Jean Vanier et la fillette de Granby
Jean Vanier et la fillette de Granby
Scandale au Québec : une fillette de 7 ans est morte suite à une maltraitance ayant échappé à la vigilance de sa communauté. Jean Vanier, fondateur de l’Arche, mort hier, a donné de beaux témoignages de sa compassion pour les enfants malheureux. Il était la personne au monde qui pouvait le mieux comprendre la fillette de Granby. « J'ai visité un jour, écrit-il, un hôpital psychiatrique, véritable entrepôt de misère humaine. Des centaines d‘enfants très handicapés y étaient couchés, dans un silence de mort. Aucun d'entre eux ne pleurait. Quand un enfant comprend qu’on ne se préoccupe pas de lui, que personne ne répondra à ses cris, il cesse de pleurer. Pleurer demande trop d’énergie. On ne pleure que quand on a l’espoir d’être entendu. Ces enfants vivaient une forme de dépression.» 1
J'ignorais qu'on ne pleure pas quand on a perdu l'espoir d'être entendu. Je n'avais pas le droit de prendre à mon compte ce mot de Térence, qui résume l'humanisme dans le plus beau sens du terme: « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. » C'est à l'écoute de ce silence que nous invite Jean Vanier quand il nous prie d'accueillir notre humanité. Il est un autre silence, voilé au fond de nous, qui est l’écho de celui des enfants isolés.
Le lieu d'appartenance est celui où les enfants malades peuvent crier et pleurer parce qu'ils y ont l'espoir d'être entendus. L'appartenance suppose une communauté, associée à un lieu, constituant une présence vivante plutôt qu'un simple cadre de vie. Il n'y a guère d'appartenance possible à des lieux et à des groupes avant tout fonctionnels. Une niche, un nid, un terrier, une prairie, lieux d'appartenance pour les animaux, ne se réduisent jamais à leur dimension fonctionnelle; ils ont toujours le charme de la chose vivante, et unique parce qu'elle est vivante. Faut-il rappeler qu’un milieu vivant ne se réduit pas à des services étatiques, qu’il faut miser subtilement sur sa résilience, plutôt que de prétendre pouvoir le construire et le reconstruire par des techniques d’ingénierie sociale. Vu sous cet angle le sort des communautés humaines est analogue à celui de tous les écosystèmes et il est en interdépendance avec eux. Jean Vanier. «Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité.
1 Vanier, Jean, Accueillir notre humanité, Presses de la Renaissance, Paris 2007, p.18.
Jacques Dufresne