Les médecines douces

Jacques Dufresne
Les dangers liés à la libéralisation des pratiques de guérison ne doivent pas nous faire oublier qu'elles sont le fruit d'une prise de conscience des abus liés à la professionnalisation et à la technicisation de la pratique médicale.
Les réactions à la technicisation et à l'institutionnalisation des soins de santé furent diverses. Sur le plan thérapeutique, il y eut l'avènement des médecines douces. Au milieu des années quatre-vingts, on avait dénombré plus de quatre cents thérapies différentes aux États-Unis, dont la massothérapie et ses 50,000 représentants. Au Québec, au même moment, des études approximatives établissaient le nombre de thérapeutes parallèles à 6,000 environ. En France, des sondages prouvaient que plus de la moitié de la population avait eu recours aux médecines douces au moins une fois dans sa vie.

Toutes ces thérapies ne sont évidemment pas également sérieuses et utiles. Aussi bien, il ne s'agit pas de les évaluer ici, mais de mieux saisir à travers elles l'évolution des rapports de l'homme avec son corps et sa santé.

Dans les cliniques technicisées, on touche de moins en moins le corps du malade et on le regarde davantage sur des films et des écrans cathodiques que directement. On ne le sent plus. On l'écoute moins.

Les médecines douces correspondent à un besoin dans ce contexte parce qu'elles sont avant tout caractérisées par le retour des sens, du toucher d'abord.

On redécouvre en même temps l'importance des fonctions vitales élémentaires comme la respiration. Le contrôle de la respiration, accompagné souvent de méditation, constitue une dimension importante de nombreuses thérapies. L'attention accordée à la nourriture et à l'exercice sont deux autres constantes.

Les médecines douces, dont certaines comme l'acupuncture et l'homéopathie, sont issues des plus solides traditions orientales et européennes, sont aussi traversées par le souci de la personne dans son ensemble, des rapports entre l'âme et le corps. Vues sous cet angle, elles sont une philosophie dirigée contre le mécanisme cartésien et le scientisme du XIXe siècle. Cette philosophie nous ramène à Hippocrate et à sa confiance en la nature et met l'accent sur les interactions complexes entre l'âme et le corps.

Les médecines douces ne peuvent toutefois pas être définies de façon univoque comme une réaction positive à la démesure technique. Elles sont aussi incontestablement, à bien des égards, l'une des formes que prend l'obsession de la santé.

Pour ce qui est des thérapies et des idées sur la santé et la maladie, la société actuelle offre le spectacle, désolant pour les uns, prometteur pour les autres, d'une variété sans unité. La technique, devenant plus subtile, renforcera-t-elle sa position? Cette hypothèse est plus que vraisemblable, comme le montre l'exemple des nouvelles techniques de reproduction. Détermination du sexe de l'enfant, insémination artificielle, fécondation in vitro, prévention des maladies d'origine génétique, ce sont là autant de portes par lesquelles, sous le couvert de la médecine du désir, la technique envahit un domaine jusque là réservé: l'intimité du couple et les structures de la parenté. Les problèmes éthiques qui en résultent sont d'une extrême gravité et ne peuvent être résolus que dans le cadre d'une vision de l'homme centrée sur une conception positive de la limite.

Le renforcement de la technique n'est toutefois pas assuré. Il se heurtera à de solides résistances, comme le prouvent, partout dans le monde, les âpres débats sur les nouvelles techniques de reproduction. Il se pourrait même que le balancier ait amorcé un mouvement irréversible vers l'autre pôle. Dans une situation aussi confuse, il est bien difficile de prédire l'avenir et de s'inscrire dans la tendance dominante. Il est de toute façon plus simple et plus honnête de faire un choix en s'appuyant sur des critères explicites. Ce choix dût-il s'avérer contraire aux tendances dominantes.

Jusqu'au début des années 1980, on étudiait séparément les grands systèmes dont dépend au premier chef notre santé: le système nerveux, le système hormonal et le système immunitaire. Au cours des années 1980, il est devenu évident qu'entre ces trois systèmes, les interactions sont telles qu'il faut absolument les associer dans un concept nouveau. Plutôt que de recourir à des expressions barbares telles que système neuro-hormono-immunitaire, le docteur Michel Odent, celui qui, avec le docteur Leboyer, a introduit les techniques douces en obstétrique, a proposé l'expression de santé primale, indiquant par le choix du mot primal, que les événements de la première enfance sont d'une extrême importance pour la santé future. C'est en effet à ce moment que se fait l'intégration des trois systèmes. Le mot système, de son côté, renvoie à la notion d'approche systémique et, par là, à l'écologie, laquelle tend désormais à se substituer à la physique comme modèle pour la médecine. La santé apparaît alors comme un équilibre entre une multitude d'éléments divers, des neuropeptides et des cellules macrophages par exemple.

Le souci de la santé primale devrait se refléter dans les programmes des facultés de médecine. La division de l'enseignement selon d'anciennes spécialités comme l'immunologie, l'endocrinologie et la neurologie paraît de plus en plus artificielle dans le contexte nouveau, où chaque jour, une frontière est abolie. Certaines facultés de médecine, comme celle de l'Université de Sherbrooke et celle de l'Université McMaster au Canada, ont adopté une approche systémique, mais ce mouvement ne se généralise que très lentement.1

Dans la perspective de la santé primale, il va de soi que l'accent doit être mis sur la promotion de la santé plutôt que sur la lutte contre la maladie, sur le care plutôt que sur le cure. L'harmonieuse intégration des trois grands systèmes de l'organisme chez l'enfant suppose de la part des parents et des proches une infinité de petites attentions à la fois instinctives et intelligentes, sensibles et spirituelles. Le manque de contacts physiques, par exemple, peut avoir de lourdes conséquences, le développement du sens du toucher faisant partie des conditions de l'harmonisation recherchée.

La promotion de la santé par cette voie, première mais indirecte, suppose qu'on ait le sens du lointain. On n'a jamais fait de recherches sérieuses pour établir des corrélations simples entre telle ou telle série d'événements de la première enfance et la santé pendant le reste de la vie. De telles études exigent trop de temps...

Par le sens du lointain qu'il suppose et qu'il exige, le souci de la santé primale rejoint l'écologie. Si l'environnement est devenu un facteur de risque majeur, c'est précisément parce que, depuis un siècle, trop de gestes irréversibles ont été posés sans considération du lointain. Si la santé individuelle n'est pas d'abord axée sur le lointain, jamais les collectivités ne seront capables de ces dons généreux à l'avenir dont dépend la vie future. Et, en conséquence, un environnement qui continuera de se dégrader annulera des siècles d'efforts, pour que les fruits de la pensée se développent dans l'homme avant les germes de la mort.


Note

1. Michel Odent, La santé primale,Paris, Payot, 1986.

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