Le plus dur des devoirs : La liberté chez Bernard Charbonneau et Jacques Ellul

Daniel Cérézuelle

Une opinion libre sur la liberté, chose rare. Dès que cesse la libération, on s’installe dans la liberté, ce qui est la façon la plus insidieuse d’y renoncer. Déboulonner les statues déjà par terre, c’est avouer son conformisme. La liberté n’est pas là où nous croyons la posséder, mais là où nous n’osons pas l’assumer : contre les faux consensus du temps et du moment.  


 

Sortir du productivisme, remettre à leur place la technique et l’Etat.  « Les progrès de la science qui étend jusque dans l’homme le domaine du déterminisme, la pression des masses et de l’organisation technique qui restreint sans arrêt l’initiative des individus rendent chaque jour plus évidemment fallacieuse l’illusion d’une liberté qui serait naturellement donnée.[1]». Dans leurs Directives pour un manifeste personnaliste[2],texte rédigé en 1935, Bernard Charbonneau (1910-1996) et Jacques Ellul (1912-1994) se révoltent contre la dépersonnalisation de l’action qui résulte du fonctionnement normal des structures économiques, institutionnelles administratives et techniques qui organisent la vie sociale de leur temps et déterminent son évolution. Il en résulte un monde caractérisé par l’anonymat, l’absence d’initiative et de responsabilité personnelles. Comme l’écrit Charbonneau dans un texte de 1939 : « La société actuelle, par ses principes et son fonctionnement ne peut avoir qu’un résultat : la dépersonnalisation de ses membres.[3]». En 1937 dans Le sentiment de la nature, force révolutionnaire[4], Charbonneau montrait comment le développement industriel prive les hommes de la possibilité d’établir un rapport équilibré et épanouissant avec la nature. Cette montée en puissance et cette autonomisation des structures s’impose comme un phénomène social total, et détermine aussi nos manières de penser et de sentir. Convaincus qu’une pensée qui n’est pas mise en pratique est dérisoire, Charbonneau et Ellul se sont associés pour contribuer à une nécessaire réorientation de la vie sociale, remettre à leur place l’économie, la technique et l’Etat et pour promouvoir « une cité ascétique afin que l’homme vive[5] ». Ils ont voulu susciter un mouvement de critique du développement industriel, du culte de la technique et de l’Etat, et jeter les bases d’une maîtrise collective du changement scientifique et technique. A ce titre on peut considérer ces deux jeunes Bordelais comme des précurseurs de l’écologie politique et du mouvement décroissant.

Charbonneau et Ellul pensaient que les formes conventionnelles d’action politique qui visent l’accès au contrôle de l’Etat pour réformer la société de haut en bas sont inadaptées pour susciter un changementqu’ils envisagent en termes de civilisation[6]. Fidèles à leurs intuitions de jeunesse, tout au long de leur vie ils resteront, « unis par une pensée commune[7] » comme l’écrira Charbonneau au lendemain de la mort d’Ellul. Ils agiront, parfois séparément, parfois ensemble, dans deux directions complémentaires : d’une part tenter de diverses manières de susciter un mouvement collectif visant une réorientation non productiviste, non techniciste et non étatiste des pratiques sociales ; d’autre part mener un travail « théorique » d’approfondissement de leur critique sociale et des raisons d’être de leur engagement, travail qui donnera lieu à la publications de nombreux ouvrages qui, souvent mal reçus ou ignorés lors de leur parution, s’avèrent prémonitoires et nous donnent des repères précieux pour penser notre situation présente et tenter d’agir . Si ce travail de critique sociale s’avère aujourd’hui si pertinent c’est qu’il a été conduit à partir d’un point de vue très particulier qui est celui de la liberté.

 

Une valeur commune : la liberté. Pour Charbonneau et Ellul, tout ce qui réduit la responsabilité et l’autonomie des individus dans leur vie quotidienne est un mal. Face à une civilisation qui institutionnalise et porte à l’extrême la scission du matériel (puissance et efficacité) et du spirituel (autonomie, égalité, justice …), Ellul et Charbonneau se soucient d’instaurer des conditions de vie qui soient concrètement compatibles avec l’exigence de responsabilité personnelle de chacun dans tous les domaines de sa vie. Ce point de vue éthique a inspiré une œuvre écrite abondante qui, chez l’un comme chez l’autre, s’organise autour de deux pôles étroitement complémentaires. D’un côté un volet de leur œuvre est consacré à l’analyse des contradictions du monde moderne, qu’il s’agisse de la croissance de l’Etat et du phénomène totalitaire, de la dégradation des conditions de vie quotidienne et de la nature, du rôle social de la science (Charbonneau), ou qu’il s’agisse de la technique, de la propagande, des idéologies etc. (Ellul), D’un autre côté chacun a consacré un second volet de son œuvre à une explicitation des raisons éthiques et spirituelles qui les ont incités à s’opposer aux évolutions sociales qu’ils observaient et à promouvoir une réorientation de la civilisation. C’est au nom de la liberté qu’ils s’obstinent à évaluer les institutions et les techniques non seulement en termes d’efficacité mais aussi (et surtout) en fonction des conséquences qui en résultent pour la maîtrise de chacun sur ses conditions de vie concrètes. Inlassablement ils posent la même question : quelle place la civilisation industrielle et technicienne laisse-t-elle au pouvoir de décision de l’individu dans sa vie quotidienne ? C’est au nom de la liberté qu’ils critiquent non pas tout ce qui est moderne (ils ne sont pas réactionnaires) mais principalement l’autonomisation du pouvoir de l’argent, de l’Etat et de la technique.

Certes nos deux amis n’ont pas le même point d’ancrage spirituel, et il en résulte des différences, en particulier concernant leur manière d’envisager l’action. Chrétien, inspiré par la pensée de Kierkegaard et la théologie de Karl Barth, Ellul, qui a publié une Ethique de la liberté[8], a médité toute sa vie sur le paradoxe de « la liberté de l’homme pour faire son histoire jouant à l’intérieur de la liberté de Dieu ». Certes, le point de vue de Charbonneau est agnostique, laïque et « postchrétien », mais il affirme aussi que « la raison comme la foi reconnaît dans l’homme la présence d’une promesse transcendante à sa médiocre nature [9]». Et lorsqu’on examine ce qu’ils ont écrit sur la liberté on voit bien à quel point ils sont « unis par une pensée commune ». Je me bornerai dans la suite de cet article à en signaler quelques points forts.

Comme le disait Jacques Ellul : « Rien de ce que j’ai fait, vécu, pensé ne se comprend si on ne le réfère pas à la liberté.[10]». L’exigence de liberté est à l’arrière-plan de sa critique sociale ; et dans ses nombreux ouvrages théologiques il a tenté d’en expliciter les fondements et de préciser pourquoi l’appel à vivre la liberté s’enracine dans sa foi chrétienne. Bernard Charbonneau, lui aussi, parle de la liberté dans tous ses ouvrages. Le texte fondamental autour duquel s’organise toute son œuvre s’intitule Je fus, Essai sur la liberté. Et si Charbonneau se fait dès les années trente l’avocat de la défense de la nature, c’est surtout parce que pour lui la société industrielle prive l’individu moderne non seulement de beauté mais aussi de liberté. Il ne s’agit donc pas tant de sauver la nature pour elle-même que de préserver les conditions d'existence d'une humanité libre dans une nature terrestre vivante. Charbonneau ne croit pas qu’il y ait pour l’homme une manière « naturelle » de vivre, qui définirait une fois pour toute la bonne vie et ce n’est pas la nature « en soi » qu'il convient de protéger : sa puissance cosmique dépasse infiniment l’homme et les galaxies n’ont nullement besoin de son respect. La nature est invincible, c’est l’homme, capable de liberté, qui est fragile. Charbonneau redoute que l’imprudence et l’inconséquence humaines favorisent une réorganisation de la nature, qui de toute façon, produira de nouveaux équilibres, mais dans lesquels l’homme libre n’aura peut-être plus sa place. C’est aussi au nom de la liberté qu’il procède dans l’Etat à une critique approfondie des logiques qui favorisent la sur-organisation sociale. Dans un texte écrit vers la fin de sa vie, il écrit « La liberté … c’est le dernier mot ; en dehors d’elle bientôt il n’y aura plus que des chiffres. Mais est-ce un rêve ou un mensonge ? En tout cas, dans ce livre, fragment de l’œuvre d’une vie, l’auteur s’est efforcé d’en faire autre chose qu’un mot. Ce qu’il a pu dire en dépit de la censure, du silence et de l’indifférence, de sa jeunesse à sa vieillesse n’a eu que ce motif. La description, qu’il a tenté dans d’autres livres, de la mutation radicale de l’espèce humaine provoquée par le développement de la science et des techniques, peut se résumer par la menace qu’il fait peser sur la liberté, plus encore que sur la terre.[11]». C’est donc à partir de l’exigence de liberté que nos deux personnalistes gascons ont élaboré leurs œuvres respectives.

 

La liberté est dans l’acte : on ne trouvera pas dans les œuvres de Charbonneau et d’Ellul une philosophie de la liberté au sens traditionnel du terme. En effet, l’un et l’autre répugnent à donner une définition de la liberté et de ses conditions métaphysiques. Bien qu’ils l’abordent chacun de manière très différente, tous les deux ont en commun une approche existentielle de la liberté, basée sur l’approfondissement de l’expérience de l’individu. Ainsi dans Je fus Charbonneau se refuse à donner une définition conceptuelle de la liberté et d’en préciser les conditions transcendantales ou métaphysiques. Pour lui, la liberté ne se prouve pas, elle ne se démontre pas par des raisonnements, mais quand je parle à un homme ou quand j’attends qu’il me réponde, je postule qu’il est capable de liberté – sinon je ne lui parlerai pas ! Ce constat suffit car, au fond, Charbonneau est convaincu qu’une démonstration logique de la possibilité de la liberté ne rendra pas les hommes plus libres, c’est-à-dire plus aptes à vivre leur liberté. « Si la liberté est disponibilité devant les possibles, l’acte libre est le choix qui les sacrifie : la liberté réelle est toujours négation de la liberté théorique […] La réalité de la liberté n’est pas dans les preuves de la science ou de la philosophie - elles te l’assureraient que tu l’aurais perdue, mais dans la personne vivante. Ce qui départage la fatalité de la liberté ce n’est pas ta métaphysique mais ton acte, celui qui les réunit tous : ta vie. Le déterminisme n’est vrai que dans la mesure où quelqu’un refuse la décision qui manifesterait son inanité. Prends-la, et tout change. Mais cette preuve à la différence des autres n’est pas donnée une fois pour toutes. Si l’effort se relâche le monde se remet à crouler. Atlas n’a pas fini de porter le faix de la terre. […] Si la liberté était fatale elle ne mériterait plus son nom. […] Il n’y a pas de liberté mais une libération, et surtout un libérateur.[12]». Et ce qui intéresse surtout Charbonneau c’est de comprendre pourquoi et comment la liberté peut se perdre. En effet alors que la pensée libérale, tout comme ses héritières socialistes et marxistes s’intéresse surtout aux conditions théoriques de la liberté, aux forces naturelles, politique ou sociales qui la menacent de l’extérieur, Charbonneau s’intéresse à l’exercice personnel de la liberté, et en particulier aux dimensions autodestructrices de la liberté car les tentatives modernes de libération de l’homme ont trop souvent débouché sur son asservissement à de nouvelles formes de contraintes sociales.

La démarche d’Ellul est très proche. C’est ainsi qu’en introduction d’un texte resté longtemps inédit et intitulé « Les structures de la liberté », Ellul écrit « je ne poserai pas la question métaphysique de la liberté humaine, à laquelle je serais bien incapable de répondre.[13]». Lui aussi s’en tient à une approche existentielle : « Dieu seul sait si nous sommes libres ou non (…) Il a bien fallu que l’homme vive en faisant comme s’il était libre, en jouant le jeu de la liberté, c’est-à-dire en faisant son histoire. Cela seul m’importe[14]. » ; l’important n’est pas de fonder la liberté de l’extérieur, mais de la vivre : « Il convient donc de démythifier la liberté pour savoir non pas ce qu’elle est mais qui je suis appelé à être en tant qu’homme libre.[15]».

Ellul poursuit : « La première certitude que nous pouvons avoir, c’est que la liberté ne peut être que mouvement, changement, volonté de passage, de transformation. (…) La liberté ne peut être potentielle car, nous l’avons vu, on ne sait qu’elle n’existe ni par un raisonnement métaphysique ni par un examen psychologique mais seulement par l’expérience du vécu. Prétendre être potentiellement libre c’est entrer dans l’illusoire et la justification qui est la négation même de la liberté. Ou celle-ci est vécue, mise en action, et par conséquent mouvement, ou elle n’est rien.[16]». Ainsi, ajoute Ellul, la liberté ne peut être un état, une situation acquise, un être figé, ou encore un résultat obtenu ; elle est dans l’acte qui cherche à faire reculer les contraintes : « S’il n’y a pas de liberté instituée, s’il n’y a pas de liberté donnée, s’il n’y a pas de liberté en soi, si elle est toujours en mouvement, alors cela implique l’obstacle et le refus qu’il faut vaincre. La liberté n’est jamais autre qu’un refus à un ordre de contrainte[17]» ; ou encore : « L’homme déterminé qui conquiert sa liberté ne le fait que parce qu’il est déterminé ; c’est pendant sa conquête qu’il est libre, et la liberté n’existe que par rapport et en fonction des déterminations. Nous atteignons ici le cœur des structures de la liberté. Car il n’y a pas d’autre mouvement de la liberté que celui-là.[18]».

Ainsi, pour Charbonneau et Ellul, on n’est pas libre parce que l’on vivrait dans un contexte politique, économique, technique ou culturel qui nous garantit la possibilité de faire des choix.  Nous croyons que plus les possibilités de choix sont nombreuses et plus nous sommes libres, sans prendre conscience que ces choix qui nous sont proposés peuvent être complètement aliénés ou insignifiants.  La liberté est bien autre chose qu’un choix offert ; elle est action, effort de libération. La liberté est présente lorsque nous faisons le difficile effort d’incarner par des actes nos valeurs spirituelles à rebours des déterminismes naturels, psychologiques et sociaux.

 

Il n’y a de liberté que par l’acte de l’individu. Dans les quelques ouvrages "spéculatifs" qui jalonnent son œuvre, Charbonneau s'interroge sur la liberté, cette force d’arrachement qui n'existe que dans et par l'individu et qui le pousse à dire non à ce qui semble fatal. Dans Je Fus, il ne cesse d'affirmer que "la liberté c'est le je quand il n'est pas un faux semblant[19]" et qu'il n'y a de liberté que par l'acte d'un individu qui s'efforce de s'arracher aux déterminismes naturels, sociaux et psychologiques.  Cette conviction qu'il ne saurait y avoir de liberté que par l'individu soutient également tout son livre Une Seconde Nature[20] qui explique combien il est difficile à un individu de prendre ses distances à l'égard de sa société. Enfin, vers la fin de sa vie, dans son livre Quatre témoins de la liberté [21], il lui a paru nécessaire de reprendre cette question dans le chapitre " Nicolas Berdiaev. Le Chrétien, individu ou personne ?". Là aussi il reprend le débat de sa jeunesse avec le personnalisme communautaire de Mounier et s'engage dans une discussion serrée pour défendre la primauté de la source individuelle de la liberté. Bien entendu, Charbonneau reconnait que la société offre à l’individu des médiations institutionnelles, techniques et culturelles qui le protègent et rendent possible le développement de son individualité, mais en même temps, comme une mère abusive, elle réprime l’individualité et ses prétentions à la liberté, ce qui nous arrange bien et à quoi nous consentons volontiers tout en prétendant le contraire, car le plus facile c’est de jouer la comédie de la liberté tout en restant bien sagement installé dans le sein maternel, d’où l’essai ironique intitulé Bien aimer sa maman[22]. Charbonneau sait ce qu’il doit à la société. Par exemple il reconnaît que pour un Occidental, et pour lui en particulier, le sens de la liberté et de l’individualité est un des legs du Christianisme[23] ; mais il n’écarte pas la possibilité que d’autres individus, tel Socrate, en d’autres temps et dans d’autres civilisations aient été à même d’incarner ces valeurs sans avoir été touchés par l’appel du dieu des Juifs et des Chrétiens. 

Pour Ellul aussi il n’y a de liberté que par l’individu. Ce thème est repris dans plusieurs de ses ouvrages.  Il explicite cette conception dans « Les Structures de la liberté » où il affirme qu’ « il n’y a et ne peut y avoir de liberté qu’individuelle.[24]» Ellul revendique sur ce point l’héritage de Marx « L’homme pour Marx est avant toute chose appelé à être libre, sujet, et cette liberté s’exprime dans une domination des conditions qui le déterminent, dans une possibilité de s’exprimer dans son œuvre (son travail) sans en être dépossédé, ce qui revient au même que la possibilité de faire lui-même son histoire… par conséquent l’orientation finale de la pensée de Marx n’est ni la justice ni l’égalité, ni même l’établissement du socialisme, mais bien la liberté […] Comme corolaire, pour Marx, il n’y a ni une liberté de nature, ni une liberté d’origine, ni une liberté historique : il faut la faire.[25]». Bien entendu, Ellul n’ignore pas qu’il y a des prises de conscience collectives : mais il ne s’agit jamais que d’accumulation de prises de conscience individuelles. Il n’y a pas de mouvement d’une collectivité en soi. « Quelle que soit la forme de la tendance à la liberté dans une collectivité, on peut affirmer absolument que l’initiative en revient toujours à un individu, qui veut la liberté.[26] ». Mais Ellul affirme en même temps qu’il n’y a pas de liberté hors du social : « Il va de soi que l’individu n’est pas sans une société, sans un groupe pour lui. Il va de soi que la liberté ne peut jamais être une propriété individuelle[27]» L’insertion dans le collectif est donc une condition de la liberté. Mais le collectif est forcément répressif et la liberté individuelle suppose donc un affrontement, une capacité de résistance à la contrainte sociale. Ainsi le rapport entre liberté personnelle et société est éminemment paradoxal et dialectique. « Le collectif est le lien nécessaire, indispensable, où s’inscrire dans la liberté (…). Il devient la condition objective de la liberté parce que c’est sa présence qui exige l’objectivation de la liberté, l’affrontement qui conduit à savoir si cette liberté n’est que prétexte, illusion, ou attestation. Le collectif est alors à la fois l’occasion de la liberté (sans lui, elle ne pourrait jamais s’attester, elle serait toujours supposée) et la possibilité de la liberté (sans lui la liberté n’aurait jamais aucun moyen d’expression). Ainsi la société, le groupe, la collectivité ne peuvent jamais être libérales ou permissives, ce n’est jamais par fusion en eux que l’on trouve la liberté[28], mais sans eux cette liberté n’est que problème. On peut en débattre indéfiniment, il n’y a aucune solution. On ne saura jamais que l’homme est libre, sinon par son affrontement avec l’en deçà de la liberté, avec cette réalité très exacte qui la nie. Ainsi le collectif est le lieu où la volonté individuelle, que l’on pourrait appeler, à la limite, la métaphysique de la liberté, est sommée de se découvrir dans sa réalité en même temps que dans sa vérité, c’est-à-dire de devenir historique.[29] » Ainsi, paradoxalement, la liberté ne peut exister que pour autant qu’il y a un individu capable d’affronter, d’entrer en tension avec cette même société qui pourtant lui permet d’exister. C’est pourquoi, dans De la révolution aux révoltes, il écrit au sujet de la « révolution nécessaire » : « Nous en revenons toujours au même point : dans notre société, ce n’est plus à partir des structures, des collectivités que l’action révolutionnaire peut se produire, mais elle doit s’effectuer d’abord dans l’individu car c’est l’individu qui est menacé de disparition. […] c’est dans l’individu que doit s’effectuer le travail révolutionnaire et s’établir la tension conflictuelle impliquée par la révolution.[30]».

Ellul et Charbonneau s’accordent pour penser que, puisqu’elle doit s’incarner dans un donné naturel et social qui la rend possible tout en lui résistant, la liberté ne peut être absolue, elle est toujours relative ; Ainsi le rêve d’une liberté totale est littéralement insensé, car la liberté ne peut être un état, elle consiste en un effort de libération qui aboutit plus ou moins. Mais cette victoire, toujours précaire, débouche forcément sur une condition difficile à vivre : la liberté est une ascèse. Elle n’est qu’un possible, et le faire advenir demande un effort constamment renouvelé ; et cela met un fardeau terrible sur les épaules de chacun d’entre nous.

 

Echapper à l’angoisse de la liberté. Dans Je fus puis dans Une seconde nature, Charbonneau tente d’élucider le caractère paradoxal de la liberté et de comprendre pourquoi elle est si difficile à vivre. D’un côté elle est puissance d’arrachement, capacité de mise à distance et de prise de conscience par rapport aux évidences du réel. Elle suppose une capacité à enregistrer une contradiction entre une aspiration à des valeurs (vérité, beauté, paix, justice …) qu’il faut bien appeler spirituelles et la réalité de l’ordre du monde qui résiste à ces valeurs car il est soumis à d’autres logiques, naturelles ou sociales. Cette expérience de distance critique est douloureuse, car elle met l’individu en conflit avec sa société mais aussi avec soi-même en tant qu’il appartient à sa société à laquelle il est uni par un lien intime, de sorte qu’il fait fréquemment demi-tour devant l’effort d’une prise de distance à l’égard de sa société que réclame un acte réellement libre. Si l’homme moderne a tant de mal à prendre conscience des contradictions de sa société, ce n’est pas seulement parce qu’il est soumis à une pression sociale qui s’exercerait sur lui de l’extérieur. C’est aussi parce qu’il est un individu pensant et capable de liberté que tout homme est habité par une tendance spontanée à intérioriser le fait social ; et ce conformisme social se nourrit du tragique de la liberté. Charbonneau réactualise les intuitions des grands fondateurs de la philosophie existentielle : Montaigne, Pascal, Kierkegaard et Nietzsche, en montrant que l’homme est un animal social qui rêve d’une liberté qu’il ne supporte pas. Nous ne cessons de revendiquer le caractère personnel et libre (peut-on distinguer les deux ?) de nos actes, qu’il s’agisse de notre style de vie, de nos goûts esthétiques, de nos loisirs, de nos convictions politiques et religieuses, de nos engagements politiques ou autres. « C’est mon choix », proclamons-nous tous ensemble avec une conviction toujours renouvelée. Mais un examen rétrospectif un peu honnête révèle vite que ces actes étaient surtout conformes à notre milieu, à l’air du temps, à des emballements collectifs et à des modes, à des modèles institutionnels ou professionnels etc. Où est l’individu capable de prendre ses distances et d’agir selon soi ? Charbonneau a cette phrase terrible : « Mais il se peut après tout, que fait pour rêver la liberté, l’homme ne soit pas fait pour la vivre.[31]». En effet, l’expérience individuelle de la liberté expose tout homme à une contradiction angoissante entre l’exigence d’un sens personnel et le constat de sa finitude, de la contingence et de l’absurde de sa vie sociale. Le Philosophe Jean Brun, commentant la conception de la liberté de Bernard Charbonneau écrivait que la liberté est une ascèse car « être libre c’est supporter, et non fuir, cette tension entre l’expérience centrale de la liberté et l’épreuve qu’il est difficile de la vivre.[32]» 

C’est pour fuir cette dimension tragique de la liberté que l’homme se fait doublement social et choisit une « servitude volontaire » rassurante en intériorisant les valeurs et les modèles sociaux et en s’identifiant à la société de son temps.  Ainsi, dans Une seconde nature Charbonneau montre comment, à peine s’est-il distingué de la nature qui l’environne, l’homme cherche à se fondre dans une « seconde nature », sociale cette fois-ci, qui le protège du sentiment de sa faiblesse et de sa finitude, mais au prix de son individualité. C’est pour éviter d’avoir à vivre cette tension que chaque homme intériorise activement la contrainte sociale et adhère aux valeurs collectives du moment, et ce avec toutes les forces conscientes et inconscientes de son esprit. Plus que d’un consentement passif à une force qui s’impose de l’extérieur il s’agit d’une participation active qui ne veut pas se reconnaître comme telle, qu’il s’agisse, par exemple, de l’adhésion à des idéologies politiques ou à celle du développement. En dépit du mince vernis d’une culture individualiste, dans la société moderne tout comme dans l’ancienne, le fait social s’impose spontanément comme une vérité et comme un ordre juste. Et comme la société d’aujourd’hui est une société du changement, c’est donc tout « naturellement » qu’elle produit l’homme-du-changement, l’individu disposé à accepter et justifier jusqu’aux aspects les plus contestables du développement industriel et technoscientifique.

Jacques Ellul fait un constat analogue : « J’aurai envie de dire que l’homme recule toujours devant l’aventure véritable de la liberté.(…) L’homme ne se conçoit homme que s’il est libre (…) Il semble n’avoir qu’une orientation depuis les origines alors qu’il était un membre indistinct du groupe ; c’était par un mouvement imperceptible, le dégagement de la personne hors du communautaire, comme insensiblement la plante se tourne vers le lieu d’où lui vient la lumière – mais en même temps, chaque fois qu’il a été en mesure de vivre libre ou d’exercer sa liberté, il en fut soit incapable soit terrorisé. Il s’est chaque fois inventé de nouvelles chaînes, une nouvelle fatalité, il s’est inscrit dans une nouvelle dialectique, il s’est donné de nouvelles autorités, il a édifié une nouvelle morale, aussi implacables, déterminantes, contraignantes que celles contre lesquelles il s’était affirmé libre. Devant l’espace béant l’homme ne peut se hasarder à tout risquer. La liberté se révèle comme une mise à l’épreuve si radicale que l’homme n’accepte jamais ce risque.[33]». C’est pourquoi, « Ce n’est pas vrai que l’homme veuille être libre. Ce qu’il voudrait ce sont les avantages de l’indépendance sans avoir aucun des devoirs et des duretés de la liberté. Car la liberté est dure à vivre. La liberté est terrible. La liberté est aventure. La liberté est dévorante, exigeante. Un combat de chaque instant, car autour de nous ne cessent de se multiplier les pièges pour nous enlever la liberté ; mais surtout parce que la liberté, en elle-même, ne nous laisse aucun repos. Elle exige de se dépasser, elle exige la remise en question incessante de tout, elle suppose une attention toujours en éveil, jamais d’habitude, jamais d’institution. La liberté me demande d’être toujours neuf, toujours disponible, de ne jamais me cacher derrière les précédents ou les échecs passés. Elle entraine des ruptures et des contestations. La liberté ne cède jamais à aucune contrainte et n’exerce elle-même aucune contrainte ; Car précisément, il n’y a de liberté que dans un contrôle permanent de soi-même et dans l’amour de celui qui m’est proche.[34] ». Une des raisons pour lesquelles ce contrôle permanent de soi-même est particulièrement difficile c’est qu’il n’est pas naturel de prendre ses distances avec la société à laquelle nous appartenons. Bien souvent nous justifions nos conduites au nom de la liberté, sans nous rendre compte que la plupart du temps notre « choix » est parfaitement déterminé par le contexte social qui est le nôtre. Certes l’automobile individuelle augmente notre puissance de déplacement, mais comme le remarque Ellul « dès qu’il y a trois jours de vacances, un pont, trois millions d’automobilistes se précipitent sur les routes. Plus merveilleux, chacun est libre, il le fait librement. Combien de fois n’a-t-on pas dit « Quand je prends mon automobile, je suis libre de la prendre ». L’ennui c’est qu’il y a trois millions de Français qui disent en même temps « je suis libre », mais ils le disent ensemble, en bloc, c’est-à-dire qu’en fait il s’agit d’un mouvement auquel on obéit ; c’est une obéissance à la masse.[35]».

La liberté consiste bien à « pouvoir faire ce que l’on veut » comme dit le sens commun, mais chacun des termes de cette définition est problématique : rien n’est moins naturel que ce pouvoir et rien n’est moins facile que de vouloir l’exercer. La liberté, écrit Charbonneau « n’existe pas en dehors du combat par lequel l’homme terrasse en lui-même l’être social.[36]».

Bien évidemment Charbonneau et Ellul ne sont pas naïfs et savent que la liberté ne se réduit pas à l’opposition à la part sociale de notre être et à des circonstances extérieures. Nous sommes esclaves de notre caractère, de notre tempérament, écrit Charbonneau, et « l’homme libre sait bien qu’au départ il est gouverné par ses passions [37]» et il nous avertit : « Le mal, la nécessité, c’est nous ; […] Ce n’est pas pour rien que nous tendons à identifier le mal à l’Autre afin de réduire le combat douteux contre nous-même à la sainte croisade contre l’Ennemi, le communisme, le fascisme etc.[38]». Il n’y a donc pas de liberté sans force d’âme.

Agnostique, Charbonneau ne cherche pas à déterminer si cette force qui parfois dresse l’homme contre « la force des choses » en lui et et hors de lui, nous est donnée par la nature ou par un dieu inconnu. Il faut préciser ici que la liberté n’est pas seulement refus, réaction négative à des circonstances : le non est en même temps un oui. Elle est réponse positive à un appel éprouvé intérieurement, accueil de l’expérience d’une vérité transcendante au donné naturel et social et volonté de l’incarner. De son côté Ellul pense que seule la foi en la révélation de Jésus donne l’espérance qui permet de résister à l’angoisse de la liberté et pour lui l’éthique de la liberté est en même temps une éthique de l’espérance[39] ; mais l’un et l’autre s’accordent pour dire que la liberté n’est pas un droit ni une propriété naturelle de l’humain, comme le croyaient les libéraux, mais le plus terrible des devoirs[40].

 

La tension entre puissance et liberté. Nous nous exonérons de ce fardeau en confiant notre liberté au fonctionnement de dispositifs impersonnels sensés nous libérer des contraintes et des nécessités naturelles et sociales. Certes la liberté a besoin de médiations qui lui permettent de s’affirmer face aux forces naturelles ou sociales sans s’épuiser dans une confrontation qui serait constamment à recommencer. Mais, nous disent Charbonneau et Ellul, qu’il s’agisse de la monnaie, de l’Etat ou de la technique, ces médiations ne sont pas neutres. Elles tendent à s’autonomiser selon une logique propre ; et leur puissance, qui répond si bien à nos désirs, fait obstacle à cette même exigence de liberté qui leur a donné naissance.

On sait depuis longtemps qu’il en va ainsi avec la monnaie. Elle facilite les échanges et la concentration du capital qui rendent possible la création d’outils qui augmentent la productivité du travail et cette « richesse des nations » que nous voulons toujours voir croître pour augmenter nos possibilités de choix parmi les biens disponibles. Mais la monétarisation toujours croissante des échanges et la multiplication de la monnaie engendrent des effets de puissance, favorisent l’autonomisation des logiques financières qui, laissées à elles-mêmes, tendent à se soumettre l’ensemble de la vie sociale et ont des effets sociaux, environnementaux et culturels désastreux et devant lesquels la fascination productiviste pour l’efficacité économique nous laisse impuissants. C’est pour nous prémunir contre cette fascination asservissante que Charbonneau et Ellul ont chacun écrit un ouvrage sur le rapport à l’argent[41].

De même, nous attendons de l’Etat impersonnel qu’il nous défende contre les abus du pouvoir personnel et nous lui confions le monopole de la violence pour qu’il soit en mesure d’imposer la loi à tous, de défendre nos « droits » et nos libertés. Ainsi, pour Montesquieu, c’est l’existence d’un mode particulier d’organisation du gouvernement qui permet de déterminer si on est libre ou pas : « La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté : et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen [42]». Ou encore « Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir[43]. ».  Charbonneau et Ellul, qui ont eu une conscience aigüe du péril totalitaire, ne contestent pas la sagesse d’une telle conception, mais ils soulignent qu’elle est trop partielle et oublie l’essentiel. « La liberté politique – et elle peut prendre bien d’autres formes que celle du parlementarisme à l’anglo-saxonne- plus qu’une cause est l’effet d’une liberté plus profonde. Même les libertés individuelles : habeas corpus, droit de s’exprimer et de se déplacer, inviolabilité du domicile, etc. encore plus importantes dans la vie quotidienne que le droit de vote, ne sont que des conséquences. Si elles garantissent aux individus un domaine où exercer leur liberté, à leur tour elles n’existent que parce que des hommes les ont un jour revendiquées et qu’ils songent encore à les défendre : sans eux elles survivront quelque temps encore par inertie, puis disparaîtront d’elles-mêmes (…) Ce n’est pas pour rien que le siècle du totalitarisme a succédé à celui du libéralisme, cela seul aurait dû nous alerter sur la relation qui les unit.[44]». Si nous ne résistons pas pour remettre l’Etat à sa place, il finit par intervenir, au nom de l’intérêt général, dans tous les domaines de la vie. Tout étant fait pour le peuple, mais rien par le peuple, la liberté n’est plus que celle d’effectuer des choix qui ne changent rien. Ellul ne dit pas autre chose : « autrement dit, je pourrais généraliser en avançant que le corps social accorde finalement les libertés qui n’ont aucune importance et qui ne risquent pas de mettre en cause les principes ou encore le processus d’évolution des sociétés. Tant qu’une liberté revendiquée est dangereuse, elle est toujours refusée. Quand on assiste à une « libéralisation », il ne faut pas se glorifier d’une conquête ; il faut comprendre que l’adversaire a accordé ce qui n’a plus de valeur. Ainsi actuellement, la liberté spirituelle, la liberté de consommation, la liberté des loisirs[45]»  Et dans un texte plus récent : « Nous constatons sans peine l’existence de deux secteurs dans nos sociétés. Le secteur des « choses sérieuses » où il n’est toléré aucune liberté de choix, qu’il s’agisse de la production, du métier, de l’ordre public, de l’argent, de l’information, de la science etc. et le « secteur de la liberté » c’est-à-dire des choses sans importance, les loisirs, la mode, les choix de consommation… encore que dans ces domaines, un devoir reste impératif : c’est quand même de faire comme tout le monde et d’entrer par exemple dans le cadre des loisirs possibles, organisés, aménagés.[46]».

Nous attendons du perfectionnement des techniques une protection contre notre faiblesse naturelle. Et plus nous sommes fascinés par la puissance qu’elles nous procurent, plus notre liberté est éliminée de notre vie quotidienne. Division du travail, perte d’autonomie, manque de sens, sur-organisation bureaucratique de la vie sociale, opacité des logiques qui la conditionnent, organisation des loisirs, gestion urbaine, aménagement du territoire etc. Tout ceci est engendré par des évolutions technico-économiques qui sont subies plutôt que choisies et sur lesquelles nous n’avons guère de prise. « A partir de 1930 la société industrielle se transforme en société technicienne (…) Le fait majeur est celui de l’organisation, du développement des services, de l’universalisation des techniques, etc. Or, pendant ce temps, que voyons-nous ? (…) On croit faire la révolution de la liberté en luttant contre l’industrialisme, mais celui-ci (qui bien sûr, comme le capitalisme, existe toujours) est largement dépassé. La question de l’aliénation n’est plus celle du capitalisme, mais de l’invasion de l’individu par la multiplication des techniques externes, et internes, comme par exemple la manipulation psychologique (propagande, publicité, création de nouveaux besoins etc.), son insertion dans le système technicien qui laisse de moins en moins d’autonomie d’action, son encerclement par les objets techniques, son adaptation par toutes les voies.[47] ».

 

Esprit de puissance ou esprit de liberté ? Pour Charbonneau il ne peut y a voir de liberté sans l’exercice d’une certaine puissance. Dans un premier temps tout progrès de la puissance peut être considéré comme un progrès de la liberté. La création d’une cité ou d’un minimum d’Etat ou de techniques efficaces libère de la violence de la nature et des rapports de rivalité et de domination ; mais les médiations et les outils de la puissance sont ambivalents et ne sont pas neutres et, passé un certain seuil de puissance, produisent à la fois de la liberté et de la domination. Ainsi, en permettant à l’homme d’accéder à une certaine maîtrise des forces naturelles, la technique a permis à l’homme de réduire sa vulnérabilité, d’augmenter la productivité du travail. La puissance économique elle aussi est bonne car elle peut libérer du caractère répétitif du labeur et crée les conditions d’une capitalisation des œuvres de l’esprit. Cependant l’augmentation de la puissance qui a accompagné les progrès de la rationalité finit par se retourner contre l’esprit de liberté qui lui a donné son dynamisme. Mais après s’être appliqué sur la nature hors de l’homme, avec des effets environnementaux et sociaux de plus en plus préoccupants, mu par un esprit de puissance qui n’arrive pas à se donner de limites, l’ordre technique s’intériorise ; un nouveau stade s’ébauche, « caractérisé par l’usage de techniques de plus en plus discrètes, celles de la vie et de l’esprit humain. Après avoir couvert toute l’étendue visible, la technique se prépare à refluer invisiblement dans les profondeurs de l’homme.[48]». Dans une conférence prononcée en avril 1990[49] Ellul souligne le paradoxe suivant : l’homme occidental est habité par un esprit de puissance qui s’est investi dans l’argent, l’économie, la science et la technique. Or la montée en puissance de ces médiations débouche sur une impuissance de fait, individuelle et collective.

Ainsi, pour Charbonneau comme pour Ellul, l’autonomisation des médiations qui permettent la liberté engendre des fatalités qui menacent la liberté ; mais cette autonomisation, elle, n’est pas une fatalité. Elle est l’effet d’un esprit de puissance matérielle qui aspire à une liberté désincarnée et n’arrive pas à se donner des limites. Et toute l’œuvre de ces deux penseurs est un appel adressé à chacun pour résister à cet esprit de puissance.

 

 

 



[1] Charbonneau, Bernard : Je fus. Opales, Bordeaux 2000. p. 205-206.

[2] Charbonneau, Bernard et Ellul, Jacques « Directives pour un manifeste personnaliste », in Nous sommes révolutionnaires malgré nous. Textes pionniers de l’écologie politique. Paris, Le seuil, 2014.

[3] Charbonneau, Bernard : 1939 : « Réformisme et révolution ». In revue Esprit n° 77, 1939. 

[4] Charbonneau, Bernard, « Le sentiment de la nature, force révolutionnaire », in Nous sommes révolutionnaires malgré nous. Op.cit. Texte disponible sur le site https://lagrandemue.wordpress.com/

[5] Charbonneau, Bernard et Ellul, Jacques « Directives pour un manifeste personnaliste », Op.cit. p. 80.

[6] Loubet del Bayle, Jean Louis : « Bernard Charbonneau, le contexte personnaliste des années trente et sa postérité » in Jacques Prades (sous la direction de) Bernard Charbonneau, une vie entière à dénoncer la grande imposture, Toulouse, Eres, 1997.

[7] Charbonneau, Bernard : « Unis par une pensée commune ». in : revue Foi et vie, vol XCIII, n°5-6,décembre 1994.. Texte disponible sur le site https://lagrandemue.wordpress.com/

 

 

[8] Ellul, Jacques : Ethique de la liberté. Labor et Fides ; Genève, 2019.

[9] Charbonneau, Bernard : Je fus. Op.cit. p.123.

[10] Patrick Chastenet : Lire Ellul. Introduction à l’œuvre sociologique de Jacques Ellul, Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, 1992.

[11] Charbonneau, Bernard : Quatre témoins de la liberté. Rousseau, Montaigne, Berdiaev, Dostoïevski. R&N, Paris 2019.

[12] Charbonneau, Bernard, Je fus. Essais sur la liberté, Bordeaux, Opales, 1980, p.130-131.

[13] Ellul, Jacques : « Les structures de la liberté », in Vivre et penser la liberté. Labor et Fides, Genève, 1919 ; p.55.

[14]  Op. cit. p. 95.

[15] Op. cit. p. 90.

[16] Op ;cit. p. 91.

[17] Op. cit. p.103. 

[18] Op. cit. p.101.

[19] Charbonneau, Bernard : Je fus, op.cit. p.31.

[20] Charbonneau, Bernard : « Qu’est-ce que la liberté ? Je… Cela suffit si je le dis sans mentir. Mais à chaque instant il va falloir fournir des preuves ». In : Une seconde nature. Sang de la Terre, Paris 2012 ; p.211.

[21] Charbonneau, Bernard : Quatre témoins de la liberté, Op.cit.

[22] Charbonneau, Bernard : Bien aimer sa maman. Editions Opales, Bordeaux, 2006.

[23] Cf. Ellul, Jacques, « La liberté fondatrice de l’Europe », in : Op.cit. p.143

[24] Ellul, Jacques, in : Op.cit., p.63

[25] Ellul, Jacques, « Les structures de la liberté », in : Op.cit., p.62 ® Ibid., p.62.

[26] Ellul Vivre et penser la liberté, p.64.

[27] Ibid, p. 70

[28] Ici Ellul s’oppose aux conceptions de Sartre sur le groupe en fusion.

[29] Ellul, Jacques : Vivre et penser la liberté ; p.71.

[30] Ellul, Jacques : De la révolution aux révoltes.[1972], Paris, La table Ronde, Paris 2011 ; p.85-86.

[31] Charbonneau, Bernard : Le système et le chaos, op. cit. p. 257.

[32] Brun, Jean : « Une ascèse de la liberté, à propos de Je fus ». In : Journal Réforme, 1980. Texte disponible sur le site https://lagrandemue.wordpress.com/

[33] Ellul, Jacques : « Les structures de la liberté » in op. cit.  p. 55.

[34] Ellul, Jacques : la subversion du christianisme. [1984], Paris, La Table ronde, 2001, p. 257.

[35] Ellul, Jacques : L’esprit de puissance et l’impuissance de fait. Conférence du 2 avril 1990 à Mérignac. Texte inédit.

[36] Charbonneau, Bernard : Je Fus, op.cit. p.162.

[37] Ibid. p. 122

[38] Ibid.p.123

[39] Ellul, Jacques : Ethique de la liberté. Op. cit.

[40] « Dans la vie d’un homme comme dans l’histoire des sociétés, il n’y a de liberté qu’éprouvée. La vraie, celle qui vit dans l’esprit et l’acte de quelqu’un, n’est pas le droit naturel que l’individu revendique, mais le plus terrible des devoirs : celui qui fait violence à la nature parce qu’il est pure exigence de l’esprit. » ; ibid. p. 112.

[41] Charbonneau, Bernard, Il court, il court, le fric. Bordeaux, Opales, 1996. ; Ellul, Jacques : L’homme et l’argent [1954]. Lausanne, Presses bibliques universitaires, 1979.

[42] Montesquieu : De l’Esprit des lois, « De la Constitution d’Angleterre ». Livre XI, chapitre VI.

[43] Ibid.. Livre XI, chapitre IV.

[44] Charbonneau, Bernard :  Je fus, op. cit. p.28-29.

[45] Ellul, Jacques : « Les structures de la liberté » in op. cit.. p. 53.

[46] Ellul, Jacques : Déviances et déviants dans notre société intolérante. Préface de Jean-Louis Porquet. Toulouse, ERES, 2013, p.96. 

[47] Ellul, Jacques : « les structures de la liberté »in Op. cit. p. 44. 

[48] Charbonneau, Bernard : Le Système et Chaos. Paris, Economica, 1990. p. 27.

[49] Ellul, Jacques : « L’esprit de puissance et l’impuissance de fait. », Op. cit.

 

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