L'arrêt Perruche - documents de la Cour de cassation (17 novembre 2000)

99-13.701
Arrêt du 17 novembre 2000
Cour de cassation - Assemblée plénière
Cassation

Demandeurs à la cassation:

1°) M. P..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas ;

2°) Mme P...

Défendeurs à la cassation :

1°) la Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français ;

2°) M. X... ;

3°) la Mutuelle des pharmaciens ;

4°) le Laboratoire de biologie médicale d'Yerres ;

5°) la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne.


Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal formé par les époux P..., et le deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis, formé par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne:

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu qu'un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d'appel de Paris a jugé, de première part, que M. X..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale d'Yerres, aux droits duquel est M. K..., avaient commis des fautes contractuelles à l'occasion de recherches d'anticorps de la rubéole chez Mme P... alors qu'elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l'enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu'elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d'atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu'elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l'enfant n'était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l'enfant, l'arrêt attaqué de la cour de renvoi dit que "l'enfant Nicolas P... ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises" par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu'il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme P... avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l'un et l'autre des pourvois:

CASSE ET ANNULE, en son entier, l'arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée que lors de l'audience du 17 décembre 1993 ;

Condamne la Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français, M. X..., la Mutuelle des pharmaciens et le Laboratoire de biologie médicale aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne ;

Dit que sur les diligences de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille.

* * *


Président : M. Canivet, Premier président

Rapporteur : M. Sargos, assisté de Mme Bilger-Paucot, auditeur

Avocat général : M. Sainte-Rose

Avocats : Me Choucroy - Me Le Prado - S.C.P. Piwnica et Molinié - S.C.P. Gatineau

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MOYENS ANNEXES
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MOYENS produits par Me CHOUCROY, avocat aux Conseils pour les époux P... :

PREMIER MOYEN DE CASSATION : publication sans intérêt.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'enfant Nicolas P... ne subissait pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises par le Laboratoire de biologie médicale d'Yerres et le Docteur X..., dit que Monsieur P... devra restituer aux appelants les sommes reçues à titre de provision et le déboute de toutes demandes plus amples et contraires;

AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que Madame P... avait clairement exprimé la volonté, en cas d'atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse ; que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu'ainsi a été causé aux époux P... un préjudice tant moral que matériel dont l'indemnisation n'est remise en cause par personne ;

Que cependant, la Cour n'est pas saisie du préjudice subi directement par les parents de Nicolas, mais de celui de l'enfant lui-même ;

Qu'il échet donc de rechercher quel est le dommage subi par ce dernier, en lien avec les fautes commises par les praticiens ;

Qu'il sera, toutefois, rappelé qu'en la matière, dès lors que le dommage peut avoir une autre cause que la faute constatée, cette faute ne peut être censée constituer la condition sine qua non de la perte de chance ;

Qu'il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission à la mère de la rubéole ; qu'ils ne sont intervenus qu'après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait plus être évitée la conception de l'enfant ;

Qu'il est tout aussi constant qu'aucune thérapeutique quelconque, pratiquée en début de grossesse, n'aurait pu supprimer, voire limiter les effets de la rubéole sur le foetus;

Que,dès lors, Nicolas, qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre, ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère, ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir ;

Qu'il s'ensuit que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant ;

Que, si un être humain est titulaire de droits dès sa conception, il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre ; qu'ainsi, sa naissance ou la suppression de sa vie, ne peut pas être considérée comme une chance ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques ;

Que dès lors, Nicolas P... représenté par son père, ne peut pas invoquer à l'encontre des praticiens, comme source de dommage, le fait d'être né parce que, à raison de leurs fautes conjuguées, ils n'ont pas donné à ses parents les éléments d'appréciation suffisants pour leur permettre d'interrompre le processus vital qui devait aboutir à sa naissance ;

ALORS, D'UNE PART, QU'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la mère de l'enfant avait clairement exprimé la volonté, en cas d'atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse et que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu'il s'ensuit que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère ; qu'en écartant le lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère, l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du Code Civil;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE dans ses conclusions devant la Cour l'exposant agissant "tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal des biens de son fils Nicolas" faisait valoir et démontrait qu'au préjudice corporel subi par son fils correspondaient pour les parents de lourdes charges matérielles et financières ; que la Cour, qui admet le droit à réparation des parents pour leur préjudice matériel et moral, ne pouvait rejeter toute indemnisation sans se prononcer sur ces conclusions mettant en évidence l'existence d'un préjudice indemnisable ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR, tout en confirmant le jugement entrepris "pour le surplus", condamné les époux P... aux entiers dépens, de première instance et d'appel qui comprendront également ceux exposés devant la Cour d'Appel de Paris ;

ALORS QUE seule la partie perdante peut être condamnée aux dépens ; qu'en mettant à la charge des exposants tous les dépens y compris ceux exposés devant la Cour d'Appel de Paris, bien que ces dépens aient compris ceux afférents à la demande concernant le préjudice subi par Madame P... - dont les frais de l'expertise ordonnée - et qu'il ne soit pas constaté qu'il ait été jugé sur cette demande, l'arrêt attaqué a violé l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile.

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MOYENS produits par la SCP GATINEAU, avocat aux Conseils pour la CPAM de l'Yonne, demanderesse au pourvoi incident :

PREMIER MOYEN DE CASSATION: publication sans intérêt.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION:

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les fautes du docteur X... et du laboratoire de biologie médicale d'Yerres sont étrangères au préjudice subi par Nicolas P... et d'AVOIR rejeté les demandes de la CPAM ;

AUX MOTIFS QU'il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission par la mère de la rubéole ; qu'ils ne sont intervenus qu'après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait plus être évitée la conception de l'enfant ;

Qu'il est tout aussi constant qu'aucune thérapeutique quelconque, pratiquée en début de grossesse, n'aurait pu supprimer, voire limiter les effets de la rubéole sur le foetus;

Que, dès lors, Nicolas qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre, ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère, ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir ;

Qu'il s'en suit que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant ;

Que, si un être humain est titulaire de droits dès sa conception, il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre ; qu'ainsi, sa naissance ou la suppression de sa vie, ne peut être considérée comme une chance ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques ;

Que dès lors Nicolas P... représenté par son père, ne peut pas invoquer à l'encontre des praticiens, comme source de dommage, le fait d'être né parce, à raison de leurs fautes conjuguées, ils n'ont pas donné à ses parents les éléments d'appréciation suffisants pour leur permettre d'interrompre le processus vital qui devait aboutir à sa naissance.

ALORS QUE il résulte des propres énonciations des juges du fond que Madame P... avait manifesté la volonté de provoquer une interruption de grossesse en cas de rubéole ; que les fautes conjuguées des praticiens ont induit la fausse certitude que Mme P... était immunisée contre la rubéole et qu'elle pouvait poursuivre sa grossesse sans aucun risque pour l'enfant ; qu'en conséquence ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère ; qu'en niant tout lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant, l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du Code civil.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION:

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la C.P.A.M. de l'Yonne devra restituer aux appelants les sommes reçues à titre de provision.

AUX MOTIFS QUE les praticiens ne sont pas responsables du préjudice causé à Nicolas P...

ALORS QUE la Caisse qui exerce un recours aux fins de voir son préjudice indemnisé ne se prévaut pas uniquement du dommage subi par l'assuré social ; qu'implicitement mais nécessairement elle se fonde également sur son propre préjudice qui est distinct du premier ; qu'à supposer que Nicolas P... n'ait souffert d'aucun dommage imputable aux appelants, il n'en demeure pas moins qu'en raison de la naissance de cet enfant, la C.P.A.M. de l'Yonne subit un préjudice propre résultant des nombreux versements qu'elle doit effectuer au profit de son assuré social ; que la créance de la C.P.A.M. n'est d'ailleurs contestée ni en son principe ni en son montant ; que la Cour d'appel a retenu plusieurs fautes imputables à chacun des praticiens ; que le lien de causalité entre le préjudice de la Caisse et les fautes des appelants n'était pas contesté ; que les juges du fond ne pouvaient donc rejeter la responsabilité du Docteur X... et du laboratoire au seul motif tiré de leur absence de responsabilité vis-à-vis de Nicolas P... sans méconnaître le droit propre à la Caisse et violer ainsi les articles 1382 et suivant du Code civil.


Source en ligne: http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/99-13701arr.htm





CONCLUSIONS de Monsieur l’Avocat Général SAINTE-ROSE

PRÉAMBULE

Un enfant atteint d’un handicap congénital ou d’ordre génétique peut-il se plaindre d’être né infirme au lieu de n’être pas né? Telle est la délicate question qui vous est posée par le présent pourvoi.

La pénible affaire qui a donné lieu au procès opposant les époux P... à un médecin, M. X... et à un laboratoire de biologie médicale s’inscrit dans un contexte qu’il convient d’évoquer brièvement.

Depuis une vingtaine d’années, la conjonction des progrès des sciences biomédicales et des dispositifs législatifs favorisant la maîtrise de la reproduction humaine a fait apparaître de nouvelles hypothèses de responsabilité médicale et hospitalière qui placent les juristes devant des choix cruciaux.

On assiste, en effet, à la montée d’un contentieux indemnitaire lié à la naissance d’un enfant non désiré ou qui cesse de l’être car, en raison de son état de santé, il ne répond plus à l’attente de ses parents. Ceux-ci considèrent cette naissance, médicalement assistée, comme un préjudice dès lors qu’elle aurait pu ou dû être évitée.

Concrètement, les situations litigieuses qui ont trouvé leur épilogue devant les juridictions judiciaires ou administratives ont concerné soit l’échec d’une interruption de grossesse ou d’une stérilisation (lorsque que ces interventions médicales n’ont pu empêcher une naissance), soit l’inefficacité d’un examen prénatal qui recouvre des modalités diverses (amniocentèse, test de rubéole, échographie) et dont l’objet est de détecter les maladies graves affectant l’embryon ou le foetus, soit la fausseté d’un diagnostic anteconceptionnel qui permet le dépistage des maladies héréditaires et des sujets susceptibles de les transmettre.

Les parents agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leur enfant dont le handicap n’a été découvert qu’après sa naissance, deux sortes d’actions doivent être distinguées même si, dans la pratique, elles sont exercées simultanément : l’une qui tend à l’indemnisation du préjudice des parents et que la terminologie américaine appelle action en wrongful birth, l’autre intentée pour le compte du mineur ou action en wrongful life et visant à réparer le préjudice correspondant à la vie diminuée qu’il est amené à vivre.

En dépit des variétés des situations médicales et des différences régissant les rapports entre les professionnels de la santé et leurs patients selon que la naissance a eu lieu dans un hôpital ou une clinique privée - le cadre étant légal et réglementaire dans le premier cas, contractuel dans le second, une jurisprudence bien établie admettant l’existence d’un accord tacite [1] dont elle a précisé le contenu - les juridictions des deux ordres s’en tiennent aux conditions classiques de la responsabilité, étant précisé que la faute doit être contraire aux données actuelles de la science et appréciée à l’aune d’une obligation de moyens.

Toutefois, l’application plus ou moins problématique des mécanismes de responsabilité civile ou publique aux interrogations que suscite un phénomène aussi complexe que la naissance n’a pas seulement soulevé des difficultés d’ordre technique (identification des préjudices, causalité). Comme l’a écrit le professeur J. HAUSER : “La logique (la folie) réparatrice a des implications philosophiques... il serait peut-être temps de s’en inquiéter[2]. Se posent, en effet, des questions existentielles ayant trait au droit à la vie, à l’avortement voire à l’eugénisme qui, dans leur dimension éthique, ont une portée universelle. Dans leur dimension juridique, ces questions ne permettent pas de réduire le débat à un simple problème d’indemnisation car elles touchent aux principes fondamentaux du droit des personnes et de la famille. Une place particulière doit être faite ici au principe de dignité de la personne humaine qui connaît, de nos jours, un regain de faveur tant en jurisprudence[3] Conseil d’Etat: 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge, Rec. p. 372, RFD adm. p. 1204, conclusions FRYDMAN ; JCP 1996, II 22360, note F. HAMON. qu’en doctrine[4]. Nombre de textes de notre droit positif, notamment en matière de déontologie médicale (décret du 6 septembre 1995) ou de bioéthique (lois du 29 juillet 1994) se référent à ce principe posé à l’article 16 du Code civil et qui peut apporter sinon des solutions incontestables du moins un éclairage utile.

***

I - LES FAITS ET LA PROCÉDURE

Venons-en aux faits qui sont simples. M. X..., généraliste et médecin de la famille P... a constaté, le 17 avril 1982, sur la fille du couple âgée de quatre ans, une éruption cutanée évoquant la rubéole, les mêmes signes étant relevés le 10 mai suivant sur la personne de la mère.

Il a donc prescrit la recherche d’anticorps rubéoleux d’autant que Mme P... lui avait indiqué qu’elle pensait être enceinte et qu’elle entendait interrompre sa grossesse en cas de rubéole, maladie infectieuse et contagieuse qui peut provoquer de graves malformations du foetus lorsqu’elle atteint une femme non immunisée.

Un prélèvement effectué le 12 mai 1982 par le laboratoire de biologie médicale d’Yerres étant négatif et la grossesse se confirmant, le même laboratoire a procédé, quinze jours plus tard, à la demande du médecin, à un second prélèvement qui s’est avéré positif, faisant état de la présence d’anticorps.

Compte tenu de ces résultats contradictoires, le laboratoire, se conformant à la réglementation, a procédé à un nouveau titrage du prélèvement initial. Le résultat de cette analyse de contrôle a été présenté comme identique à celui obtenu après le second prélèvement.

Il en fut conclu que Mme P... était immunisée contre la rubéole, le caractère positif des deux prélèvements et la stabilité du taux des anticorps étant les signes manifestes d’une infection déjà ancienne insusceptible d’affecter l’enfant à naître.

Le 14 janvier 1983, Mme P... a mis au monde un garçon prénommé Nicolas qui a développé, un an plus tard, de multiples troubles neurologiques ainsi que des séquelles (surdité, rétinopathie, cardiopathie, retard intellectuel) qui paraissaient avoir pour origine une rubéole congénitale contractée pendant la vie intra-utérine.

Ce que devait confirmer l’expert désigné, en référé, le 13 septembre 1988, à la requête des époux P...

Il ressort du rapport d’expertise et il n’est pas contesté que le résultat de l’analyse de contrôle était dû à une erreur du laboratoire et que le médecin avait fait preuve, en l’occurrence, d’absence de sens critique.

Les époux P... ont alors assigné au fond M. X... et le laboratoire de biologie médicale d’Yerres ainsi que leurs assureurs respectifs, la Mutuelle d’assurance du corps sanitaire français (MACSF) et la Mutuelle des pharmaciens (MDP) devant le tribunal de grande instance d’Evry.

Par jugement du 13 janvier 1992, ce tribunal a retenu que le praticien et le laboratoire avaient commis des fautes, les a déclarés responsables de l’état de santé de Nicolas P... et condamnés in solidum avec leurs assureurs à payer une provision à valoir sur son préjudice corporel, faisant également droit à la demande de la CPAM de l’Yonne tendant au remboursement de ses prestations. Il a sursis à statuer jusqu’au résultat d’une expertise en ce qui concerne le préjudice invoqué par Mme P...

Par arrêt du 17 décembre 1993, la cour d’appel de Paris a partiellement infirmé le jugement et ordonné la restitution des sommes versées à titre de provision aux motifs que “le préjudice de l’enfant n’est pas en relation de causalité avec les fautes commises” et que “ les séquelles dont il est atteint ont pour seule cause la rubéole que lui a transmis in utero sa mère”.

Sur les pourvois des époux P... et de la CPAM, la première chambre civile a, par arrêt du 26 mars 1996, cassé la décision entreprise en ce qu’elle a “dit que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec les fautes commises et en ce qu’il a condamné M. P... ès qualités et la CPAM à restitution des sommes reçues à titre de provision”.

La cassation intervenue est donc limitée à la demande d’indemnisation formée au nom de l’enfant.

Statuant comme cour de renvoi, la cour d’appel d’Orléans a refusé de s’incliner ; le dispositif de son arrêt en date du 5 février 1999 énonce que “l’enfant Nicolas P... ne subit pas de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises par le laboratoire de biologie médicale d’Yerres et le docteur X...” et ordonne le remboursement des provisions.

Contre cet arrêt de “rébellion”, les époux P... ont régulièrement formé un nouveau pourvoi en cassation le 14 avril 1999 et produit un mémoire ampliatif le 15 septembre suivant.

Des mémoires en défense ont été déposés par les autres parties, la CPAM ayant formé un pourvoi incident et M. K... venant aux droits du laboratoire.

La procédure paraît régulière.

II - LES MOYENS DE CASSATION

Le pourvoi principal et le pourvoi incident comportent trois moyens.

A. Le premier moyen de chacun des pourvois concerne la régularité de la composition de la cour d’appel qui a statué. Leur examen simultané est donc préalable mais ne devrait pas retenir trop longtemps votre attention.

Pris de la violation des articles 447, 448 et 458 du nouveau code de procédure civile, les moyens prétendent que l’arrêt serait nul car il résulterait de ses mentions que le greffier était présent non seulement lors des débats et du prononcé mais aussi lors du délibéré.

Il apparaît, en réalité, que la mention “greffier” suivie du nom de ce fonctionnaire figure dans l’arrêt à la suite et séparément de celle relative à la composition de la cour lors des débats et du délibéré puis du prononcé. Rien ne permet d’affirmer que le greffier aurait assisté au délibéré et les moyens manquent en fait comme le relèvent les mémoires en défense.

B. Le deuxième moyen du pourvoi principal, en sa première branche et le deuxième moyen du pourvoi incident critiquent les motifs par lesquels la cour d’appel d’Orléans a écarté la demande d’indemnisation du préjudice personnel de Nicolas P...

Au soutien de sa décision, la cour énonce pour l’essentiel “qu’il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission à la mère de la rubéole ; qu’ils ne sont intervenus qu’après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait être évitée la conception de l’enfant ; qu’une thérapeutique quelconque pratiquée au début de grossesse n’aurait pu supprimer les effets de la rubéole sur le foetus ; que Nicolas ... ne pouvait que naître avec les conséquences imputables à la rubéole... ou disparaître à la suite d’une interruption volontaire de grossesse dont la décision n’appartient qu’à ses parents et ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir ; que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l’enfant ; que si un être humain est titulaire de droits dès sa naissance, il ne possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre”.

A l’encontre de cette motivation très explicite, le pourvoi principal fait valoir “qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt, que la mère de l’enfant avait clairement exprimé sa volonté, en cas d’atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse et que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu’il s’ensuit que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l’enfant du fait de la rubéole de sa mère ; qu’en écartant le lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l’enfant du fait de la rubéole de sa mère, l’arrêt attaqué a violé l’article 1147 du code civil”.

Ce sont des griefs identiques que formule, en termes très voisins, le deuxième moyen de la CPAM de l’Yonne qui sera discuté en même temps que celui du pourvoi principal.

Pour répondre aux moyens, il est nécessaire de rappeler, dans ses grandes lignes, l’état de la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative marquée par de profondes divergences sur l’action de l’enfant (1°) avant d’examiner cette action qui nous paraît contestable au regard des conditions de la responsabilité civile (2°) et dont l’admission soulève des difficultés sur le plan juridique mais aussi éthique (3°).

1°) L’état actuel de la jurisprudence et les divergences relatives à l’action de vie préjudiciable.

Le contentieux, relativement abondant, s’articule autour d’un principe de portée générale, clairement exprimé et d’une exception dont la formulation est ambiguë.

a) Le principe et l’exception.

Dès 1982, le Conseil d’État a posé en principe qu’une naissance n’est pas en elle-même génératrice d’un dommage susceptible d’ouvrir à la mère un droit à réparation [5]. La requérante, célibataire aux revenus modestes, se plaignait de l’échec d’une interruption volontaire de grossesse mais l’enfant était né en bonne santé.

Cette solution qui a fait l’objet d’une large approbation doctrinale paraît davantage fondée sur des considérations de morale sociale que sur la stricte application des règles de la responsabilité pécuniaire qui aurait pu conduire à l’indemnisation des inconvénients résultant de l’interruption de grossesse ayant manqué son but [6].
La Cour de cassation a, dans une affaire analogue, adopté la même position par un arrêt du 25 juin 1995 en constatant “l’absence de dommage particulier qui ajouté aux charges normales de la maternité aurait été de nature à permettre à la mère de réclamer une indemnité[7].

Dans son arrêt précité de 1982 et probablement pour résoudre les cas les plus douloureux, le Conseil d’Etat avait ouvert la voie à des dérogations en réservant l’hypothèse où le demandeur d’indemnité invoque “des circonstances ou une situation particulière” qui n’ont pas été définies mais incluant, d’après les conclusions du commissaire du gouvernement et les commentaires de la doctrine, la naissance d’un enfant handicapé.

Cela ne signifie pas pour autant que les règles de la responsabilité civile puissent être méconnues, spécialement l’exigence d’une relation de causalité[8] entre la faute et le dommage ainsi que la détermination du droit lésé, tout préjudice n’étant pas réparable. L’action de l’enfant et celle des parents n’auront donc pas nécessairement le même sort.

b) La jurisprudence judiciaire.

Les juridictions du fond ont accepté soit par le détour de la “perte de chance” de recourir à l’avortement, soit par l’intermédiaire du préjudice réfléchi du fait de la vue quotidienne du handicap de l’enfant, d’indemniser les parents en raison d’une déception légitime suscitée par une prestation médicale ne leur ayant pas permis de prendre une décision en connaissance de cause mais elles se sont, pour la plupart, refusées à accueillir l’action de l’enfant soit pour des motifs tirés de l’éthique, soit pour le défaut de causalité entre l’infirmité de l’enfant et la faute du médecin[9].

Cependant, par un arrêt du 16 juillet 1991, la Cour de cassation a reconnu au profit d’un enfant atteint de graves malformations que la faute du médecin qui n’avait pas prescrit lors de l’examen prénuptial la sérologie de la rubéole pourtant obligatoire, lui avait fait perdre “la chance d’éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par sa mère en début de grossesse[10]. Pareille motivation revient, nous semble-t-il, à présumer le lien de causalité.
Le même arrêt a également retenu à la charge des deux médecins qui avaient assuré le suivi de la grossesse qu’en s’abstenant, malgré les symptômes de rubéole, de prescrire les analyses utiles, ils n’avaient pas rempli l’obligation de renseignement dont ils étaient tenus à l’égard de leur patiente et qui aurait permis à celle-ci d’envisager une IVG. De tels motifs caractérisent des fautes de nature à engager la responsabilité des praticiens vis-à-vis de la mère ou des parents mais nullement de l’enfant.

Deux autres décisions significatives ont été rendues le 26 mars 1996 par la Cour de cassation légitimant de manière encore plus nette les demandes indemnitaires des parents mais aussi celles présentées pour le compte de l’enfant[11]. La première espèce présente une particularité factuelle tenant à une erreur de diagnostic anteconceptionnel qui a été regardée comme étant en relation directe avec la décision du couple de concevoir un enfant né, cinq ans après la consultation d’un généticien, porteur de la maladie hérédo-dégénérative dont souffrait son père.
La seconde espèce est celle qui fait l’objet du présent pourvoi.

b) La jurisprudence administrative.

Elle est illustrée par un arrêt du 14 février 1997 du Conseil d’État qui s’est prononcé, à son tour, sur les deux actions en responsabilité engagées par les parents d’un enfant né trisomique après que la mère eut subi dans un hôpital public, un examen prénatal par amniocentèse dont le but était de décider d’une éventuelle interruption volontaire de grossesse et qui lui avait présenté, à tort, comme ne révélant aucune anomalie [12].

Confirmant en partie l’arrêt de la cour administrative d’appel, le Conseil d’État a accepté de réparer, outre le préjudice moral du couple, son préjudice matériel en lui allouant notamment une rente mensuelle pendant la durée de vie de l’enfant au titre des charges particulières résultant de l’infirmité de celui-ci.

Il y a donc convergence entre les deux juridictions suprêmes quant à l’action des parents bien que la Cour de cassation n’ait pas pris parti sur l’étendue du préjudice réparable.

En revanche, le Conseil d’État s’est nettement séparé de la Cour de cassation sur la question du préjudice propre à l’enfant en annulant l’arrêt déféré motif pris de l’erreur commise dans l’appréciation du caractère direct du lien de causalité.

Abondamment commentées, les décisions rendues le 26 mars 1996 par la première chambre civile ont suscité un vif débat doctrinal, la très grande majorité des auteurs, qu’ils soient civilistes ou publicistes, se déclarant hostiles au principe même de l’indemnisation de l’enfant dans les circonstances sus-relatées [13].

Le débat témoigne de la difficulté de la question et de l’importance des enjeux qui sont des enjeux de société.

La résistance manifestée par la cour d’appel d’Orléans - qui va dans le sens de la jurisprudence dominante des juges du fond [14] - impose une nouvelle réflexion sur l’action en wrongful life.

2°) Une action contestable au regard des conditions de la responsabilité civile.

Deux des trois composantes classiques du lien de causalité font difficulté.

a) Les fautes.

Elles ne seront évoquées que pour la clarté du débat car elles ne sont plus en discussion.

La première faute, qui est celle du laboratoire de biologie médicale consistant en une erreur - reconnue - d’analyse d’un résultat sanguin, n’appelle pas d’observation particulière[15].

Ensuite, vient la faute du médecin qui a été de n’avoir pas provoqué un diagnostic complémentaire malgré des indices inquiétants[16] et non comme le lui reproche l’arrêt, de n’avoir pas donné à la patiente “tous les soins attentifs et diligents qu’elle était en droit d’attendre”. Ce grief est inopérant dès lors qu’en l’état des ressources de la science médicale, aucune thérapeutique n’était envisageable. Subsiste le manquement au devoir d’information et de conseil dont les juges du fond soulignent qu’il a pour finalité de recueillir le consentement libre et éclairé du patient.

En l’espèce, le conseil ne pouvait porter que sur l’avortement soit pour cause de détresse de la femme qui doit intervenir dans les dix premières semaines de la grossesse (article L 161-2 du code de la santé publique) et aurait été possible si la rubéole avait été immédiatement diagnostiquée, soit pour motif abusivement appelé thérapeutique -que guérit-on ?- la grossesse pouvant être interrompue à tout moment (article L 162-12 du code de la santé publique). Mais il ne suffit pas que le médecin ait failli à son obligation d’informer, son silence n’étant fautif que s’il a porté atteinte au droit d’autrui, à savoir la mère.

Du fait de sa libéralisation et d’un certain laxisme dans l’application de l’article L 162-12[17], l’avortement est-il devenu une liberté de la femme comme on l’a soutenu[18] ?

Rappelons, sans esprit de polémique, que la loi du 17 janvier 1975 dite loi Veil, prorogée par celle du 31 décembre 1979, n’a fait qu’écarter les poursuites pénales contre les auteurs et complices d’un avortement lorsque celui-ci est réalisé dans les conditions prévues par les articles précités du code de la santé publique.

C’est, fondamentalement, un texte d’exception, ce que confirme son article 1er dont les dispositions ont été reprises dans l’article 16 du code civil : “La loi garantit... le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”. Mais l’avortement est, en toute hypothèse, un acte que la loi autorise sous certaines conditions et on ne saurait écarter a priori le principe même d’un préjudice lorsque la femme enceinte a été privée de la possibilité d’y recourir [19] Pour la doctrine pénaliste, le législateur a conservé sa dimension fautive à l’avortement (cf. MERLE et VITU, Droit pénal spécial éd. Cujas, tome II, n° 2099)..

Quoi qu’il en soit, Mme P... avait le droit d’être renseignée sur son état de santé et, par voie de conséquence, sur celui de l’enfant qu’elle portait[20]

Toutefois, le manquement du médecin à son devoir d’information ne lèse que la mère ou les parents qui ont été faussement rassurés quant à l’absence de risque de handicap, ce dont ils souffrent personnellement. Cette faute ne peut donc servir de fondement à l’action de l’enfant. La distinction a été faite tant en doctrine[21] qu’en jurisprudence[22]. On aborde déjà la question de causalité sur laquelle se concentrent les critiques des pourvois.

a) L’existence problématique d’un lien de causalité.

La cour d’appel de Paris avait rejeté la demande d’indemnisation du préjudice de Nicolas P... en se fondant sur l’absence de lien causal entre l’état de l’enfant et les fautes constatées. La première chambre civile a cassé cette décision, au visa de l’article 1147 du Code civil, en affirmant que “les parents avaient marqué leur volonté en cas de rubéole de provoquer l’interruption de grossesse et que les fautes commises... étaient génératrices du dommage subi par l’enfant du fait de la rubéole de sa mère”. Cette motivation elliptique met l’accent sur le dommage causé par la rubéole alors que les praticiens n’ont aucune responsabilité dans sa réalisation. C’est, croyons-nous, à juste raison que la cour de renvoi a jugé que les fautes médicales - qu’elles soient contractuelles on non[23]- ne sont pas à l’origine du handicap lequel résulte d’une contamination accidentelle, ni, en amont, de la rubéole contractée par la mère. Ces fautes ont d’ailleurs été commises après la conception comme le souligne l’arrêt attaqué. Nous ne sommes pas dans l’hypothèse où la décision des parents de mettre au monde un enfant a été influencée de manière déterminante par un diagnostic anteconceptionnel erroné ainsi qu’il paraissait avoir été dans l’autre affaire jugée le 26 mars 1996. Nul ne prétend que l’enfant à naître ait été privé de soins de nature à empêcher ou à minorer les suites de la maladie, ce qui relèverait de la responsabilité médicale de “droit commun”. Il n’est pas davantage allégué que des fautes aient été commises pendant le suivi de la grossesse. La causalité est donc inexistante[24]. Même si l’on retenait la définition la plus large de la causalité, soit l’équivalence des conditions, la situation resterait inchangée. C’est sur ce terrain que s’est placé le Conseil d’Etat, dans son arrêt précité du 14 février 1997 (Epoux Q...), suivant en cela les conclusions du commissaire du gouvernement, Mme V. PECRESSE. En effet, la trisomie affectant l’enfant ne pouvait être la conséquence de l’erreur entachant les résultats de l’amniocentèse mais était “inhérente à son patrimoine génétique”. Le 20 février, le Conseil a diffusé un communiqué de presse rappelant que “le fait d’être en vie ne saurait être regardé comme un préjudice subi par l’enfant”.

Affirmer, comme on l’a fait, que les fautes sont causales dès lors que, sans elles, le dommage pouvait être évité[25] signifie, d’une part, qu’il eût mieux valu que l’enfant ne vînt pas au monde. Comment éviter le dommage si ce n’est en supprimant le malade? Ce raisonnement conduit, d’autre part, à une distorsion sans précédent du lien de causalité et revient à imposer aux praticiens une obligation de résultat tenant à toute conception ou gestation médicalisée et portant sur la naissance d’un enfant en bonne santé. Or, la jurisprudence hésite à étendre une telle obligation aux actes les plus banals de la médecine[26].

On en arrive à mettre sur le même plan l’action de l’enfant né avec un handicap lié à l’état pathologique de sa mère et celle du mineur qui, à la suite d’une faute médicale commise lors de l’accouchement [27], peut invoquer la règle infans conceptus pour obtenir réparation de son préjudice qui a été directement causé par cette faute, de sorte que le problème du lien de causalité ne se pose pas.

Par ailleurs, se référant aux propos de Mme P... tels que relatés par les juges du fond, l’arrêt de cassation tient pour acquis que si elle avait été informée, l’intéressée aurait nécessairement pratiqué une interruption volontaire de grossesse Il s’agit là d’une présomption de “comportement normal”[28] que même une probabilité statistique produite par la banalisation de l’avortement ne suffit pas à établir car une incertitude existera toujours sur ce qu’aurait été l’attitude de la femme enceinte confrontée à un diagnostic défavorable [29].

La femme se trouve, en tout cas, prise au piège de sa déclaration d’intention considérée comme une manifestation définitive de sa volonté d’avorter alors qu’elle dispose d’une faculté éminemment personnelle et qu’il lui est loisible de changer d’avis jusqu’au dernier moment. On ne saura jamais ce qu’elle aurait finalement décidé.

Que devient, dans ces conditions, sa liberté si fortement proclamée ?[30]

Il est, au demeurant, singulier que l’enfant puisse se prévaloir de la certitude que ses parents auraient programmé son élimination s’ils avaient connu, en temps opportun, le risque de handicap.

Cette dernière remarque nous conduit à constater qu’une confusion a été opérée par la première chambre civile entre la cause du handicap -la rubéole- et la cause de la naissance de l’enfant à laquelle les fautes des praticiens ont contribué dans la mesure où elles ont empêché la mère de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Sous le prétexte d’indemniser un handicap alors que celui-ci ne peut être rattaché par un lien de causalité au comportement fautif des praticiens, n’est-ce pas, en réalité, la naissance et donc la vie de l’enfant qui sont considérées comme un préjudice ? On retrouve ici la question du début : Nicolas P... peut-il se plaindre d’être né avec un handicap congénital au lieu de ne pas être né ?

a) L’existence hypothétique d’un préjudice indemnisable.

À l’interrogation qui est au coeur du débat, la doctrine a, très majoritairement, apporté une réponse négative. Mais on citera d’abord Mme V. PECRESSE pour qui “un enfant ne peut pas se plaindre d’être né tel qu’il a été conçu par ses parents, même s’il est atteint d’une maladie incurable ou d’un défaut génétique, dès lors que la science médicale n’offrait aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l’inverse serait juger qu’il existe des vies qui ne valent pas la peine d’être vécues et imposer à la mère une sorte d’obligation de recourir, en cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse[31].

M. P. MURAT dénonce “l’analogie vicieuse” qui a conduit à admettre l’action de l’enfant au même titre que l’action des parents. Il ajoute, à propos de l’enfant, que “son handicap ou sa douleur sont consubstantiels à sa qualité d’être humain” et “qu’en gardant la vie il n’a rien perdu... Juger du contraire revient à poser, officiellement, une pernicieuse hiérarchie entre des vies qui sont toutes uniques et non susceptibles d’être réduites à tel ou tel handicap[32].

De son côté, Mme J. ROCHE-DAHAN, après avoir souligné “qu’à aucun moment la Cour de cassation ne prend la peine de définir la nature exacte du préjudice dont le médecin est tenu responsable”, déplore que le dommage pris en compte soit “ le fait d’être en vie” et conteste la légitimité de l’intérêt sur lequel se fonde l’action de l’enfant [33].

On a fait valoir, à l’opposé, “qu’il y a plus d’inconvénient à vivre diminué physiquement et/ou intellectuellement que ne pas vivre[34]. Mais à partir de quel seuil, le handicap rend-t-il la vie intolérable ? Il faudrait savoir ce qu’en pensent les intéressés eux-mêmes, étant observé que l’on rencontre des handicapés qui sont heureux de vivre tandis que des personnes parfaitement constituées souffrent du mal de vivre. Le problème, ainsi que l’a pertinemment relevé Mme M.A. HERMITTE, est que cette question ne peut recevoir qu’une réponse personnelle que l’enfant est incapable de donner. “Permettre à la société ou à ses parents de la donner en son nom revient à ne pas tenir compte du conflit d’intérêt et d’appréciation qui peut exister. C’est, en fait, indécidable au sens fort du terme[35].

Quant à l’argument selon lequel le préjudice des parents postule celui de l’enfant[36], il n’est rien d’autre qu’un sophisme[37]. Les parents subissent, en effet, un préjudice qui leur est propre et qui résulte des fautes médicales, celles-ci ne leur ayant pas permis de prendre une décision éclairée s’agissant de l’interruption de la grossesse ou de sa poursuite et, dans cette éventualité, de se préparer psychologiquement et matériellement à accueillir l’enfant handicapé.

Sur la nature du préjudice éprouvé par Nicolas P..., la Cour d’Orléans s’est livrée à une analyse que les pourvois ne discutent pas. Force est de constater, avec elle, qu’aucun traitement n’étant possible in utero, l’enfant n’avait d’autre alternative que de naître infirme ou de ne pas naître[38], le pouvoir d’empêcher sa naissance étant d’ailleurs entre les mains de sa mère.

L’enfant qui souffre de multiples maladies et affections est lourdement handicapé. Tel est son préjudice effectif, aggravé par l’absence de soins palliatifs médicaux en l’état des données de la science.

La cour d’appel a aussi constaté l’évidence : les fautes médicales n’ont pas provoqué le handicap. Celui-ci étant congénital (ou génétique) n’a pas d’auteur. Il n’existe et n’est subi par l’enfant que parce que celui-ci est né au lieu d’être mort. Il est inhérent à sa personne.

C’est donc bien, comme l’avait compris la doctrine, la naissance et la vie même de l’enfant qui constituent le préjudice dont il est demandé réparation contrairement à la position de principe prise tant par la Cour de cassation que par le Conseil d’Etat [39] . Autrement dit, l’action exercée en son nom tend à l’indemniser du fait de ne pas avoir été avorté. Cette action n’est qu’un substitut processuel à un avortement qui n’a pas eu lieu. La preuve en est que les époux P… ont invoqué, dans leurs écritures, la perte de chance que représente pour leur fils le fait d’être né handicapé [40]. Mais, comme l’indique l’arrêt, l’enfant n’avait aucune chance de naître “normal” ou avec un handicap moins grave. La chance perdue est celle ne pas avoir bénéficié des bienfaits de l’article L 162-1 ou de l’article L 162-12 du code de la santé publique.

Bref, le dommage c’est la vie et l’absence de dommage c’est la mort. La mort devient ainsi une valeur préférable à la vie. N’y a-t-il pas là une perversion du concept de dommage ?

S’exprimant sur ce sujet, le doyen CARBONNIER avait ainsi résumé son point de vue : “La vie même malheureuse n’est-elle pas toujours préférable au néant?”[41].

Sans nous engager dans une querelle qui touche à la philosophie voire à la théologie, il nous paraît possible, en définitive, de dire qu’en la cause, si l’enfant se trouve dans un état dommageable que sa naissance a seulement révélé, il n’a pas été pour autant victime d’un acte dommageable imputable à une personne déterminée. Le fait de la nature n’est pas le fait de l’homme.

Par suite, le préjudice invoqué n’est pas juridiquement réparable.

Les choix effectués jusqu’ici ont des conséquences qui suscitent la perplexité ou sont préoccupantes.

3°) Les implications de l’action de vie préjudiciable.

Elles concernent à la fois le droit des personnes, celui de la responsabilité et le développement d’un eugénisme “privé”.

a) Le droit des personnes (l’émergence du droit de ne pas naître).

L’une des fonctions assez méconnue de la responsabilité civile, a écrit Mme G. VINEY, consiste non seulement à assurer le respect des droits subjectifs déjà consacrés mais aussi à en faire apparaître d’autres qui ne sont pas encore reconnus ou formulés.[42] En décidant d’accueillir l’action de l’enfant, notre jurisprudence reconnaît qu’il a subi un préjudice indemnisable mais on s’aperçoit qu’il est difficile d’exprimer ce préjudice en termes de violation d’un droit déterminé.

D’où la position négative adoptée sur ce point par la cour d’appel d’Orléans, à l’instar d’autres juridictions du fond.

Ainsi, le tribunal de grande instance de Montpellier a-t-il considéré “qu’admettre la recevabilité de l’action de l’enfant reviendrait à lui reconnaître une appréciation sur la décision initiale de ses parents de le concevoir et de mener à terme une grossesse ayant donnée la vie[43].

Plus nettement encore, la cour d’appel de Bordeaux a jugé que “si un être humain dès sa conception est titulaire de droits, il ne possède pas celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre et sa naissance ou la suppression de sa vie ne peut être considérée comme une chance ou une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques” [44].

Néanmoins, pour fonder le droit à réparation du préjudice de vie dommageable, il faut bien que l’enfant ait été titulaire d’un droit et que celui-ci ait été violé. Il ne peut s’agir que du droit de naître “normal” - si tant est que des critères de normalité puissent être proposés - et à défaut, du droit à “l’euthanasie prénatale” - selon l’expression de M. J. HAUSER[45] - qui serait le pendant de la faculté d’avorter accordé à la mère. Tout ceci n’est guère plausible.

S’il existait, ce droit de ne pas naître serait d’ailleurs opposable à tous. Aux personnels de santé en cas de négligence de leur part mais aussi aux parents qui décideraient de concevoir un enfant sachant qu’ils risquent de lui transmettre une grave anomalie génétique ou qui, malgré un diagnostic prénatal alarmant, laisseraient la grossesse aller jusqu’à son terme. Il serait opposable en particulier à la mère qui pourrait engager sa responsabilité lorsque, avant ou pendant sa grossesse, elle s’est livrée à des comportements compromettants pour la santé de l’enfant ou qu’elle s’est refusée à des soins qui auraient été utiles.

La logique de l’action en wrongful life conduit à transformer la faculté d’avortement reconnue à la mère en obligation pour celle-ci dont le libre arbitre est ainsi totalement dénié. C’est la dialectique de la loi du 17 janvier 1975 qui se trouve renversée puisque pour ne pas nuire à autrui la mère serait tenue de subir une interruption volontaire de grossesse alors que cet acte -on l’oublie parfois- peut présenter des risques pour elle-même (article L 162-3, 1° du code de la santé publique). Il n’est pas surprenant que la doctrine soit unanime à rejeter toute action d’un enfant handicapé contre ses parents en se fondant sur des considérations d’intérêt public mais aussi d’ordre moral, le fait de donner la vie ne pouvant être assimilé à une faute[46] Si la constitution de partie civile de la mère agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure née à la suite d’un viol incestueux a été admise par la chambre criminelle c’est, semble-t-il, non pas du fait de sa naissance mais en raison des circonstances de sa conception dont l’auteur du viol est directement responsable . L’enfant, victime d’une situation traumatisante, peut ainsi demander réparation à son géniteur (Cf. Cass. Crim 4 février 1996, B n° 43, D 1999, Jurispr. p. 445, note D. BOURGAULT-COUDEVYLLE, JCP 1999, II, 10178, note I. MOINE-DUPUIS ; cf. également, D 1999, M. T. CALAIS-AULOY, Point de vue : La vie préjudiciable)..

C’est également une question de dignité, celle des parents : l’action en wrongful life implique une discrimination entre les parents de bonne qualité “biologique” et les autres qui devraient s’abstenir de procréer. [47]

Ajoutons que la logique de cette action restrictive des droits de l’infans conceptus voué à être infirme lui dénie le droit le plus fondamental, celui à la vie (l'arrêt doit être corrigé sur ce point) et ne lui reconnaît qu’un droit spécifique - celui à la mort miséricordieuse ? - qui ne peut servir qu’à sa disparition. Dans le même ordre d’idées, Mme M.A. HERMITTE a montré la contradiction qu’il y a “à considérer que l’enfant handicapé puisse user de sa qualité de sujet de droit pour demander la réparation du dommage qui résulte du fait qu’il n’a pas été avorté par ses parents, ce qui l’aurait empêché de devenir sujet de droit[48]. En somme, l'enfant plaide ou on lui fait plaider qu'il n'aurait pas dû exister.

b) Le droit de la responsabilité civile (l’affirmation d’une obligation de garantie).

Non moins paradoxale est l’évaluation du préjudice de l’enfant handicapé qui pose la question fondamentale de la valeur de la vie dès qu’elle est donnée. S’agissant des actions en responsabilité “classiques” y compris celles pour dommages prénataux - un enfant pouvant naître infirme à la suite d’un accident survenu à sa mère et dont un tiers est déclaré responsable - les indemnités sont calculées en procédant à une comparaison entre la situation qui aurait été celle de la victime - elle serait en bonne santé - et sa situation actuelle de personne handicapée, la vie “normale” ayant une valeur positive et la vie diminuée une valeur négative. Dans l’hypothèse d’une action en wrongful life si l’anomalie supposée incurable avait été détectée, l’enfant ne serait pas né en meilleure santé, il n’aurait pas existé du tout dès lors que l’on présume que sa mère aurait nécessairement procédé à un avortement. En l’indemnisant on confère à l’absence de vie une valeur positive et à la vie normale une valeur nulle.[49]

Mais il convient surtout de mesurer les conséquences d’un courant jurisprudentiel qui, en sortant du lien de causalité et en imposant aux praticiens une véritable obligation de sécurité fait de “la conception et de la naissance de l’enfant une opération où les géniteurs seraient totalement déchargés de responsabilité au profit de l’accompagnement médical[50].

On passerait ainsi d’un système de responsabilité à un système de garantie automatique, ce qui devrait être clairement dit. Toute naissance d’un enfant handicapé pourrait donner lieu à une action indemnitaire contre les médecins sans que l’on se préoccupe finalement de leur faute puisqu’aucun lien de causalité ne sera exigé avec le seul préjudice résultant de la naissance, opération qui comporte pourtant plus d’aléas que bien d’autres.

Cette obligation de garantie totale de naissance d’un enfant indemne qui équivaudrait à une implication au sens de la loi du 5 juillet 1985 risque de déresponsabiliser les médecins tant serait écrasante leur responsabilité car ils ne seraient plus seulement en charge de la maladie mais “en charge directe de la création des êtres” [51]

b) La tentation de l’eugénisme.

L’autre conséquence prévisible de l’obligation de garantie mise à la charge des praticiens sera de les inciter, devant le plus léger doute, à préconiser l’avortement qui ne suscite aucune action. Le “principe de précaution” tellement à la mode de nos jours ne peut être apprécié ici de la même façon qu’ailleurs. Il ne s’agit pas de prendre une mesure qui peut être inutile ou incommode mais de décider de la suppression d’embryons humains, opération, que sans entrer dans des controverses maintenant closes légalement, on ne peut banaliser à l’excès.

La multiplication des tests de dépistage liée à la découverte de nouveaux gênes qui va accroître les risques d’erreur et de dommage ne manquera pas de renforcer cet eugénisme de précaution. Celui-ci s’ajoutera à l’eugénisme dit “familial”, les progrès de la médecine foetale [52], amplifiée par les médias, déterminant une attitude de plus en plus revendicative des parents, désormais en quête du “bel enfant”[53].

Il est, en tout cas, remarquable que l’esprit de générosité, le souci compassionnel -ou l’égoïsme ? [54] - qui sous-tendent la reconnaissance de l’action de vie préjudiciable ont pour effet de conférer un rôle “normalisateur” à l’avortement [55], rejoignant ainsi des conceptions doctrinales de sinistre mémoire auxquelles faisait allusion Mme V. PECRESSE en mentionnant “les vies qui ne valent pas la peine d’être vécues[56], donc dépourvues de qualité.

Lui faisant écho, M. G. MEMETEAU s’inquiète des “tendances éliminatrices” de notre jurisprudence qu’il qualifie de “lacédémonienne” [57]

Qu’on le veuille ou non, le préjudice de non-avortement n’est pas neutre. Il relève d’une logique d’élimination des “anormaux” qui heurte la conscience juridique.

On comprend pourquoi certaines juridictions ou législations étrangères s’opposent au principe même de l’action en wrongful life. Des éléments d’information que nous avons pu recueillir, il ressort que, dans la quasi-totalité, les décisions de la justice américaine ont rejeté les revendications formées au nom de l’enfant, les juges refusant que l’on puisse se plaindre d’être né ou toute comparaison entre la vie même diminuée et l’inexistence, les incohérences de l’action étant également fustigées[58]. Plusieurs Etats des Etats-Unis prohibent l’action de l’enfant.

La jurisprudence québécoise témoigne, elle aussi, de cette réserve : “Il est impossible, a estimé la cour d’appel, de comparer la situation de l’enfant après la naissance avec la situation dans laquelle il se serait trouvé s’il n’était pas né; le seul énoncé du problème montre l’illogisme qui l’habite[59].

Dans un arrêt MC KAY de 1977, la cour d’appel d’Angleterre a jugé que le procès pour “vie non désirée” est contraire à l’ordre public et constitue une violation de la règle de la primauté de la vie humaine. Ce type de procès est d’ailleurs interdit par une loi, le Congenital Disabilities (Civil Liability) Act. de 1976.

Statuant sur la responsabilité contractuelle du corps médical dans le domaine du diagnostic prénatal et anteconceptionnel, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a jugé, le 12 novembre 1997, qu’il y a lieu de distinguer entre l’existence humaine qui ne pouvant être considérée comme un préjudice est insusceptible d’un quelconque dédommagement et l’obligation d’entretien qui incombe aux parents de l’enfant handicapé.

Deux réflexions s’imposent, en conclusion.

La première concerne la légitimité de l’action de wrongful life. Le profit espéré d’une demande d’indemnisation formée au nom de l’enfant handicapé ne doit pas faire oublier qu’en termes de droits fondamentaux, admettre que sa naissance est un préjudice pour lui-même constitue une atteinte au respect de sa dignité. Dans la mesure où elle tend, à travers l’avortement dit thérapeutique mais aux effets eugéniques, à une différenciation des handicapés de naissance qui ne peut que “renforcer le phénomène social de rejet des sujets considérés comme anormaux”, [60] l’action pour vie préjudiciable est contraire au principe formulé par l’article 16 du Code civil qui implique l’égale dignité des êtres humains.[61] Il s’ensuit que l’intérêt à agir de l’enfant n’est pas légitime.

La seconde réflexion, en forme de constat, porte sur le fait que les règles de la responsabilité civile ne sont pas adaptées à l’aide que sont en droit d’attendre les parents d’enfants handicapés pour leur entretien et leur éducation qui constituent une lourde charge. Cette aide relève de la solidarité nationale [62] . C’est du droit social.[63] Des textes existent même si - on ne peut que le regretter - les moyens mis en oeuvre ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées.

C. D’après la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi principal, la cour d’appel d’Orléans n’aurait pas répondu aux conclusions des époux P... faisant valoir qu’au préjudice personnel de l’enfant correspondaient pour les parents de lourdes charges matérielles et financières, si bien que la cour “qui admet le droit à réparation des parents pour leur préjudice matériel et moral ne pouvait rejeter toute indemnisation sans se prononcer sur ces conclusions mettant en évidence un préjudice indemnisable”.

Mais la cour de renvoi n’était pas saisie de la question du préjudice des parents, ce que relève d’ailleurs l’arrêt (p. 10, 4ème §). Le grief est inopérant.

D. Le troisième moyen du pourvoi principal fait reproche à l’arrêt attaqué d’avoir, en méconnaissance de l’article 693 du nouveau code de procédure civile, mis à la charge des demandeurs la totalité des dépens en incluant ceux afférents à l’expertise ordonnée par la cour d’appel de Paris pour déterminer le préjudice de Mme P... bien que la cour d’appel d’Orléans n’ait pas statué sur ce point.

Il est exact que le dispositif de l’arrêt cassé qui comportait plusieurs chefs de décision avait précisé que le docteur X... et le laboratoire étaient condamnés “à tous les dépens y compris ceux d’expertise”. Or, ce chef du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Paris n’est pas concerné par l’arrêt de la première chambre civile du 26 mars 1996 qui ne l’a censuré “qu’en ce qu’il a dit que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec les fautes commises et en ce qu’il a condamné à restitution”. Il ne pouvait en être autrement puisque la condamnation aux dépens du médecin et du laboratoire était justifiée du fait qu’ils étaient déboutés de leur contestation du préjudice des parents, de sorte que les frais de l’expertise ordonnée pour évaluer celui de la mère devait rester à leur charge.

C’est donc, à tort, que la cour d’appel d’Orléans a condamné les époux P... aux entiers dépens d’appel, remettant ainsi en cause la décision sur les dépens de la cour d’appel de Paris passée en force de chose jugée. La cassation est donc encourue - non pas au visa de l’article 693 qui est erroné mais à celui de l’article 623 du même code - et paraît pouvoir être prononcée par voie de retranchement et sans renvoi.

E. Le troisième moyen du pourvoi incident qui vise l’article 1382 du code civil, soutient, sans davantage s’en expliquer, que la CPAM a subi un préjudice propre du fait des prestations servies à l’enfant.

Ce moyen qui ne laisse pas de surprendre n’a pas été soumis à la cour de renvoi, l’organisme demandeur ayant conclu à la condamnation in solidum du laboratoire, du médecin et de leurs assureurs au remboursement de ses prestations en nature. Nouveau et mélangé de fait, le moyen est irrecevable. Toutefois ne vaut-il pas mieux répondre au fond afin d’éviter qu’il soit repris ultérieurement ? Certes, en cas de rejet de la demande d’indemnisation de l’enfant handicapé, la CPAM ne pourra exercer le recours subrogatoire qui lui est ouvert par l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale au titre de la responsabilité civile de droit commun mais les diverses prestations versées au profit de Nicolas P... l’ont été en vertu de l’article L 313-2 du même code qui étend le bénéfice de l’assurance maladie aux enfants de l’assuré social. La CPAM qui n’a fait que se conformer à l’obligation mise à sa charge par la loi ne justifie, dès lors, d’aucun préjudice qui lui soit propre.

* * *


CONCLUSION

Si la question essentielle soulevée par les deux pourvois se situe à la frontière du droit et de l’éthique, cela ne signifie pas pour autant qu’elle se situe aux confins de la mission du juge. Elle permet de vérifier, une fois de plus, que l’office du juge est, dans le silence de la loi, d’adapter le droit aux moeurs ou, au besoin, de résister à l’évolution de celles-ci pour préserver les valeurs de la société qu’il estime devoir l’être. La tâche est ici d’importance car elle se rapporte à l’affirmation des nécessaires limites aux extraordinaires pouvoirs que, grâce à l’essor de la biologie et des techniques médicales de prévention ou de prédiction, nous sommes en voie d’acquérir sur nous-mêmes.

La décision que vous allez rendre aura valeur de principe et ne sera pas sans incidence sur l’évolution des interruptions thérapeutiques de grossesse et leurs tendances eugéniques ainsi que sur la notion de dignité de la personne humaine et, plus généralement, sur la conception de l’homme que le droit renvoie à la société.

Nous concluons en définitive :

1°) En ce qui concerne le pourvoi principal, au rejet des deux premiers moyens et à la cassation par voie de retranchement et sans renvoi sur le troisième moyen;

2°) En ce qui concerne le pourvoi incident, au rejet des trois moyens proposés et, partant, du pourvoi.


Notes

[1] Depuis le célèbre arrêt MERCIER (Cass .Civ. 20 mai 1936, D.1936, p. 88, note signée E.P., rapport JOSSERAND et conclusions MATTER) ; Cf. la note de D. THOUVENIN au D. 1997, Juris., p. 190.
[2] RTD Civ. 1996, p. 782.
[3] Conseil constitutionnel : décision n° 94-344-345 du 27 juillet 1994, Rec. p. 100, RFD Const.1994, p. 800, note FAVOREU, RD publ. 1994, p. 800, note F. LUCHAIRE, D1995, p. 237, note B. MATHIEU.
[4] Cf. B. EDELMANN, La dignité de la personne humaine, un concept nouveau D 1997, Chr. p. 185 ; SAINT-JAMES, Réflexions sur la dignité de l’être humain en tant que concept juridique du droit français, D 1997, Chr. p. 61.
[5] C.E. Ass. 2 juillet 1982, Delle R., Rec. p. 260 ; RD San. et soc. 1983, p. 95, concl. M. PINAULT ; Gaz. Pal. 1983, I 193, note F. MODERNE ; D 1984, Jur. p. 425, note J.B. d’ONORIO.
[6] J. WALINE, note à la RD publ. 1997, p. 1139 ; B. MATHIEU, note à la RFD adm. 1997, p. 382, pour qui l’affirmation selon laquelle la naissance n’est pas par elle-même constitutive d’un préjudice “s’appuie implicitement sur le principe de dignité”.
[7] Civ. 1ère, B. n° 213, D 1991, Jur., p. 566, note P. LE TOURNEAU ; JCP 1992, II, 21784, note J.F. BARBIERI.
[8]La situation particulière s’est trouvée dans une affaire jugée par le C.E. le 29 septembre 1989 relative à la naissance d’un enfant handicapé du fait d’une tentative d’avortement ayant échoué : le traumatisme causé au foetus a entraîné l’amputation d’un jambe après la naissance. Le C.E. a estimé équitable d’indemniser l’enfant, le lien de causalité entre l’acte médical et le préjudice étant indiscutable (Mme KARL, Rec. p. 176 ; GP 1990, 2, p. 421, concl. FORNACCIARI).
[9] TGI Montpellier, 15 décembre 1989, JCP 1990, II, 21556, note J.P. GRIDEL ; CA Paris 17 février 1989, D 1989, somm. p. 306, obs. PENNEAU ; CA Versailles, 8 juillet 1993, D 1995, somm. p. 98, obs. PENNEAU ; CA Paris 17 décembre 1993, Gaz. Pal 1994, I, p. 147.
[10] Civ. 1ère, B. n° 248 ; JCP 1992, II, 21947, note A. DORSNER-DOLIVET ; Gaz. Pal 1992, I, somm. p. 152, obs. F. CHABAS.
[11] Civ. I, B. n°s 115, 116.
[12] C.E., CHR de Nice c/ Epoux Q..., Rec. p. 44 ; RD publ. 1997, p. 1139, notes J.M. AUBY et J. WALINE ; RFD adm. 1997, p. 374, concl. V. PECRESSE, p. 382, note B. MATHIEU ; S. ALLOITEAU, LPA 28 mai 1997, p. 23. JCP 1997, II, 22828, note MOREAU.
[13]Cf. obs. P. JOURDAIN, RTD civ. 1996, p. 824 ; obs. J. HAUSER, RTD civ. 1996, p. 871 ; obs. P. MURAT, JCP 1996, I, 3946, §6 ; obs. G. VINEY, JCP 1996, I, 3985, § 19 ; F. CHABAS, Droit et patrimoine, juillet-août 1996, p. 80, G.P. 1997, Somm. C. Cass., p. 383 ; note Y. DAGORNE-LABBE, LPS 6 décembre 1996, p. 22 ; note J. ROCHE-DAHAN, D. 1997, jurispr., p. 35 ; N. GOMBAULT, La responsabilité de l’échographiste du fait de l’absence de dépistage de malformations du foetus, GP 1996, 2, p. 267 ; L. FINEL, La responsabilité des médecins en matière de diagnostic des anomalies foetales, R Dr. san. et soc. 1997, n° 2, p. 233 ; M.A. HERMITTE, Le contentieux de la naissance d’enfants handicapés, G.P. 24-25 octobre 1997, p. 75 ; A.M. LUCIANI, La notion du dommage à l’épreuve du handicap congénital, LPA 27 juin 1997, p. 17 ; M. DEGUERGUE, Les préjudices liés à la naissance, Responsabilité civile et assurances, n° spécial, mai 1998, p. 14.
[14] Cf. l’article de J. GUIGUE, Bulletin juridique de la santé publique, juillet 1999, n° 20, p. 11 où sont citées des décisions postérieures aux arrêts de la 1ère chambre civile du 26 mars 1996 et qui ont rejeté l’action de l’enfant.
[15] La seule question qui pouvait se poser était celle de savoir si l’analyse bio-médicale relève ou non de la faute prouvée. La jurisprudence se place parfois sur le terrain de l’obligation de résultat lorsqu’elle est dépourvue d’aléa compte tenu des données acquises de la science : si les centres de transfusion sanguine sont chargés d’une obligation de résultat c’est parce qu’ils ont la possibilité de contrôler la qualité du sang (Civ. I, 12 avril 1995, B. n° 179, 180, JCP 1995 22467, obs. JOURDAIN).
[16] Cf. G. MEMETEAU, Traité de la responsabilité médicale, Ed. Et. hospitalières n° 94.
[17] Cf. J.F. MATTEI, J.O. A.N., 8 avril 1994, p. 648.
[18] Cf. J. RUBELLIN-DEVICHI, Le droit et l’interruption de grossesse, LPA, 7 juin 1996, n° 69.
[19] La référence à la liberté dans la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 (n° DC 75-54) vise essentiellement la liberté appartenant à la femme de ne pas recourir à l’IVG et au médecin de ne pas y participer.
L’arrêt LAHACHE du Conseil d’Etat, 31 octobre 1980, Rec. p. 403, D.1981, p. 38, concl. GENEVOIS, ne fait que préciser que la décision d’avorter n’appartient qu’à la mère et paraît bien dépassé par rapport aux dispositions de la loi bioéthique du 29 juillet 1994 (art. L 152-2, L 152-4, L 152-5 du Code de la santé publique) qui donnent au couple la possibilité de recourir à la procréation en dehors du processus naturel.
Le ministre des affaires sociales déclarait naguère que l’avortement reste juridiquement un délit d’atteinte à la vie, sauf dans deux cas fondés sur l’état de nécessité (réponse J.O. A.N. 28 janvier 1985, p. 346).
[20] Cf. X. LABBEE, L’embryon in utero, Juriscl. Civ., article 16/16-12 fasc. 54.
[21] Cf. B.M. KNOPPERS, Conception artificielle et responsabilité médicale, Ed. Y. BLAIS, Québec, 1986, p. 201.
[22] CA Versailles, 8 juillet 1993, D.1995, IR 98.
[23] Le visa de l’article 1147 du Code civil peut surprendre car ce n’était évidemment pas l’enfant qui était créancier du médecin et du laboratoire. Une stipulation pour autrui aurait engagé le promettant à fournir des renseignements susceptibles de faire détruire, le cas échéant, le bénéficiaire (cf. F. CHABAS, Droit et patrimoine, juillet-août 1996, p. 81). Mais il est concevable qu’un tiers au contrat, l’enfant, puisse se plaindre de la faute du débiteur contractuel. Encore faut-il qu’il subisse un préjudice et que cette faute l’ait causé.
[24] Selon C. JONAS : “Le handicap s’il constitue un préjudice n’est en rapport qu’avec les gènes des parents ou l’environnement (toxiques, virus, bactéries...)”, L’enfant préjudice, Médecine et droit, 1997, n° 26.
[25] Cf. P. JOURDAIN, obs. précitées à la RTD Civ. 1996.
[26] Cf. J. HAUSER, RTD Civ. 2000, p. 80 ; S. HOCQUET -BERG, Obligation de moyen ou obligation de résultat? A propos de la responsabilité civile du médecin, thèse PARIS 1995.
[27] C.Cass.Civ.1, 7 juillet 1998, B. n° 239.
[28] Cf. J. PETIT, JCP 1997, I, 4072 n° 37 ; également les conclusions précitées de Mme V. PECRESSE qui après avoir hésité admet au nom du “comportement normal des hommes”, que s’ils avaient été correctement informés les époux Q…auraient sans aucun doute évité la naissance de l’enfant et que, de ce fait, la faute de l’hôpital était la cause directe de leur préjudice qui devait être intégralement réparé.
[29] Dans sa note précitée à la RFD adm. 1997 M. B. MATHIEU fait observer qu’une probabilité statistique ne saurait servir de “viatique éthique” et risque de favoriser des “dérives eugéniques dangereuses”.
[30] Par un arrêt du 10 juin 1998 (req. n° 186476), le CE a implicitement considéré qu’il n’y avait pas de lien nécessaire entre la détection de la trisomie 21 et le recours à l’IVG. Le groupe des conseillers pour l’éthique des biotechniques placés auprès de la Commission européenne a estimé que l’avortement ne peut être la conséquence automatique d’un test génétique défavorable (avis du 20 février 1996, cf. N. LENOIR et B. MATHIEU, Le droit international de la bioéthique, PUF 1998), ce qui implique que pour la mère le seul préjudice réparable ne peut être que celui de la perte de la possibilité de pratiquer une IVG.
[31] Concl. précitées à la RFD adm. 1997.
[32] Obs. précitées au JCP 199
[33] Note précitée au Dalloz 1997.
[34] Cf. P. JOURDAIN, obs. précitées.
[35] Cf. M.A. HERMITTE, article précité à la GP 1997.
[36] Cf. M.L. FORTUNE-CAVALIE, Responsabilité médicale et naissance d’enfant handicapé : vers “l’oeuf transparent”, Médecine et droit 1998, n° 33, p. 17 ; S. WELSCH, Responsabilité du médecin, Ed. Litec, n° 280.
[37] Il est parfaitement concevable qu’il y ait des victimes par ricochet alors que la victime directe n’a pas droit à réparation : c’est le cas chaque fois que la victime première est décédée ; ni elle ni sa succession ne peuvent se prévaloir des préjudices matériels et moraux inhérents à la mort.
[38]Cf. G. VINEY, obs. précitées au JCP 1996
[39] Dans sa note précitée, à la RFD adm. 1997, M. B. MATHIEU estime que le raisonnement analogue adopté par le Conseil d’Etat s’agissant du préjudice des parents fragilise sa position relativement au recours de l’enfant, les deux actions étant étroitement liées. L’auteur souligne que faire de la naissance de l’enfant la source du préjudice de ses parents est contraire à la dignité de celui-ci.
[40]La 1ère chambre civile aurait renoncé à la notion de perte de chance en la matière : cf. P. SARGOS, Rapport annuel 1996, p. 202.
[41] Cité par A. SERIAUX, Droit des obligations, PUF, 1992, n° 136
[42] Obs. JCP 1997, I, 4025, n° 5.
[43] Cf. le jugement précité du 15 décembre 1989, JCP 1990.
[44] CA de Bordeaux, 26 janvier 1995, JCP 1995, IV, 1568.
[45] Obs. précitées à la RTD civ. 1996
[46] L’expression wrongful life semble avoir été utilisée, pour la première fois, dans une affaire où un enfant illégitime avait demandé des dommages et intérêts à son père putatif : Zepeda v/ Zepeda, 1964. La cour de l’Illinois l’avait débouté de son action et cette décision a fait jurisprudence.
[47] Théoricien de l’eugénisme à la française, A. CARREL a écrit : “qu’aucun être humain n’a le droit de procréer des enfants destinés au malheur”, L’homme cet inconnu, PLON 1942.
[48] Cf. article précité GP 1997.
[49]Cf. J.Y. GOFFI, La notion de vie préjudiciable et l’eugénisme, in De l’eugénisme d’Etat à l’eugénisme privé, de Boeck Université
[50]Cf. J. HAUSER, obs. précitées à la RTD civ. 2000
[51] Ibidem.
[52] Cf. P. PEDROT, Diagnostic prénatal et responsabilité médicale, Mélanges COSNARD, 1990, p. 117. [53] Cf. le droit saisi par la biologie (sous la direction de C. LABRUSSE-RIOU), LDGJ, 1996, p. 40).
[54] Comme l’enfant ne peut s’exprimer c’est du “bonheur” ou du “malheur” d’autrui qu’il est question. “Il faut, a écrit le professeur J.F. MALHERBES, avoir la lucidité d’admettre que dan une telle situation, ce n’est pas, en vérité, de son bonheur que nous parlons mais du nôtre” (Revue Vaincre, n°9, printemps 2000).
[55] Cf. J. HAUSER, obs. précitées à la RTD civ. 2000. L’article 16-4 , alinéa 2 du Code civil dispose que “Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite.” L’utilisation normalisatrice de l’interruption volontaire de grossesse ne relève donc pas de la prohibition mais l’agrégation de micro-décisions peut produire des effets qui affectent des populations entières.
[56]Il s’agit d’une allusion au concept de “vie sans valeur vitale” issu du droit nazi.
[57] Cf. Traité de responsabilité médicale, mise à jour 1997, n° 126.
[58] Cf. B. M. KNOPPERS, ouvrage cité, 1986, p. 199 et suivantes ; Bonnie STEINBECK, Life before birth, Oxford University Press, 1992, p. 115 et suivantes ; J.R. MASON, Medicolegal aspects of reproduction and parenthood, Darmouth, 1998, p. 161 et suivantes. Seules deux décisions admettant l’action en wrongful life sont citées : CURLENDER, v. BIOSCIENCE LABORATORIES, cour d’appel de Californie, 1980 ; PARK V. CHESSIN, 1977, décision rendue par un tribunal new yorkais mais l’année suivante la cour d’appel de New York a statué au sens contraire (BECKER V. SCHWARTZ).
[59] CATAFORD c/ MOREAU, 1978.
[60] Comité consultatif national d’éthique, avis n° 37 du 11 juin 1993.
[61] La phrase liminaire du préambule de la Constitution de 1946 sur le fondement duquel le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle au principe de dignité, établit clairement un lien entre la dignité et l’absence de discrimination entre les êtres humains. Cf. B. MATHIEU, Génome humain et droits fondamentaux, Economica 2000, p. 27.
[62] Cf. J.P. GRIDEL, note précitée au D. 1990 ; A.M. LUCIANI art. précité, LPA 1997 ; J. HAUSER, obs. précitées à la RTD Civ. 1996. En indemnisant largement les époux Q…, le Conseil d’Etat a obéi à un souci d’équité mais on peut trouver inéquitable que les parents d’enfants handicapés en raison de leur patrimoine génétique ou d’une maladie contractée in utero bénéficient d’une prise en charge intégrale des dépenses occasionnées par le handicap en cas de diagnostic prénatal erroné alors qu’ils ne bénéficieront que des seules prestations sociales établies pour les personnes handicapées en dehors de ce contexte particulier.
[63] Cf. la loi n° 75-554 du 30 juin 1975 modifiée d’orientation en faveur des personnes handicapées.

Source en ligne: http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/99-13701concl.htm


POURVOI N° 9913701


Cour de cassation
Assemblée plénière
Arrêt du 17 novembre 2000

Rapport de M Pierre SARGOS
Conseiller à la Cour de cassation

I . SUR LES FAITS ET LA PROCÉDURE

1. 17 avril 1982 : M. X..., qui est le médecin de famille des époux P..., constate que la fille du couple, alors âgée de quatre ans, présente une éruption cutanée évoquant la rubéole.

2. 10 mai 1982 : le même praticien constate que Mme P..., alors âgée de 26 ans, présente à son tour une éruption identique à celle de sa fille, associée à une fébrilité et à des adénopathies, qui sont le signe de la rubéole .

Or si la rubéole, maladie infectieuse virale, est généralement sans conséquences graves chez l'enfant et chez l'adulte, il en est autrement lorsqu'elle atteint une femme enceinte non immunisée . Un ouvrage qui fait autorité en la matière, le "Dictionnaire des maladies infectieuses" de Didier Raoult ( Edition Elsevier , 1998) précise ainsi que "lorsque l'infection maternelle a lieu avant la 11° semaine d'aménorrhée, le risque d'infection foetale est très élevé (environ 90 %)". Et cette infection a pour le foetus des conséquences d'une exceptionnelle gravité, connues sous le nom de syndrome de Gregg, à savoir, des lésions auditives (surdité), oculaires (allant jusqu' à la cécité), cardiaques et mentales. Ce risque majeur de naissance d'une enfant aveugle, sourd-muet et mentalement atteint a d'ailleurs conduit le ministère français de la santé à imposer en 1978 le diagnostic sérologique de la rubéole lors de l'examen prénuptial des femmes de moins de cinquante ans.

Lorsque l'atteinte rubéolique a été constatée chez Mme P..., elle pensait être enceinte. Le docteur X..., conformément aux exigences des données acquises de la science en la matière, a prescrit un séro-diagnostic de la rubéole que sa patiente a fait réaliser par un laboratoire de biologie médicale (aux droits duquel est maintenant M. K... ).

3. 12 mai 1982 :Un premier prélèvement est fait. Il se révèle négatif .

4. 27 mai 1982 : Un second prélèvement est réalisé par le même laboratoire. Il se révèle positif avec une présence d'anticorps au taux de 1/160.

A cette même date la grossesse de Mme P... est confirmée.

5. Eu égard à ces résultats contradictoires des deux prélèvements le laboratoire a procédé - comme le prévoit la réglementation - à une analyse de contrôle d'un échantillon conservé du premier prélèvement du 12 mai.

Le résultat de cette analyse de contrôle - communiqué au docteur X...par Mme P...- fût présenté comme étant positif avec un taux d'anticorps de 1/160.

6. Or - et ce point ne fait l'objet d'aucune contestation - les conséquences du fait que les résultats des deux prélèvements soient ou non différents sont capitales:

* si le premier prélèvement du 12 mai était bien négatif et le second du 27 mai positif, il en résultait que Mme P... présentait une rubéole en cours avec le risque majeur d'atteinte du foetus.

** si, par contre, les deux prélèvements étaient positifs, il s'agissait de simples traces d'une rubéole ancienne insusceptible d'affecter l'enfant à naître.

7. 14 janvier 1983 : Mme P... met au monde un garçon, prénommé Nicolas, qui a présenté la quasi totalité des manifestations du syndrome de Gregg: troubles neurologiques graves, surdité bilatérale, rétinopathie (oeil droit ne voyant pas et glaucome ), et cardiopathie, impliquant en permanence l'assistance d'une tierce personne . Il n'est pas contesté que l'état de l'enfant est consécutif à la rubéole congénitale contractée pendant la vie intra-utérine.

8. Après avoir obtenu en référé le 13 septembre 1988 la désignation d'un expert, dont le rapport a été déposé le 17 juillet 1989, Mme P... et son mari ont assigné au fond le docteur X...et son assureur, la mutuelle d'assurance du corps sanitaire français (MACSF) ainsi que le laboratoire de biologie médicale, et son assureur, la mutuelle des pharmaciens (MDP).

9 . Par jugement du 13 janvier 1992 le tribunal de grande instance d 'Evry, se fondant sur divers éléments qu'il est inutile de discuter dés lors qu'ils ne sont plus en question devant la cour de cassation, a retenu que le docteur X...et le laboratoire avaient commis une faute en ce qui concerne l'analyse de contrôle du premier prélèvement du 12 mai 1982, qui était en réalité négative alors qu'elle avait été présentée comme positive.

Cette juridiction a donc déclaré le praticien et le laboratoire "responsables de l'état de santé de Nicolas P..." et les a condamnés in solidum avec leur assureur respectif à payer une provision de 500 000 francs à valoir sur son préjudice corporel et 1.851.128 F à la CPAM de l'Yonne au titre des prestations versées. Elle a sursis à statuer jusqu'au résultat d'une expertise en ce qui concerne le préjudice de Mme P...
10. Le docteur X... a interjeté appel de ce jugement en soutenant que le laboratoire était le seul responsable de l'erreur, tandis que ce dernier ne contestait pas sa faute, se bornant à critiquer le seul partage de responsabilité.

Par son arrêt du 17 décembre 1993 la cour d'appel de Paris (1ère chambre, section B) a retenu que le médecin avait commis une faute "dans l'exécution de son obligation contractuelle de moyens" et qu'il devait en réparer les conséquences dommageables pour Mme P... dès lors "qu'elle lui avait fait connaître sa volonté et celle de son mari d'interrompre la grossesse en cas de rubéole" . L'arrêt a donc confirmé le jugement "en ce qu'il a déclaré responsable in solidum le laboratoire de biologie médicale et le docteur X... , ainsi que leurs assureurs respectifs ... des conséquences dommageables causées par leurs fautes respectives" . Ce chef du dispositif de l'arrêt du 17 décembre 1993 est irrévocablement passé en force de chose jugée.

Mais la cour d'appel a réformé pour le surplus et dit "que le préjudice de l'enfant Nicolas P... n'est pas en relation de causalité avec les fautes commises" et que les sommes versées en exécution du jugement devraient être remboursées. Au soutien de ces chefs de sa décision la cour d'appel a énoncé en substance que:

- le fait pour l'enfant de devoir supporter les conséquences de la rubéole faute pour la mère d'avoir décidé une interruption de grossesse ne peut, à lui seul, constituer pour l'enfant un préjudice réparable.

- les séquelles dont est atteint Nicolas P... ont pour seule cause la rubéole que lui a transmise in utero sa mère .... cette infection au caractère irréversible est inhérente à la personne de l 'enfant et ne résulte pas des fautes commises ...

11 . Contre cet arrêt les époux P... ont formé un premier pourvoi en cassation. Leur premier moyen (repris par le pourvoi de la CPAM de l'Yonne) reprochait à la cour d'appel d'avoir ainsi exclu tout lien de causalité entre le préjudice de leur enfant et les fautes "alors que, dés lors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, alors que les parents avaient marqué leur volonté en cas de rubéole de recourir à un avortement, la faute de diagnostic du médecin et d'analyse du laboratoire avait faussement induit les parents dans la croyance que la mère était immunisée contre la rubéole, il en résultait qu'il existait un lien de causalité entre les fautes du médecin et du laboratoire et la perte d'une chance pour l'enfant d'éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par la même en début de grossesse , si bien que la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du code civil".

Par arrêt du 26 mars 1996 (civ I bull n°156 p 109) la première chambre civile a accueilli ce moyen et prononcé une cassation dans les termes suivants "Attendu qu'en statuant ainsi (cf les motifs résumés au n° 11), alors qu'il était constaté que les parents avaient marqué leur volonté, en cas de rubéole, de provoquer une interruption de grossesse et que les fautes commises les avaient faussement induits dans la croyance que la mère était immunisée, en sorte que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère, la cour d'appel a violé le textes susvisé "

La cassation prononcée est expressément limitée à la seule question du lien de causalité entre les fautes commises et le préjudice de l'enfant et au remboursement des provisions allouées par le TGI d'Evry.

12. Statuant comme cour de renvoi, la Cour d'Orléans, par arrêt du 5 février 1999 a, dans son dispositif "dit que l'enfant Nicolas P... ne subit pas de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises par le laboratoire de biologie médicale et le docteur X..." et ordonné le remboursement des sommes allouées par le TGI d'Evry. Il s'agit donc d'un arrêt de "rébellion" sur la motivation duquel on reviendra dans la seconde partie de ce rapport.

13 . Contre cet arrêt, signifié à partie le 22 février 1999, les époux P... ont formé un pourvoi en cassation le 14 avril 1999 par le ministère de M° Choucroy, qui a déposé un mémoire ampliatif le 15 juin 1999, signifié aux autres parties le 29 juin.

Le 29 septembre1999 la CPAM de l'Yonne a déposé un mémoire en défense et formé un pourvoi incident (M° Gatineau) en demandant une somme de 19 000 francs au titre de l'article 700 du NCPC. Le même jour M. X...et la MACSF ont déposé un mémoire en défense (M° Le Prado); il en a été de même de la mutuelle des pharmaciens et de M. K..., venant aux droits du laboratoire (SCP Piwnica et Molinié).


II. SUR LES MOYENS DES POURVOIS

4. Comme on l'a indiqué il y a contre l'arrêt attaqué deux pourvois : le pourvoi principal des époux P... et le pourvoi incident de la CPAM de l' Yonne.
Chacun de ces pourvois comporte trois moyens.

Mais seuls le deuxième moyen du pourvoi principal, en sa première branche, et le deuxième moyen du pourvoi incident, concernent la question du préjudice personnel de l'enfant handicapé lorsque son handicap a été contracté in utero ou, situation voisine, est inhérent à son patrimoine génétique. Il s'agit de ce que nous proposons d'appeler le handicap d'origine endogène.

Or c'est cette unique question qui a été l'objet de l'arrêt de "rébellion" de la cour d'Orléans et qui motive le renvoi devant l'Assemblée plénière.

Dés lors, dans le souci d'aller immédiatement à l'essentiel on abordera en premier lieu cette question, l 'examen des autres griefs étant renvoyé in fine.


II. 1 Sur la question du préjudice de l'enfant dont le handicap est d'origine endogène

15. Pour estimer ce préjudice non établi la cour d'appel d'Orléans, après avoir constaté, comme celle de Paris, que Mme P... avait "clairement manifesté la volonté, en cas d'atteinte rubéolique , de procéder à une interruption volontaire de grossesse" et que les fautes commises ne lui avaient pas permis d'y recourir, a énoncé que:

- ... dés lors que le dommage peut avoir une autre cause que la faute constatée, cette faute ne peut être censée constituer la condition sine qua non de la perte de chance (il s'agit de la perte de chance d'éviter les conséquences de la rubéole contractée par la mère en début de grossesse, mais on notera que la Cour de cassation dans on arrêt du 26 mars 1996 ne s'était pas fondée sur le concept de perte de chance pour prononcer une cassation);

- il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission à la mère de la rubéole; ils ne sont intervenus qu' après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait plus être évitée la conception de l'enfant;

- une thérapeutique quelconque pratiquée en début de grossesse n'aurait pu supprimer, voire limiter les effets de la rubéole sur le foetus;

- Nicolas,, qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre , ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère , ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir;

- que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant;

- que si un être humain est titulaire de droits dés sa conception , il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre ; qu'ainsi sa naissance ou la suppression de sa vie, ne peut pas être considérée comme une chance ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques;

- que dés lors , Nicolas P... représenté par son père, ne peut pas invoquer à l'encontre des praticiens , comme source de dommage, le fait d'être né parce que, à raison de leurs fautes conjuguées, ils n'ont pas donné à ses parents les éléments d'appréciations suffisants pour leur permettre d'interrompre le processus vital qui devait aboutir à la naissance.

16. A l'encontre de cette motivation la première branche du deuxième moyen du pourvoi principal objecte "qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la mère de l'enfant avait clairement exprimé sa volonté, en cas d'atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse et que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu'il s'ensuit que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère; qu'en écartant le lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère , l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du code civil".

Et le deuxième moyen du pourvoi incident de la CPAM de l'Yonne s'exprime ainsi : "Il résulte des propres énonciations des juges du fond que Madame P... avait manifesté la volonté de provoquer une interruption de grossesse en cas de rubéole; que les fautes conjuguées des praticiens ont induit la fausse certitude que Mme P... était immunisée contre la rubéole et qu'elle pouvait poursuivre sa grossesse sans aucun risque pour l'enfant; qu'en conséquences ses fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère; qu'en niant tout lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant , l'arrêt a violé l'article 1147 du code civil".

On voit donc que, sous quelques variantes de forme , les deux griefs sont identiques de sorte qu'ils doivent faire l'objet d'une discussion commune.

17. Cette discussion est d'une rare difficulté car, au delà de la problématique juridique du lien de causalité entre une faute et un dommage et des querelles théoriques, sinon scolastiques, le concernant, se pose la question ontologique de l'être humain et la question éthique de la dignité et du respect de la personne humaine. Le droit ne peut l'ignorer et la Cour de cassation, précurseur en la matière, ne l'ignore pas puisque, bien avant les lois bioéthiques de 1994, elle avait affirmé dans l'arrêt Teyssier (Req . 28 janvier 1942 , D.1942, recueil critique, jurisprudence, p 63 ), la valeur fondamentale du " respect de la personne humaine", fondement du devoir d'information du médecin.

18. C'est en effet, comme on le verra, essentiellement sur le principe du respect de la personne humaine que se focalisent les controverses sur le droit pour l'enfant de demander la réparation d'un handicap dont l'origine remonte à la vie intra- utérine et qui, pour être évité, suppose le recours à une interruption volontaire de grossesse. L'alternative est alors redoutable dans sa sécheresse: ne pas vivre, ou vivre avec un handicap majeur. Mais reconnaître un préjudice propre à l'enfant, n'est-ce pas implicitement admettre que la vie d'un handicapé ne vaut pas la vie "normale " puisqu'il faut l'indemniser et admettre aussi que la non vie est préférable à la vie handicapée? On verra par la suite que cette inquiétude a été exprimée sous des formes diverses tant en France qu'à l'étranger.

19. Mais une réflexion en profondeur doit partir du début. Or ce début se trouve manifestement, car tout en procède , dans la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse (II.1.1) ; puis nous aborderons la question de la responsabilité et du préjudice en matière d'I.V.G. (II.1.2 ), en insistant sur la problématique du lien de causalité (II.1.3), et, enfin, nous traiterons du principe du respect de la personne humaine au regard de la réparation du préjudice de l'enfant . (II.1.4) . Il va de soi que l'ensemble de l'étude sera en permanence éclairée non seulement par les décisions judiciaires, mais également par celles du juge constitutionnel et administratif, car en cette matière on ne saurait avoir un esprit de chapelle. Les hasards de l'histoire qui ont conduit aux répartitions de compétences que l'on connaît ne doivent pas empêcher les juges de tous les ordres de s'efforcer d'unifier leurs approches dans l'intérêt supérieur des personnes. Enfin, on évoquera aussi la façon dont des juridictions de pays étrangers ont abordé cette difficulté.

II.1.1. La législation sur l'interruption volontaire de grossesse

20. On ne reviendra pas bien entendu sur l'adoption difficile, et pour beaucoup déchirante, de cette loi qui a marqué une évolution majeure de nos moeurs et de nos concepts de la personne humaine. Pourtant les cicatrices ne sont pas encore totalement refermées, comme en témoigne, par exemple, le rapport du professeur Israël Nisand du 19 mars 1999 sur les difficultés d'application de l'interruption volontaire de grossesse (cf pour un résumé la RDSS de juillet/septembre 1999 p 499).

Cette loi, après avoir, dans son article premier, affirmé que "la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi", prévoit deux cas d'interruption volontaire de grossesse:

- a ) L'interruption volontaire de la grossesse pratiquée avant la fin de la dixième semaine ( art L 162-1 à L 162-11 du C.S.P.)

La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à son médecin l'interruption de sa grossesse (art L 161-1 ). Elle doit observer une certaine procédure consistant en une première consultation médicale (art L 162-3), puis une consultation d'ordre social (art L 162-4 ), enfin ,une semaine après la première consultation , elle doit confirmer par écrit sa demande d'I.V.G. (art L 162-5).

- b ) L'interruption volontaire de la grossesse pratiquée pour des motifs thérapeutiques ( art L162-12 et L 162-13 du C.S.P.)

Elle peut être pratiquée à toute époque si deux médecins attestent, après examen et discussion, que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
21.Il ressort de renseignements communiqués par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de l'emploi et de la solidarité que les IVG de la première catégorie représentent en écrasante majorité par rapport aux IVG de nature thérapeutique. Sur un nombre total d'I.V.G. qui, entre 1995 et 1998, oscille entre 193987 et 212103, le nombre d'I.V.G. décidées pour des raisons thérapeutiques est, respectivement, de de 2212 et 3026, soit 1,1 % et 1, 4 % .

Dans le cas de Mme P... sa demande d'I.V.G. aurait relevé de la première catégorie puisque, compte tenu des dates, si l'erreur n'avait pas été commise elle aurait été dans le délai de 10 semaines pour faire procéder à une interruption de sa grossesse. Cet élément n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune contestation devant les juges du fond qui tous ont reconnu que la possibilité d'une I.V.G. lui était ouverte. Et, à supposer même qu'elle ait dépassé ce délai de 10 semaines, elle aurait obtenu l'accord de deux médecins pour une I.V.G. thérapeutique compte tenu de l'exceptionnelle fréquence et gravité du risque (cf supra n° 2) et du fait qu'il n'existe aucun moyen curatif des conséquences de l'atteinte d'un foetus par la rubéole.

22 . Il nous parait utile d'ajouter quelques observations sur cette législation et les contestations dont elle a fait l'objet devant le juge constitutionnel et le juge administratif car les solutions données sont de nature à avoir une incidence sur les appréciations de l'Assemblée plénière dans le présent pourvoi .

Un certain nombre de parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel en faisant valoir que cette loi aurait été contraire à des engagements internationaux de la France et à des droits de l'homme .

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 15 janvier 1975 (décision n° DC 74-54, qui a fait l'objet de nombreux commentaires tels ceux de MM Bey, Eissen, Favoreu et Philip, Franck, Hamon, Rideau, Rivero, Robert (Jacques ) Roujou de Boubee, Ruzic, Schwartzengerg). S'agissant des traités , le Conseil s'est déclaré incompétent. S'agissant des droits de l'homme, il a écarté les griefs en énonçant, en substance, d'une part, que la liberté des personnes appelées à recourir ou à participer à une IVG était respectée, d'autre part, que cette loi n'admettait qu'il soit porté atteinte au principe du respect de tout humain dés le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu'en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu'elle définit.
On attirera en particulier l'attention sur le concept de liberté de la personne qui recourt à l 'I.V.G., c'est-à-dire la femme elle-même, comme le constatait par exemple M.Bey au J.C.P. 1975, II, 18030, tout en regrettant qu'il ne soit tenu compte ni de la collectivité, ni du père .

23 .Or ce père est intervenu à l'occasion d 'un important arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat, l'arrêt Lahache rendu aux conclusions particulièrement éclairantes de M. Genevois (CE 31 octobre 1980, rec p 403 ; D 1981 p 38 concl. Genevois ; J.C.P. 1982 II 19732 note f. Dekeuver-Desossez).

Un mari, dont l'épouse avait fait interrompre sa grossesse dans un hôpital public, soutenait que cet établissement de santé avait commis une faute car, selon lui, sa femme ne se trouvait pas dans une état de détresse légitimant le recours à une I.V.G. Le mari soutenait donc la thèse, défendue par certains, suivant laquelle il devait y avoir un contrôle de l'état de détresse invoqué par la mère. M Genevois, s'appuyant notamment sur une analyse rigoureuse des textes et des travaux préparatoires, a défendu fermement l'idée suivant laquelle "l'état de détresse mentionné dans la loi de 1975 est donc une notion purement subjective que la femme apprécie souverainement , sauf s'il s'agit d'une femme mineure non mariée . Les consultations organisées par la loi, qu'il s'agisse de celle d'un médecin exigée par l'article L 162-3 ou de celle d'un organisme à vocation sociale, qui est prévue par l'article L 162-4 , sont destinées à éclairer la femme sur la portée de son choix mais non à substituer sa décision à celle d'un tiers". Et dans son arrêt le Conseil d'Etat a clairement décidé qu'il n'appartenait qu'à la femme majeure "d'apprécier elle-même si sa situation justifie l'interruption de la grossesse".
En décider autrement aurait d'ailleurs vidé la loi d'une grande partie de sa portée et fait des consultations une véritable inquisition humiliante et traumatisante pour la femme. Celle-ci n'est même pas tenue de révéler les mobiles de sa décision de recourir à une I.V.G. au médecin ou au service social, et ces derniers n'ont aucun droit de l'interroger sur ces mobiles; ils ne peuvent que prendre acte de l'état de détresse discrétionnairement affirmé par la femme et lui donner les informations - concernant en particulier les risques de l'intervention et les aides dont elle peut bénéficier pendant sa grossesse et après la naissance de l'enfant si elle décide de le garder - énumérées par les articles L 162-3 et L 162-4. Mais la conscience des médecins est évidemment préservée puisqu'ils ont la liberté, elle aussi discrétionnaire, de refuser de pratiquer une I.V.G. (art L 162-8).

24 . Pourtant, malgré ces deux décisions qui situaient clairement l'I.V.G. sur le terrain de la seule responsabilité de la femme et sur son appréciation totalement libre et discrétionnaire d'y recourir (bien entendu dans les conditions légales) des controverses se sont poursuivies - et se poursuivent encore - sur le point de savoir s'il existait réellement "un droit à l'avortement" pouvant s'opposer à un "droit à la vie". Et au nom de ce dernier droit il a été soutenu qu'il était légitime de faire entrave à une I.V.G., ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté par son arrêt du 31 janvier 1996 (Crim. bull n° 57 p 147 ) en relevant que " l'état de nécessité, au sens de l 'article 122-7 du code pénal, ne saurait être invoqué pour justifier le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, dès lors que celle-ci est autorisée, sous certaines conditions, par la loi du 17 janvier 1975."

La chambre sociale de la Cour de cassation a même été saisie d'une affaire dans laquelle une assurée sociale demandait à l'URSSAF de lui rembourser une fraction des cotisations de sécurité sociale en faisant valoir qu'elle avait été affectée à des dépenses en relation avec l'interruption volontaire de grossesse. Le tribunal des affaires de sécurité sociale l'ayant déboutée de sa demande, elle a formé un pourvoi qui a été rejeté au motif que "l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant à toute personne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne confère pas le droit d'invoquer ses convictions pour s'opposer à l'affectation, quelle qu'elle soit , des cotisations sociales conformément à la législation en vigueur" (Cass. ch. Soc. 9 décembre 1993 Bull n° 309 p 210 ). Cette formule de la chambre sociale n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'observation de M Genevois qui, dans ses conclusions précitées, après avoir émis une réserve personnelle quant au fait que la reconnaissance de l'I.V.G. comporterait uniquement des aspects positifs, souligne qu'il ne se sentait pas "autorisé à faire prévaloir une éthique personnelle sur la volonté clairement manifesté par le parlement de la République". D'aucuns auraient gagné à s'inspirer de cette réflexion de dignité...

Plus récemment encore des associations ont contesté devant le Conseil d'Etat la légalité d'arrêtés relatifs, notamment, à la détection du risque de trisomie 21 foetale en soutenant que de tels examens portaient atteinte au droit à la vie de l'enfant. Par deux arrêts des 7 mai 1999 (Req 192902) et 10 juin 1999 (Req 186479), le Conseil d'Etat a rejeté des recours en relevant en particulier l'inopérance des griefs au regard de l'article 16-1 du code civil.

25. On citera enfin, toujours au regard de ces combats incessants contre la loi de 1975 au nom de l'affirmation d'un droit à la vie censé légitimer toutes les formes d'opposition, la chronique de Mme Jacqueline Rubellin-Devichi "Le droit et l'interruption de grossesse" parue au numéro 69 du 7 juin 1996 des "Petites affiches" où, après avoir fait notamment référence à des décisions de la Cour de justice des communautés européennes (4 /X/91 RDSS 1992 p 49 note Dubouis) et de la Cour européenne des droits de l'homme (29/X/92 R.D.S.S. 1993 p 37 note Dubouis), elle souligne que "la question de la légitimité de l'I.V.G. ne saurait se poser en termes de droits, droit de l'enfant à la vie, droit de la femme à l'avortement .... Il y a une liberté, celle de la femme dont il convient seulement de se demander si et dans quelle mesure cette liberté est limitée par le respect que les lois du 17 janvier 1975 et du 29 juillet 1994 (alinéa 1 de l'article 16 du code civil ) garantissent à tout être humain dés le commencement de la vie" ( on rappellera que l'article 16 du code civil dispose que " la loi assure le respect de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie".

On peut en définitive estimer que le recours à l 'interruption volontaire de grossesse, qu'il s'agisse, pendant les dix premières semaines, d'une I.V.G. sans autre condition que l'affirmation par la femme de son état de détresse, ou, après la dixième semaine, d'une I.V.G. soumise au contrôle médical de la mise en péril grave de sa santé ou d'une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection incurable d'une particulière gravité, s'analyse comme une modalité de la liberté inaliénable, discrétionnaire et strictement personnelle de la femme de décider ou non d'interrompre sa grossesse. Nul ne peut se substituer à elle dans ce choix, ni le lui imposer, ce qui signifie que relève d'une pure ineptie juridique l'opinion suivant laquelle un enfant né affecté d'une handicap pourrait mettre en cause la responsabilité de sa mère pour n'avoir pas eu recours à un avortement. Il ne peut être sérieusement soutenu en droit français que la logique de l'action en "wrongful life" conduirait à transformer la faculté d'avortement reconnue à la mère en obligation. Retenir une responsabilité reviendrait en effet à dire, en violation de la loi du 17 janvier 1975, qu'un avortement pourrait être imposé à la mère contre son gré. Ainsi, à supposer que dans la présente affaire Mme P... ait été exactement informée de son absence d'immunité contre le rubéole et du risque pour le foetus, et qu'elle ait néanmoins décidé de ne pas recourir à une I.V.G., son enfant n'aurait strictement aucun droit de rechercher la responsabilité de sa mère. Quant à la mise en cause de la responsabilité du père, elle est également impossible puisque tout repose sur la seule liberté discrétionnaire de la femme. Cette liberté est bien entendu encadrée par la loi, mais c'est là un trait commun à toutes les libertés. Et, s'agissant d'une liberté, dés lors qu'il y est porté atteinte, se pose la question de la responsabilité administrative, civile, ou pénale, de celui qui y porte atteinte.

II.1.2. La responsabilité et le préjudice en matière d'I.V.G.

On examinera successivement la jurisprudence avant les deux arrêts de la première chambre civile du 26 mars 1996 , puis ces deux arrêts et enfin l'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997.

a) bilan jurisprudentiel avant les deux arrêts de la première chambre civile du 26 mars 1996

26. Cette responsabilité a été très rapidement recherchée devant le juge administratif à l'occasion de l'arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat "Dell R..." du 2 juillet 1982 , rec p 266 aux conclusions de M .Michel Pinault publiées à la R.D.S.S. 1983, p 95, avec une note de F. Moderne à la G.P. du 14 avril 1983.

Les faits étaient simples : une jeune femme avait subi dans un hôpital public une I.V.G. de la première catégorie, c'est-à-dire pour motif non thérapeutique. Mais il s'est avéré que cette intervention n'avait pas réussi car la grossesse de Melle R... s'était poursuivie et elle avait mis au monde un enfant normalement constitué.
Elle a engagé une action devant le juge administratif en soutenant que l'échec de l'IVG , imputable selon elle à l'hôpital, lui avait causé un préjudice du fait de l'obligation où elle s'était trouvée de mener à terme une grossesse qu'elle avait souhaité interrompre et d'élever son enfant.

Le Conseil d'Etat n'a même pas examiné si la responsabilité de l'établissement de santé pouvait être engagée et sur quel terrain (faute? risque?). Il s'est situé d'emblée sur le terrain du préjudice . Il a jugé "que la naissance d'un enfant, même si elle survient après une intervention pratiquée sans succès, en vue de l'interruption de grossesse demandée dans les conditions requises aux articles L 162-1 à L162-6 du C.S.P. par une femme enceinte, n'est pas génératrice d'un préjudice de nature à ouvrir à la mère un droit à réparation par l'établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu, à moins qu'existent, en cas d'échec de celle-ci , des circonstances ou une situation particulière susceptibles d'être invoquées par l'intéressée". Le Conseil d'Etat est d'ailleurs allé plus loin que son commissaire du gouvernement puisque, si celui-ci soutenait fermement qu'à elle seule la naissance d'un enfant non désiré ne pouvait constituer un préjudice, il estimait que dans le cas d'espèce de Melle R... il existait une situation particulière (mère célibataire aux revenus très modestes) justifiant l'attribution de dommages intérêts. On s'est donc interrogé sur le sens de la formulation du Conseil d'Etat relative à des "circonstances ou situation particulière" permettant une indemnisation et d'aucuns ont pensé à la naissance d'un enfant handicapé.

27 .L'arrêt du Conseil d'Etat "Mme K..." du 27 septembre 1989 (rec. 176; G.P. 1990 .2.421 concl. M.Fornaciarri) est parfois présenté comme confirmant cette interprétation. Mais cette opinion est erronée. En effet, comme le constate l'arrêt lui-même, c'est l'intervention tendant à l'I.V.G. qui avait causé un traumatisme au foetus et était à l'origine de la malformation de l'enfant. On était donc sur le terrain classique du dommage subi par un enfant du fait même d'un acte médical (l'I.V.G. étant comme on le sait un acte médical) et non sur celui du dommage inhérent au seul échec de l'I.V.G. sans que le foetus ait été traumatisé par la tentative d' I.V.G. .

28 .La cour de cassation a pris pour la première fois position sur la question par l'arrêt de sa première chambre civile du 25 juin 1991 (bull n° 213 p 139. D 1991 Jur. P 566 note Philippe le Tourneau ). Les faits étaient pratiquement identiques à ceux de l'arrêt "Dell R..." du 2 juillet 1982 : échec d'une I.V.G. demandée par une jeune fille de 22 ans mère célibataire, et elle même orpheline de mère et née de père inconnu, et naissance d'un enfant normalement constitué. La jeune fille demande réparation. La cour de cassation a approuvé la cour d'appel de l'avoir déboutée car " l'existence de l'enfant qu'elle a conçue ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère une préjudice juridiquement réparable, même si la naissance est survenue après une intervention pratiquée sans succès en vue de l'interruption de la grossesse (...) qu'en l'absence d'un dommage particulier qui, ajouté aux charges normales de la maternité, aurait été de nature à permettre à la mère de réclamer une indemnité, la cour d'appel a légalement justifié sa décision" (la cour de cassation condamne cependant par un attendu un motif révoltant de la cour d'appel qui, pour rejeter l'action de la mère, s'était fondée sur la possibilité qu'elle avait d'abandonner son enfant à la naissance).

29. Il y avait donc convergence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation pour condamner par principe toute possibilité de réparation d'une naissance non désirée, en l'absence d'un dommage particulier s'ajoutant aux obligations afférentes à l'entretien et à l'éducation d'un enfant. Et cette convergence s'étendait même au plan international puisque des juridictions de plusieurs autres pays ont statué dans le même sens

Si on relie cette position jurisprudentielle des deux ordres à l'analyse de l'I.V.G. comme constituant une modalité de la liberté inaliénable et strictement personnelle de la femme d'avoir ou non un enfant (cf n°25), on aboutit à l'idée que celui qui porte atteinte à cette liberté n'encourt aucune responsabilité. Il faut qu'à cette atteinte, s'ajoute la naissance d'un enfant handicapé, ce qui a été confirmé un arrêt du 16 juillet 1991 (Civ. I bull n° 248 p 162) d'autant plus topique qu'il concerne, comme dans le présent pourvoi, une rubéole. Lors de l'examen médical prénuptial, un médecin avait omis de prescrire à la femme l'examen sérologique de la rubéole, pourtant obligatoire comme on l'a indiqué au n° 2 . Puis, lorsqu'elle fût enceinte, un autre médecin généraliste, malgré des symptômes de rubéole de la mère, s'abstint de prescrire un test de recherche, tandis qu'un gynécologue ne prescrivait pas un deuxième examen nonobstant les résultats d'un premier faisant état d'anticorps. Un enfant naquit atteint de graves séquelles contractées par le foetus in utero du fait de la rubéole de la mère.

La cour d'appel avait condamné le médecin qui n'avait pas prescrit la sérologie de la rubéole lors de l'examen prénuptial en estimant qu'il avait fait perdre à l'enfant la chance d'éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par sa mère en début de grossesse. Le pourvoi formé sur ce point a été rejeté, de façon tout à fait classique d'ailleurs car dés lors que la réalisation d'un examen médical était de nature à empêcher la réalisation d'un dommage, son absence génère un préjudice consistant dans la perte de chance d'éviter ledit dommage. Un arrêt n° 234 D de la première chambre civile du 3 février 1993 - pourvoi n°Y9112391 - avait ainsi retenu qu'un médecin, qui avait commis des fautes à l'occasion d'examens tendant à détecter une toxoplasmose, dont les conséquences sur le foetus pouvaient être soignée in utero avec une probabilité de succès évaluée à 97% , avait fait perdre à l'enfant la chance de naître indemne des conséquences de cette toxoplasmose.
Mais, s'agissant des deux autres médecins, la cour d'appel avait écarté leur responsabilité au motif qu' ils n'avaient aucun moyen de prévenir les malformations dues à une rubéole congénitale. Ce chef de l'arrêt a été cassé dés lors "qu'en ne procédant pas aux examens qui leur auraient permis d'informer les époux des risques que présentait l'état de grossesse de l'épouse, les médecins n'avaient pas rempli l'obligation de renseignement dont ils étaient tenus à l'égard de leur patiente et qui aurait permis à celle-ci de prendre une décision éclairée quant à la possibilité de recourir à une interruption de grossesse thérapeutique."

Cet arrêt admet donc nettement que la perte de la possibilité pour la mère de recourir à une I.V.G. est de nature à engager la responsabilité du médecin dés lors que l'enfant est né handicapé. Et là encore on rejoint la position de plusieurs juridictions étrangères admettant que la mère qui a été privée de la possibilité de recourir à une I.V.G. justifie d'un préjudice indemnisable lorsque l'enfant venu au monde se révèle handicapé. On citera ainsi un arrêt de la Cour de cassation fédérale d'Allemagne du 16 novembre 1993, ou encore les décisions de plusieurs juridictions des US A admettant l'action en " Wrongful birth", c'est -à-dire l'action engagée par les parents d'un enfant né avec des troubles physiques ou mentaux lorsqu'une faute du médecin les a privés de la possibilité d'exercer en toute connaissance de cause leur choix quant à la poursuite ou l'interruption d'une grossesse. Pour une étude comparative récente on renverra à celle publiée par le professeur Basil Markesinis, de l'université d'Oxford, dans l'ouvrage édité par Clarendon press à Oxford et paru en 1998 "The law of obligations" "Essays in celebration of John Fleming", sous le titre "Reading through a foreign judgment", pages 261 à 279), ou encore aux études du professeur Vernon Valentine Palmer, professeur à l'université de Tulane (U.S.A.).

b)Les deux arrêts du 26 mars 1996 (Civ. I bull 155 et 156)

30 . Le même jour la première chambre a rendu deux arrêts qui, pour la première fois, soulevaient la question de fautes ayant empêché une mère soit de recourir à une I.V.G., soit de s'abstenir de procréer, et des préjudices pouvant en découler pour l'enfant lui-même . Il s'agit de ce que la doctrine anglo-saxonne appelle l'action en "Wrongful life". On ne reviendra pas sur l'arrêt publié sous le numéro 156 puisque, comme on l'a vu , il s'agit de l'affaire P... elle-même .

Mais la première affaire, n° 155, mérite qu'on l'expose brièvement car elle soulève un problème voisin. Il s'agissait d'un conseil génétique favorable donné au porteur d'un anomalie héréditaire, ce conseil s'étant avéré erroné en ce sens que l'enfant né était porteur du handicap de son père. La cour d'appel, ayant estimé que ce conseil génétique procédait d'une faute, a condamné le médecin à réparer à la fois le préjudice personnel des parents et celui de l'enfant. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé, tant en ce qui concerne le préjudice des parents que celui de l'enfant. S'agissant de ce dernier l'attendu de rejet est ainsi rédigé : "Mais attendu que les juges du fond ont pu considérer que la faute commise par le praticien en donnant un conseil qui n'avertissait pas les époux Y..d'un risque de réapparition dans leur descendance des troubles dont M .Y était atteint était en relation directe avec la conception d'un enfant atteint d'une maladie héréditaire ; que dés lors leur décision condamnant M X.. à réparer les conséquences dommageables définitives des troubles de l'enfant est légalement justifié". La seule différence avec la présente affaire est que l'alternative n'est pas vie handicapée ou I.V.G., mais vie handicapée on non conception.

c) L'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997

31. Cet arrêt (rec. 44) a introduit une divergence entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat en ce qui concerne le préjudice de l'enfant.

Les faits, tels qu'il ressortent à la fois de l'arrêt et des conclusions du commissaire du gouvernement, Mme Valérie Pecresse, publiées à la fois au recueil et à la R.F.D.A. de 1997, p 374, suivie d'une note de M Mathieu, sont les suivants :

Une femme enceinte de 42 ans avait, compte tenu du risque à cet âge de mettre au monde un enfant affecté de trisomie 21 ("mongolisme"), subi dans un hôpital public un examen prénatal par amniocentèse, dont la fiabilité est de près de 100% lorsqu'il est réalisé dans les règles de l'art. Cet examen a pour but de permettre à la mère de décider d'une I.V.G. et certains médecins refusent d'y procéder, eu égard aux risques inhérents à l'amniocentèse qui peut provoquer un avortement spontané, lorsque la mère décide a priori qu'elle n'aura pas recours à une I.V.G. même en cas de test positif. En l'espèce le résultat de cet examen avait été présenté à la mère comme ne révélant pas d'anomalie chromosomique, mais l'enfant né par la suite était cependant affecté d'une trisomie 21.

La faute du centre hospitalier a été retenue et la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 21 novembre 1991 , l'avait condamné à réparer à la fois le préjudice des parents et celui de l'enfant.

La position de cette cour administrative d'appel était donc identique à celle que la cour de cassation a adopté par ses deux arrêts du 26 mars 1996, à savoir que le préjudice propre de l'enfant pouvait être indemnisé et pas seulement celui de la mère et du père .

32 .Le Conseil d'Etat a admis le préjudice des parents et, outre l'allocation d'une somme de 100 000 francs à chacun d'eux au titre de leur préjudice moral, des troubles dans leurs conditions d'existence et de certains éléments des préjudices matériels, il a condamné le centre hospitalier à leur verser pendant toute la durée de la vie de l'enfant une rente mensuelle de 5000 F au titre des charges particulières, notamment en matière de soins et d'éducation spécialisée qui découleront pour les parents de l'infirmité de leur enfant.

Par contre il a annulé l'arrêt en ce qui concerne le préjudice propre de l'enfant dans les termes suivants qu'il nous parait nécessaire de citer intégralement : "Considérant qu'en décidant qu'il existait un lien de causalité directe entre la faute commise par le Centre hospitalier régional de Nice à l' occasion de l'amniocentèse et le préjudice résultant pour le jeune Mathieu de la trisomie dont il est atteint, alors qu' il n'est pas établi par les pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'infirmité dont souffre l'enfant et qui est inhérente à son patrimoine génétique, aurait été consécutive à cette amniocentèse, la cour administrative d'appel de Lyon a entaché sa décision d'une erreur de droit".


II.1.3. La problématique du lien de causalité

33. Il ressort ainsi clairement du motif précité que le Conseil d'Etat s'est placé sur le terrain du lien de causalité entre la faute du centre hospitalier et la trisomie 21 affectant l'enfant. Par contre la cour de cassation retient un lien de causalité dans ses deux arrêts du 26 mars 1996 à propos de la rubéole et d'une affection génétique. La première discussion doit donc se faire sur ce terrain.

34.On connaît évidemment les diverses catégories élaborées par la doctrine sur le lien de causalité entre une faute et un préjudice :

- équivalence des conditions : tout fait, fût-il éloigné, sans lequel le dommage ne se serait pas produit est réputé causal.
- proximité des causes : seule la dernière cause est retenue, mais il y a des nuances de doctrine avec les concepts de causalité efficiente, directe, immédiate.
- causalité adéquate : seule la cause prépondérante, c'est-à-dire celle qui comporte la possibilité objective du dommage réalisé, est retenue.

La jurisprudence, aussi bien administrative que judiciaire civile, n'utilise pas cette terminologie, tout en se rattachant plutôt au concept de causalité adéquate, encore appelé dans la doctrine administrative théorie des "conséquences normales".

35. Mais on peut douter que le recours à l'une ou l'autre de ces théories soit pertinent. Si la matière n'était aussi douloureuse, on serait même tenté de reprendre la formule de Patrice Jourdain, qui, dans son commentaire à la RTD civ de 1996, p 623, des deux arrêts du 26 mars 1996, observe que la constatation suivant laquelle les séquelles subies par l'enfant ont pour cause la rubéole est une " lapalissade sans portée". De même , relever que la trisomie n'est pas imputable à l'erreur commise dans la réalisation de l'amniocentèse ou que le conseil génétique erroné n'est pas la cause de l'affection génétique, participe du constat d'une évidence biologique confinant au truisme. Le doyen Nerson a certes mis en lumière ce qu'il appelle un "mouvement de biologisation du droit" ("Les progrès scientifiques et l'évolution du droit familial" Etudes offertes à G.Ripert, T 1 Paris p 403 ; "L"influence de la biologie et de la médecine moderne sur le droit civil" , R.T.D. civ. 1970, p 661) . Pour autant il ne faut pas oublier ce qui est réellement en question dans ce type d'affaires et, au delà de la biologie, songer à ce qui relève de notre compétence, c'est-à-dire le droit.

36. Or ce qui est en question - et la encore Patrice Jourdain l'a exactement souligné aussi bien dans son commentaire précité que dans le Traité de droit civil, "les conditions de la responsabilité" rédigé avec Mme Geneviève Viney (L.G.D.J., édition de juin 1998, n° 249-3 ) - c'est de savoir si sans les fautes commises les dommages auraient pu être évités .On rejoint d'ailleurs là un adage ayant valeur de norme constante du droit de la responsabilité, à savoir que "qui peut et n'empesche pêche " (Antoine Loisel , "Institutes coutumières" , 1607). Dans le drame du sang contaminé, l'origine biologique du virus contaminant se trouvait chez les donneurs, pourtant il ne viendrait à l'idée de personne de soutenir que ceux qui pouvaient empêcher la distribution du sang vicié avaient bien une responsabilité dans la contamination des receveurs. Il faut dès lors centrer la réflexion sur la nature et le contenu des obligations pesant sur le médecin et le laboratoire dans le présent pourvoi.

37 . Depuis l'arrêt Mercier du 20 du 20 mai 1936 (D 1936, p 88 à 96, note Etienne Picard, rapport Josserand et conclusions Matter), la relation d'un médecin libéral avec son patient est analysée comme une relation contractuelle qui met à la charge du praticien l'obligation de donner des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Et, après cet arrêt majeur, plusieurs dizaines d'autres arrêts de la cour de cassation ont méthodiquement construit le contenu même de ce contrat médical, c' est-à-dire les obligations qu'il impose au médecin et la responsabilité en découlant en cas d'inexécution . L'arrêt Le Bail, rendu le 15 juin 1937 par la chambre des requêtes de la Cour de cassation ( G.P. , 1937, 2° sem . p 411) est d'ailleurs particulièrement éclairant puisque, après avoir repris les termes de l'arrêt Mercier, il précise que " la violation ou l'exécution défectueuse par le médecin de son obligation contractuelle est sanctionnée par une responsabilité de même nature".

Et, vis-à-vis des autres professionnels de la médecine - tels les cliniques ou les laboratoires - la relation est également contractuelle et repose sur l'exigence de soins ou de prestations consciencieux et attentifs (arrêt "clinique sainte Croix" rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 mars 1945 (D.1945 p 217).

L'originalité et la richesse du droit de la responsabilité contractuelle est justement dans cette particularité qu'elle a de constituer "le prolongement de l'obligation préexistante qui est issue du contrat", suivant l ' expression de Jean Luc Aubert, Yvonne Flour et Eric Savaux dans leur récent ouvrage (Armand Colin, juin1999) "Les Obligations" 3. " Le rapport d'obligation " n° 172.

Et le mythique "traité pratique de droit civil français" de Planiol et Ripert, tome VI, les obligations par Paul Esmein, édition de 1952 n° 376 et suivants exprimait déjà une idée du même ordre : la responsabilité contractuelle c'est le manquement à des obligations résultant du contrat , manquement qui peut être sanctionné soit sur un terrain purement objectif si l'obligation est de résultat - ou déterminée -, sauf force majeure, soit sur le terrain de la faute si l'obligation, comme en matière médicale, est de moyens.

Comme l'observe Jacques Ghestin dans son Traité de droit civil, "les obligations . Le Contrat Formation", L.G.D.J., 2° édition, n° 162 à 164, on rejoint l'idée chère à Hans Kelsen de cette essence du contrat qui est la participation même des assujettis à la règle qu'il crée, étant précisé que dans cette création de la norme contractuelle le juge peut intervenir soit par défaut (si la norme n'est pas assez définie dans la convention), soit par autorité (si certaines clauses du contrat sont illicites). Pour reprendre encore l'ouvrage précité sur "le rapport d'obligation" , "l'obligation contractuelle préalable est le fondement même d'une responsabilité contractuelle dont l'objet est, précisément, d'en assurer le respect" 38 . Il convient donc de rechercher dans la présente affaire qu'elle était l'obligation contractuelle du médecin et du laboratoire, qui, tous deux étaient contractuellement liés à Mme P... (cf n° 1 et 2 ).

Cette obligation contractuelle est simple à définir d'après la relation constante des faits des juges du fond : Le médecin et le laboratoire devaient donner à Mme P... grâce au séro-diagnostic de la rubéole, une information lui permettant d'exercer le choix qu'elle avait fait de recourir à une I.V.G. si elle présentait une rubéole en cours. Et l'exercice de ce choix, expression de sa liberté personnelle et discrétionnaire (cf supra n° 25 in fine), a été empêché par l'erreur commise. Le handicap de l'enfant apparu peu après sa naissance est donc bien la conséquence directe de la faute commise par le médecin et le laboratoire puisque sans cette faute il n'y aurait pas eu de handicap.

Il n' y aurait pas non plus eu de vie, mais cette conséquence - qui soulève évidemment de redoutables difficultés éthiques et juridiques que nous aborderons dans la dernière et plus importante partie de cette réflexion - est sans incidence sur l'appréciation du lien de causalité entre la faute commises par le médecin et le laboratoire en manquant à leur obligation contractuelle telle qu'elle vient d'être précisée - à savoir donner à Mme P... les éléments lui permettant, pour empêcher le handicap, de recourir à une I.V.G. - et le dommage apparu, c'est-à-dire le handicap de l'enfant.

39 . On ajoutera pour être complet - bien que ce point n'ait jamais été contesté - qu'il est indifférent que le contrat n'ait été formé qu'entre Mme P...et le laboratoire. Dès lors que l'inexécution fautive de l'obligation née de ce contrat a eu des conséquences sur l'enfant, il peut invoquer cette faute, envisagée comme un fait juridique, au soutien de son action en dommages intérêts. De très nombreux arrêts ont ainsi, dans l'hypothèse de fautes médicales commises à l'occasion d'un accouchement, admis la réparation tant du préjudice de la mère que de celui de l'enfant qu'elle a mis au monde (par exemple Civ. I 7 juillet 1998 bull n° 239 p 165 , 4° sommaire).

Il y a certes eu des hésitations sur le fondement de l'action d'un tiers au contrat qui subit un préjudice du fait de l'inexécution d'une obligation née de ce contrat. En matière de contrat de transport l'arrêt "capitaine d'artillerie Noblet" du 6 décembre 1932 (S1934 p 81 ) avait ainsi estimé que la personne transportée stipulait nécessairement en faveur de son conjointe et des ses enfants qui pouvaient ainsi se prévaloir du régime de l'obligation de sécurité de résultat. S'agissant de sang contaminé par le microbe de la syphilis un arrêt du 17 décembre 1954 (J.C.P. G 1955 II 8490 note Savatier) reposait aussi sur la notion de stipulation pour autrui. Plus récemment, en matière de produits sanguins contaminés par la V.I.H., la première chambre a interprété les articles 1147 et 1384 du code civil à la lumière de la directive du 25 juillet 1985 en décidant que "tout producteur est responsable des dommages causés par un défaut de son produit, tant à l 'égard des victimes immédiates que des victimes par ricochet , sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'elles ont la qualité de partie contractante ou de tiers" (Civ. I 28 avril 1998 ;bull n°158 p 104 et JCP 1999 II G 10088) .Il a aussi été fait appel dans le passé à la notion , difficile à comprendre et à cerner au point qu'elle relève d'une forme de sophisme, de violation d'une obligation envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel (par exemple Civ. I 9 octobre 1962,bull n° 405).

Mais - se reliant à un courant ancien parfaitement exprimé par Etienne Picard dans sa note déjà citée sous l'arrêt Mercier du 20 mai 1936 où il observait "qu'un même rapport de droit peut être générateur à la fois de responsabilité contractuelle et de responsabilité délictuelle", - la doctrine moderne, en particulier M. Jean-Luc Aubert, Mme Flour et M .Savaux dans leur ouvrage déjà cité sur " le rapport d'obligation", n° 183 souligne que le véritable fondement du droit pour un tiers d'obtenir la réparation du dommage que lui cause un manquement contractuel est celui de l'opposabilité du contrat : "Le tiers victime, qui invoque un manquement contractuel au soutien de sa demande d'indemnisation, ne prétend pas s'introduire dans le rapport d'obligation contractuel : il se borne à faire valoir le fait de son inexécution, comme tout tiers peut invoquer la situation de fait constituée par le contrat, qu'il soit ou non exécuté". Par un arrêt du 15 décembre 1998 ( Bull.Civ. I . n° 368 ), puis du 18 juillet 2000 (Bull .civ I n° 221 ), la première chambre a d'ailleurs très nettement affirmé, au visa des articles 1165 et 1382 du code civil que "les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve".

40 . Il nous semble donc possible de conclure que l'appréciation du droit qu'à un enfant de demander la réparation du préjudice consécutif à un handicap d'origine endogène ne peut se faire sur le terrain simpliste, sinon erroné, du lien de causalité envisagé biologiquement . A cet égard l'arrêt attaqué qui, pour écarter la reconnaissance d'un préjudice de l'enfant, insiste dans ses motifs (cf supra n° 15) sur le fait que la faute des praticiens est " étrangère " aux conséquences de la rubéole est donc contestable .C'est en réalité sur le terrain du principe fondamental du respect de la personne humaine que pourrait se trouver, le cas échéant, la justification d'un refus de réparer le préjudice de l 'enfant. Là est le véritable coeur de la difficulté .

II.1.4. Le principe du respect de la personne humaine

41. On a déjà évoqué (cf n°18) la redoutable question juridico-éthique qui se présente : la suppression du risque des conséquences de la rubéole implique nécessairement la suppression du foetus. Or le manquement fautif du médecin et du laboratoire à l'obligation née des contrats formés avec Mme P... (cf supra n° 38 ), a permis à l'enfant de venir au monde, mais avec le handicap que l'I.V.G. décidée par la mère devait empêcher. Est-il dès lors légitime, au regard du principe fondamental du respect de la personne humaine, que l'enfant puisse en quelque sorte faire abstraction de la vie à laquelle la faute commise lui a permis d'accéder pour réclamer la réparation de son handicap?

C'est en ces termes que, dés lors que l'on a écarté les erreurs afférentes à la causalité envisagée "biologiquement", nous parait se poser la plus grande difficulté de cette affaire.

42.Cette difficulté a d'ailleurs été perçue par la plupart des commentateurs des arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat. On commencera, d'abord, par les conclusions de Mme Valérie Pécresse, commissaire du gouvernement au Conseil d'Etat, prononcées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997, analysé au n° 31. Elle estime ainsi qu'" un enfant ne peut pas se plaindre d'être né tel qu'il a été conçu par ses parents, même s'il est atteint d'une maladie incurable ou d'un défaut génétique, dés lors que la science médicale n'offrait aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l'inverse serait juger qu'il existe des vies qui ne valent pas d'être vécues et imposer à la mère une sorte d'obligation de recourir, en cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse. Ce serait aller contre tous les principes qui fondent le droit en matière biomédicale". On rappellera toutefois que dans son arrêt le Conseil d'Etat ne fait strictement aucune allusion à cette dimension éthique puisqu'il se borne, pour écarter tout préjudice de l'enfant, à se fonder sur la seule absence de lien de causalité entre l'amniocentèse et l'infirmité de l'enfant (cf n° 32 in fine ).

43. Plusieurs auteurs émettent des réserves sur l'admission en son principe du préjudice de l'enfant. On ne reviendra pas sur celles qui se focalisent sur le lien de causalité envisagé "biologiquement", lequel, comme on l'a dit, n'est pas pertinent.
Sans prétendre être exhaustif - et on pense en particulier à des études plus générales comme celle de Laure Finel à la R.D.S.S. de 1997, p 223, "la responsabilité du médecin en matière de diagnostic des anomalies foetales" ou encore celle de Philippe Pédrot "diagnostic prénatal et responsabilité médicale" aux "mélanges Cosnard, 1990, p 117 - on évoquera plus particulièrement les auteurs qui ont plus spécialement commenté les arrêts de la cour de cassation et du Conseil d'Etat.
Stéphane Alloiteau (Les Petites Affiches 1997 n° 64) évoque le risque de dérives vers le "tout préjudice" de la jurisprudence de la Cour de cassation et craint que ne soit mis en place une "politique de sélection" aboutissant à l'eugénisme.

Marie Thérèse Calais-Aulois (D. 2000, n° 15) affirme dans un "point de vue" qu' avoir mis au monde un enfant dont on pouvait connaître le grave handicap n'est pas une faute civile car "ce n'est jamais un devoir de recourir à des méthodes anticonceptionnelles ou à l'avortement . S'il en était autrement, ce serait que notre société aurait vraiment franchi un pas décisif vers l'eugénisme officiel".
Maryse Deguergue ("Les préjudices liés à la naissance", R.C.A. mai 1998, numéro spécial p 14) se rallie aux objections de Mme Pécresse quant à l'appréciation péjorative de la vie si on indemnise le handicap de l'enfant et évoque un danger "à la fois d'ordre juridique et éthique".

Jean Hauser ( R.T.D. civ 1996 p 871) se demande si la Cour de cassation n'ouvre pas un nouveau droit subjectif particulièrement inquiétant, et, dans son commentaire sur l'arrêt de la cour d'Orléans objet du présent pourvoi ( R.T.D. civ 2000 p 80) soutient que l'enfant "n'est pas en position de victime ... mais en situation de personne handicapée et que ce n'est pas son dommage qui doit être pris en charge par les assureurs mais son existence qui doit l'être par la collectivité" . Il exprime aussi la crainte d'un " eugénisme de précaution par excès de précaution".

Carol Jonas (Médecine et droit, n° 26 de 1997 p 15) s'interroge sur une "dérive eugénique".

Gérard Mémeteau ("Traité de la responsabilité médicale", mise à jour décembre 1997 n° 126) craint aussi "les implications éliminatrices" de la jurisprudence de la Cour de cassation .

Pierre Murat (JCP 1996, doctrine, 3946), soutient que l'enfant "en gardant la vie n'a rien perdu et il est inadmissible de l 'autoriser, directement ou par le biais de son représentant, à se plaindre de la qualité de cette vie qu'il estime insuffisante. Juger du contraire revient à poser officiellement une pernicieuse hiérarchie entre des vies qui sont toutes uniques et non susceptibles d'être réduites à tel ou tel handicap" . Et il termine en affirmant que "sous couvert de l'intérêt collectif, on en arrive insensiblement à promouvoir insidieusement une politique eugénique" .

Janick Roche-Dahan souligne que la légitimité de l'intérêt sur lequel repose l'action de l'enfant pose problème et se demande si on peut admettre que la vie constitue dans certains cas un préjudice réparable (D 1997, jurisprudence, p 35).
Au plan international (cf en particulier la chronique de droit comparé citée au n° 29 de M. Markesinis, les études de Mme Palmer ou l'ouvrage de Mme Monique Ouellette "Droit et Science" publié par la faculté de droit de l'université de Montréal) des observations du même ordre sont formulées quant au choix impossible entre la vie et le néant.

44 . Que penser de ces critiques ?

Elle reposent sur un point incontestable, à savoir qu'il peut effectivement paraître éthiquement difficile d'admettre qu'une personne puisse se prévaloir contre une autre d'un fait, fut-il fautif, qui en définitive lui a permis d'accéder à la vie. Le principe du respect de la personne humaine est donc, d'une certaine façon, mis en cause si on accepte l'idée d'indemniser un handicap affectant cette vie "sauvée". Un préjudice lié de façon indivisible à l'existence même ne saurait alors être admis .

L'Assemblée plénière pourrait s'arrêter à cette position et rejeter le pourvoi sur le fondement d'une incompatibilité entre ledit principe et le droit de demander réparation à raison d'un fait qui a permis à l'enfant de venir au monde .

45 .Mais plusieurs objections viennent à l'esprit.

On a vu qu'était évoqué l'eugénisme qu'impliquerait l'acceptation de l'idée d'indemniser l'enfant de son handicap endogène. Pareil argument parait difficilement acceptable .

Il repose, d'abord, sur une certaine forme de démagogie, d'autant plus discutable qu'une telle appréciation est de nature à blesser des femmes en situation de détresse. L'eugénisme implique une dimension collective, nécessairement criminelle, alors que la loi du 17 janvier 1975 est pour la femme une loi de responsabilité et ce que l'on serait tenté d'appeler une "loi d'épouvantable solitude" - malgré le dispositif d'assistance qu'elle prévoit - qui la laisse en définitive désespérément seule face à un choix douloureux entre tous. Parler d'eugénisme relève davantage de l'insulte et du mépris de la liberté de la femme que d'un argument et traduit souvent le refus d'accepter le principe même de la liberté que leur reconnaît la loi .Ce refus n'apparaît-il pas, par exemple, dans un propos de Janick Roche Dahan qui, dans son article précité au Dalloz, écrit "...qu'il est pour le moins surprenant de voir des médecins engager leur responsabilité pour n'avoir pas permis à une femme de réaliser un acte qui reste à la limite de la légalité" ? Nous avons évoqué au n° 28 ce motif révoltant d'une cour d'appel qui, pour écarter le préjudice invoqué par une mère à la suite de l'échec d'une I.V.G., s'était fondée sur la possibilité qu'elle avait d'abandonner son enfant à la naissance. Oser laisser entendre à propos du drame douloureux entre tous qui a frappé Mme P... que son attitude participerait d'un processus d'eugénisme est au moins aussi révoltant.

Il ignore, ensuite, le dispositif même de la loi qui n'impose jamais le recours à une I.V.G. - et s'il en était ainsi il faudrait effectivement parler d'eugénisme et le combattre - mais le laisse à la seule conscience et liberté de la femme pendant les dix premières semaines et le soumet après ce délai au contrôle de deux médecins, ce qui est de nature a écarter des I.V.G. pour des anomalies mineures affectant le foetus. Et le faible nombre d' I.V.G. pratiquées chaque années pour motifs thérapeutique (cf n° 21) démontre qu'il n'y a pas de dérive et que la perspective, évoquée par certains, d'une élimination systématique des foetus pour des malformations mineures ou curables relève d'une supposition purement gratuite ou d'autres mobiles ... Pourquoi, par une sorte de présupposé pessimiste sur l' être humain, ne pas faire confiance à la liberté associée à la conscience qui sont les bases de la loi du 17 janvier 1975?

Enfin, dire qu'en acceptant d'indemniser l'enfant de son préjudice la Cour de cassation encouragerait l'eugénisme ressort de l'imprécation - pour rester courtois - et non de la discussion. Il existe une loi républicaine, celle du 17 janvier 1975, que tous les habitants de notre pays doivent respecter. Or cette loi donne à la femme la liberté de recourir à une I.V.G. non seulement sans avoir à donner de motifs, sinon sa situation de détresse, pendant les dix premières semaines, mais même ensuite, avec accord médical, lorsqu'il existe une forte probabilité de naissance d'un enfant atteint d'un affection d'une particulière gravité et incurable. Il existe aussi un principe de base de tout le droit de la responsabilité que toutes les juridictions de la République doivent respecter, à savoir celui de réparer le préjudice causé à autrui par une faute. Or, comme le souligne, par exemple, Yannick Dagorne-Labbé au n° 147 des "Petites Affiches" de 1996, considérer le handicap supporté par l'enfant comme inhérent à sa personne pour en déduire une non réparation n'est-ce pas nier l'atteinte au potentiel humain qui résulte du handicap et nier par là-même son préjudice ? et Patrice Jourdain va dans le même sens dans ses commentaires déjà cités.

46 . On peut aussi observer que le refus d'admettre le préjudice de l'enfant tout en admettant celui des parents recèle une irréductible, sinon incohérente, contradiction interne sur laquelle plusieurs auteurs ont mis l'accent .Cette incohérence tient au fait que le préjudice des parents est, en dernière analyse, fondé exactement sur la même faute que celle invoquée par l'enfant. En indemnisant les parents, on accepte nécessairement l'idée de faire abstraction de la vie qui, sans la faute commise, n'aurait pas existé . On retombe alors sur l'objection évoquée au n° 44.

Bertrand Mahieu (RFD adm 1997 ,p 388) évoque d'ailleurs, à propos de la décision du Conseil d'Etat n'acceptant de réparer que le préjudice des parents "la fragilité de la position du juge administratif alors que les prémices du raisonnement sont les mêmes pour les deux juridictions".

Stéphane Alloiteau (Petites Affiches n° 64 de 1997) ne peut aussi, selon sa propre expression, "s'empêcher de critiquer" la position mitigée du Conseil d'Etat qui en accordant une somme mensuelle de 5000 F aux parents pendant toute la durée de vie de leur enfant attribue en réalité cette indemnité à ce dernier de manière détournée.

Marie Laure Fortuné-Cavalié (Médecine et Droit, n° 33 de 1998) se demande "comment expliquer que la naissance d'un enfant handicapé constitue un préjudice pour les parents et pas pour l'enfant lui-même".

Sylvie Welsch ("responsabilité du médecin" n° 280, édition Litec, mars 2000 ) constate aussi "qu'il est difficilement concevable en droit d'admettre un préjudice par ricochet des parents s'il n'y a pas de dommage immédiat pour l'enfant".

47.Si on se réfère à ce qui reste encore aujourd'hui un ouvrage de référence en matière de droit de la responsabilité médicale, c'est-à-dire le "Traité de droit médical" de R.Savatier , J.-M. Auby, J. Savatier et H.Péquignot, édition de 1956, on peut relever au n° 317, p 299, l'observation suivant laquelle le médecin qu'un malade incrimine d'une faute dommageable à sa santé ne peut compenser ce dommage par les bienfaits du traitement. Et les auteurs poursuivent : "Le médecin qui a sauvé le malade, tout en le laissant infirme par sa faute, ne saurait refuser d'indemniser le patient, sous prétexte qu'en le préservant de la mort il l'a gratifié d'un bienfait très supérieur au dommage dû à sa faute. Ce n'est pas, en effet, parce qu'il a satisfait pour partie au contrat médical qu'il peut se dispenser de réparer le dommage causé par la violation partielle de ce contrat"
Ce raisonnement n'est-il pas totalement transposable au cas présent ? et ne pas le suivre ne revient-il pas à affirmer que la vie est a priori une cause d'exonération de l'obligation fondamentale de réparer les conséquences de ses fautes ? (c'est seulement dans l'hypothèse particulière du risque grave inhérent à un acte médical qui s'est réalisé sans faute du médecin, mais sans qu'il ait informé le patient de ce risque pour recueillir son consentement éclairé, que la jurisprudence tient compte - mais uniquement pour apprécier la réalité du préjudice et non pour le nier en son principe - du dommage qu'aurait provoqué le refus de l'intervention, cf Civ. I 7 octobre 1998 bull n°287 p 199 à propos d'un cas où l'absence d'intervention entraînait un dommage plus important que celui causé par le risque réalisé).

48. Quant à l'argument suivant lequel admettre la réparation du préjudice de l'enfant c'est admettre qu'il existe des vies qui ne méritent pas la peine d'être vécues puisqu'on les indemnise, il procède davantage de l'image que de la raison. Où est le véritable respect de la personne humaine et de la vie : dans le refus abstrait de toute indemnisation, ou au contraire dans son admission qui permettra à l'enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine sans être abandonné aux aléas d'aides familiales, privées ou publiques ?

La position du Conseil d'Etat , qui alloue en réalité aux parents l'indemnisation due à l'enfant - outre sa contradiction interne déjà évoquée , cf n°45 - comporte d'ailleurs l'inconvénient d'un risque de dilapidation, en particulier si le couple se disloque ou abandonne l'enfant, ce qui est malheureusement assez fréquent . Et dans l'hypothèse où les parents meurent avant d'avoir pu agir, la solution "camouflée" de la réparation du préjudice de l'enfant à travers ses parents n'est même plus possible. Imagine-t-on l'enfant handicapé venir réclamer en sa qualité d'héritier de ses parents la réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de son handicap alors que lui, victime directe et immédiate, n'aurait personnellement droit à rien ?

49 .On doit enfin insister sur le fait que, contrairement à une allégation inexacte avancée par certains, ce n'est pas la naissance et la vie même de l'enfant qui constituent le préjudice dont il est demandé réparation. Le préjudice réparable est au contraire exclusivement celui qui résulte du handicap qui va faire peser sur l'enfant pendant toute son existence des souffrances, charges, contraintes, privations et coûts de toute nature. N'est-il pas dés lors pas plus cohérent en droit et en équité de lui allouer personnellement la réparation de ce préjudice plutôt que d'user du subterfuge d'une augmentation artificielle de l"indemnisation des parents ?

A cet égard, il est d'ailleurs possible de relever dans certains pays une évolution sur le terrain de l'action dite en "Wrongful life" (c'est à dire l'action engagée par ou pour l'enfant en réparation de son propre préjudice, l'action en "Wrongful birth" ne concernant que le préjudice de la mère et/ou du père ).

Certes, l'arrêt McKay v . Essex area health authority, rendu en 1982 par la juridiction suprême du Royaume Uni, prohibe une telle action, mais la situation de ce pays n'est pas significative car c'est une loi de 1976 - encore que sa portée soit contestée par certains - qui fait obstacle à l'action de l'enfant. De même ne sont pas significatives les décisions de cours et tribunaux d'Etats des U.S.A. qui ont une législation interdisant ce type d'action.

Mais, à notre connaissance, il n'y a pas de décision de juridictions suprêmes étrangères équivalentes à la Cour de cassation qui rejette ou accepte par principe une telle action en "wrongful life" . Par contre des décisions de cours de quelques Etats des U.S.A., certes minoritaires, admettent de réparer le préjudice de l'enfant consistant dans le coût, notamment médical, induit par son handicap. On évoquera ainsi l'arrêt de la Cour suprême du New Jersey (Procanik V .Cillo ), commenté par M. Markesinis dans son étude comparative susvisée (p 269) qui admet l'action de l'enfant handicapé pour le recouvrement des dépenses extraordinaires afférentes à son handicap. Il cite d'ailleurs un motif éclairant de cet arrêt : "We need not become preoccupied ...with... métaphysical considérations. Our decision to allow the recovery of extraordinaly médical expenses is not premised on the concept that non-life is preferable to an impaired life, but it is predicated on the needs of the living. We seek to respond to the call of the living for help in bearing burden of their affliction".

La Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne dans un arrêt du 12 novembre 1997, si elle pose comme principe que l'existence humaine ne peut être considérée comme un préjudice (point sur lequel il y d'ailleurs un consensus général que nous partageons), admet cependant que les coûts particuliers nécessités par l'alimentation de l'enfant handicapé donnaient droit à indemnisation.

50. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation se trouve en définitive devant le choix, soit du refus d'admettre, sur le fondement du principe du respect de la personne humaine, toute réparation du préjudice de l'enfant, soit - et d'une certaine façon ce serait au nom de ce même principe - de l'admettre, mais bien entendu pour les seuls dommages résultant de ce handicap.

Pour se déterminer elle devra aussi sans doute tenir compte d'un arrêt de la Chambre criminelle du 4 février 1998 (Bull n°43 p 109, note Isabelle Moine-Dupuis au JCP 1999, II , 10178). Un père avait violé sa fille et une enfant était née de ce crime. Devant la Cour d'assises, la mère s'était constituée partie civile à la fois en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure. La cour d'assises avait déclaré la constitution de partie civile de la mère es qualité irrecevable au motif que "l'enfant n'est pas la victime du crime de viol commis sur la personne de sa mère et qu'elle ne subit aucun préjudice découlant de cette infraction" . La chambre criminelle a cassé cette décision, au visa des articles 2 et 3 du code de procédure pénale dont il résulte que les proches de la victime d'une infraction sont recevables à rapporter la preuve d'un dommage dont ils ont personnellement souffert et qui découle des faits objet de la poursuite, en énonçant que la cour d'assises avait méconnu ces textes et ce principe en ne reconnaissant qu'à la seule personne ayant subi le viol le droit d'exercer l'action civile contre l'auteur des faits. Or le principe même de l'action civile de l'enfant née - d'ailleurs sans handicap physique apparent - du viol pouvait se heurter à l'objection déjà évoquée suivant laquelle sans ce crime elle ne serait pas venue à la vie, de même que sans la faute du médecin et du laboratoire dans l'affaire P..., l'enfant ne serait pas né.

Source en ligne: http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/99-13701rap.htm

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