Revitaliser nos communautés
Bien des Canadiens, aujourd'hui, sentent un vide dans leur société. Peut-être par manque de tolérance, ou tout simplement par une érosion générale de l'esprit civique, ces dernières années notre sens civique semble s'être émoussé. On est souvent plus familier avec les célébrités ou les personnages en vue de la télévision qu'avec ses voisins immédiats.
En conséquence, bien des personnes et des familles sont isolées - et l'isolement peut facilement mener à la vulnérabilité. Et pourtant, c'est une évidence, nous sommes tous plus en sécurité en vivant dans des communautés dont les membres sont en relation les uns avec les autres et sont ainsi en mesure de participer à la vie communautaire.
Comment créer un voisinage plus ouvert, où tous les citoyens peuvent apporter leur contribution à des communautés plus saines, plus vivantes? Cette importante question nous concerne tous, particulièrement ceux qui parmi nous sont considérés comme handicapés d'une façon ou d'une autre. De fait, il peut y avoir un lien étroit entre notre manière de voir les personnes handicapées et notre capacité de créer des communautés plus fortes.
Nous sommes un groupe de citoyens proches de ceux que l'on a classés comme handicapés, ou qui font partie de cette catégorie. Dans notre vie personnelle et professionnelle, nous constatons la solidité des familles, des quartiers et des communautés dans lesquels chaque membre est perçu comme apportant son aide et sa contribution. Nous sommes d'avis que les apports des exclus devraient être mieux accueillis et plus visibles.
Les efforts que nous faisons pour aider à établir des communautés mieux intégrées et plus ouvertes sont généreusement appuyés par la Fondation J.S. McConnell pour la famille. Notre première démarche consiste à amorcer un dialogue au niveau national au moyen d'un processus de consultation avec les dirigeants de diverses communautés.
Nous sommes très préoccupés par le rejet de toutes les personnes que la société a étiquetées comme handicapées, malades mentales, infirmes ou âgées. Nous avons pu voir les effets secondaires dévastateurs de cette «philosophie du handicap» qui repose sur l'idée que certaines personnes souffrent de détériorations qui limitent leurs capacités et empêchent leur participation à la communauté. Avec comme résultat que la contribution de la plupart de ces gens est considérée comme inappropriée, inutile ou tout simplement inexistante. Nous sommes profondément touchés par le fait que notre culture prive les gens de leur puissance et par conséquent fait obstacle à l'exercice de leur citoyenneté.
Nous croyons que nous avons une responsabilité commune: faire en sorte de mobiliser les capacités inexploitées de tous les citoyens; nous assurer que tous les membres de notre communauté puissent s'épanouir et contribuer à l'ensemble. Les handicapés, comme tous les autres citoyens, ont la responsabilité de fortifier nos communautés et la compétence pour le faire. Mais encore faut-il leur en donner la possibilité!
L'expérience prouve amplement que les personnes souffrant d'un handicap ont des talents tout à fait particuliers. Nous pensons qu'il est essentiel de reconnaître la valeur de ces talents et de s'assurer qu'ils puissent être partagés. C'est là une des clés pour revitaliser les communautés.
Mais comment édifier de telles communautés? Nous ne croyons pas que la réponse soit du ressort des gouvernements ou des professionnels formés à assurer des services déterminés, ni que notre discours doive porter sur des questions relatives à l'augmentation ou à la distribution égalitaire de programmes gouvernementaux. Nous croyons plutôt que la réponse réside dans des éléments essentiels qui sont le fondement même des communautés fortes, rassurantes et enrichissantes - le genre de communautés qui sont l'objet de nos désirs à tous.
Ces éléments sont les suivants:
1. Les relations
Le dicton: «Ce qui importe, ce n'est pas ce que vous connaissez, mais qui vous connaissez!» met l'accent sur cette vérité que nos relations fortifient notre identité. Une communauté revitalisée devrait s'appuyer sur cette vérité et permettre à chacun de ses membres de faire l'expérience de la vie familiale, de l'amitié, de l'amour et d'un réseau de relations dans sa vie. Un sentiment d'appartenance est essentiel à la vitalité d'une communauté.
Mais dans un monde qui fait du handicap un point de mire, les individus et les familles peuvent souffrir d'isolement et être écrasés par des responsabilités qui dépassent leurs forces. Ou bien, autre extrême, ils peuvent se trouver désorientés par l'envahissement des services professionnels.
Dans une communauté plus ouverte, les moins avantagés peuvent faire partie de réseaux plus étendus où leur identité comme participants est reconnue. Cette possibilité d'être «reconnus» comme participants dans la communauté leur permet de s'acquitter des responsabilités ordinaires et de partager celles qui ne le sont pas. Le fait d'être connus dans la communauté leur facilite les adaptations de la vie quotidienne.
Les exemples abondent de cercles d'appui, d'associations de défense, d'intégration dans les classes régulières, d'associations communautaires qui ont accueilli les gens étiquetés handicapés comme membres actifs. Nous avons souvent entendu des citoyens ordinaires mentionner comment leur vie personnelle a été enrichie par leur amitié avec une personne susceptible d'exclusion. Ils ont constaté à quel point s'était accrue et enrichie leur aptitude à s'intéresser au bien-être des autres, à résoudre des problèmes, et même à jouir de leur propre vie.
2. La Participation
Citoyenneté et participation vont de pair. Une communauté saine ne porte pas un jugement d'exclusion sur les gens qui apparaissent différents mais accueille volontiers la diversité. Les membres de cette communauté partagent leurs buts, leurs lieux de rencontre, comme les écoles, les bureaux et ateliers, les clubs et églises avec ceux qui risquent de souffrir d'isolement. En encourageant la participation, la communauté peut fournir aide et appui aux handicapés de façon à rendre plus fortes leur appartenance au groupe et les relations qu'ils développent avec d'autres personnes.
Il n'y a pas de doute que ceux que l'on a classés comme handicapés peuvent apporter des contributions majeures à la communauté. Et nous pouvons tous tirer profit des occasions qui nous sont offertes de côtoyer des citoyens souffrant d'un handicap. Telle femme très occupée s'impose de prendre le temps chaque semaine d'aller faire un repas avec une personne qui ne peut pas parler, et de l'aider à manger. Cette halte dans un programme chargé est pour elle un moment de renouvellement, et elle garde précieusement cette période à son ordre du jour, quelles que soient les contraintes de son travail
C'est souvent un manque de ressources qui freine la participation des individus à la vie de la communauté. Des familles et des individus sont parfois incapables de quitter leur logement pour participer à un événement dans leur voisinage, tout simplement parce qu'ils ne disposent pas d'une voie d'accès à la porte de la maison, d'un autobus ou d'un taxi équipés pour recevoir une chaise roulante ou encore d'un chien-guide. Ces équipements sont fondamentaux si nous souhaitons que les désavantagés participent à l'enrichissement de notre communauté.
3. L'exercice de la responsabilité
La revitalisation de la communauté repose sur le principe que tous les citoyens possèdent des talents à partager. Ces talents peuvent être de l'ingéniosité, de l'adresse, des intérêts, des biens, toute la gamme des richesses humaines qui peuvent contribuer à la vie du groupe. Ces contributions font partie des responsabilités essentielles de chacun dans la mise en oeuvre des communautés vivantes.
Par exemple, les cercles de soutien autour de ceux qu'on dit invalides comprennent souvent une douzaine ou plus d'individus. En même temps que ces personnes créent un milieu favorable aux handicapés, leur relation avec eux transforme de façon notable leur propre vie et celle de leurs proches. Les membres de ces cercles témoignent souvent de l'enrichissement personnel et de la gratification qu'ils ont trouvés dans la participation à ces groupes de soutien.
Une bonne partie de notre défi tient à ce que, souvent, ne sachant pas découvrir les talents propres à chaque handicapé, on ne les développe pas, ce qui rend le partage impossible. Parfois, on va jusqu'à les sous-estimer et les déprécier.
Il n'en reste pas moins que les différences qui limitent l'action de certains individus ne font pas d'eux des fardeaux inutiles dans la société. Au contraire, ceux-ci peuvent contribuer au bien de la communauté d'une façon originale et unique. Leur apport peut être extrêmement enrichissant dans notre désir d'une communauté plus vivante. C'est pourquoi il nous faut encourager et apprécier le travail de ceux qui, en découvrant les talents cachés des handicapés, les relient à la communauté.
4. Un chez-soi
Dans les communautés ainsi enrichies, tous trouveront un abri qui leur apparaîtra comme un foyer plein de chaleur. C'est dans un foyer qu'on trouve intimité, solitude, repos, et renouvellement de l'être. Le foyer, c'est aussi l'endroit où les personnes ont l'occasion de pratiquer l'hospitalité et de jouer le rôle si important de voisin.
Malheureusement, dans notre «philosophie du handicap» il n'y a pas de place pour un foyer chaleureux. Une fois qu'une personne est classée comme handicapée, elle n'a plus de chez-soi. Si une telle personne ou sa famille possède ou loue une maison, celle-ci devient le plus souvent envahie par divers dispensateurs de services. La vie du handicapé est soustraite à son initiative, ce qui détruit l'identité personnelle et ne laisse aucune place aux lois naturelles de l'hospitalité. La maison devient ainsi le lieu de travail de quelqu'un d'autre, celui où on met en pratique des «programmes» et des «services».
Aussitôt qu'on applique les mécanismes nés de notre conception des handicapés, la ségrégation s'ensuit. Beaucoup de handicapés peuvent vivre dans la même rue que les résidents ordinaires pendant des années sans jamais rencontrer leurs voisins, sans se servir des transports publics ou des lieux de récréation. Il n'existe aucun échange entre eux et leur communauté.
Les communautés revitalisées encourageront les mécanismes qui assurent à tous l'accès à la stabilité et à la gestion de leur habitat. Les fonds et les ressources des services de soutien seront versés à la personne dans le besoin, ou à sa famille, de façon à soutenir et non pas à faire disparaître ses responsabilités de propriétaire et de voisin. L'intimité, la sécurité de la personne et le droit à la possession d'un chez-soi en seront d'autant plus fermement établis et respectés.
5. Les choix
En faisant des choix, on découvre des talents, de nouvelles relations et une compréhension plus grande de l'exercice de la responsabilité. Notre contribution à la communauté se développe par l'exercice de la volonté libre dans l'acte de choisir. Ce choix est particulièrement fructueux lorsque les gens ont accès aux mêmes lieux et activités que leur communauté.
Nous rejetons l'idée que des personnes - experts ou professionnels - sont en droit de définir le sens de la vie pour les handicapés, faisant les choix les plus importants à leur place: là où il doivent vivre, avec qui, quelle sorte de travaux ils accompliront, s'ils en sont jugés capables, etc.
Dans une communauté revitalisée, chacun de nous doit prendre librement les décisions, mais dans un contexte social. Les besoins, les connaissances, les intérêts et préférences de ceux que nous aimons, la présence des vrais amis et de nos collègues influent sur nos décisions autant que nos propres désirs et engagements.
Nous croyons qu'il faut décourager l'institutionnalisation et la ségrégation. Il faut plutôt faire reconnaître notre conception de la communauté: à savoir un lieu où tous peuvent faire des choix libres dans le contexte de la famille et de l'amitié. Les choix et les décisions des individus devraient donc être soutenus par la création d'un accès plus facile à tous les lieux d'action de la communauté, à toutes ses possibilités..
6. Les Ressources
Beaucoup d'individus classés comme handicapés ont besoin d'appui professionnel ou personnel. Une grande partie des fonds provenant principalement du gouvernement et destinée au support professionnel est facilement disponible. Cependant, la majeure partie de l'argent, des équipements et de l'expertise compétences destinés d'abord au soutien des handicapés sont dirigés vers les services professionnels. Ces services s'appliquent de telle sorte qu'ils entretiennent la passivité et la dépendance des handicapés plutôt que de faire appel à leurs capacités.
Afin d'encourager les choix personnels et la participation dans la communauté, il faut que l'argent destiné en général aux institutions soit canalisé vers les familles et les individus. Dans plusieurs provinces canadiennes, des projets encourageants naissent qui démontrent tous les jours les chances de succès d'un programme de subventions aux individus.
On pourrait aussi destiner d'autres fonds aux communautés de telle sorte qu'elles puissent accroître leur capacité d'accueil. À titre d'exemple, une communauté a récemment trouvé les ressources financières nécessaires à l'emploi d'un communicateur faisant le pont entre différentes catégories de gens. Cet agent sert de lien entre les handicapés et les gens de la place lesquels, à leur tour, les mettent en contact avec les centres d'intérêt locaux, comme les églises du voisinage.
Questions
Voilà donc les pierres angulaires pour revitaliser les communautés - des communautés formées de familles et de voisins accueillant la diversité et qui, l'appréciant, leur accordent leur appui.
* Sommes-nous sur la bonne voie, en désirant édifier de telles communautés?
* Quels sont les aspects de ce document de travail que vous voudriez changer? Mettriez-vous l'accent ailleurs?
* Quelles sortes de dialogues ou d'actions conviendraient le mieux à la tâche de passer du stade initial de la conception à celui de la réalisation de communautés stimulant la capacité d'agir de tous les citoyens?
* Quelles mesures devrait-on prendre pour appuyer les communautés qui mettent l'accent sur la capacité et la contribution de tous les citoyens?
* Quel rôle, s'il leur en revient un, les gouvernements devraient-ils jouer?
* Vers quels secteurs de la société nous tourner pour trouver des leaders?
* Quelles personnes recommanderiez-vous comme participants à ce dialogue?