce aux renseignements des textes anciens, puis à des copies diverses, plus ou moins réduites, qui se complètent ou se corrigent l'une l'autre: les deux statuettes d'Athènes, dites Athéna Lenormant et Athéna du Varvakeion (Fig. 16), la statuette de Madrid, la grande statue signée du nom d'Antiochos (Rome, Musée national), celle dite Minerve au collier (Louvre), d'assez nombreuses têtes (Berlin, Ny Carlsberg, Louvre) provenant de statues analogues, et ensuite les deux médaillons d'or de Kouloba (Saint-Pétersbourg) et la célèbre intaille en jaspe rouge (Vienne), signée du graveur Aspasios.
Ces copies sont impuissantes, il est vrai, à nous rendre ce qui, dans l'impression produite par l'original, tenait aux dimensions mêmes du colosse, au rapport de celles-ci avec la hauteur du naos et l'écartement de sa double colonnade, aux effets de couleur obtenus par les teintes naturelles ou artificielles des différentes matières employées; à nous rendre surtout la sensation de magnificence et de mystère à la fois, qui devait résulter du rayonnement des matériaux précieux, lorsqu'ils s'éclairaient à l'approche douce de la lumière glissant horizontalement depuis la porte ouverte jusqu'au fond du temple. Mais, du moins, l'ensemble de ces copies nous restitue les lignes et détails extérieurs de l'œuvre; et l'idée qu'a voulu réaliser l'artiste s'y manifeste clairement. En accumulant sur la Parthénos, au risque de la charger un peu, toutes ses parures de femme et tous ses attributs de déesse, en érigeant sur sa main une symbolique Nikè, en lui donnant une attitude droite et fixe, presque un peu raide malgré le léger ploiement d'une des jambes, Phidias a su magnifiquement exprimer, dans cette nouvelle et dernière représentation de la patronne d'Athènes, le caractère de grandeur souveraine qui convenait pour la divine habitante du Parthénon. La Lemnia était une Athéna familière celle-ci est Athéna en majesté. La Promachos était une Pallas guerrière, une Athéna militante celle-ci est Athéna triomphante. Avec une dignité grave et un calme auguste, elle reçoit, environnée de splendeur, le perpétuel hommage que lui doit son peuple; et son peuple, en lui apportant cet hommage, éprouve un intime orgueil à reconnaître en elle la figure de la Cité même, au moment précis de sa plus haute prospérité et de son plus radieux éclat.