Que faire avec la Gaspésie?

André Joyal
Il s'agit d'un article paru dans Le Devoir, en juin 2000.
«"Sont fous ces Gaspésiens!" Que pourrait dire d'autre Obélix en sachant que les Patriotes de la Gaspésie, forts de leurs quelque 10 000 signatures, réclament dix milliard$ en réparation auprès des gouvernements provincial et fédéral. Et le 19 avril dernier, des élus de la MRC de Rocher-Percé ont bloqué une route pour obliger le gouvernement à trouver des projets pour la région. Les uns et les autres auront-ils l'appui des participants du colloque consacré à la Gaspésie et aux Iles-de-la-Madeleine les 15 et 16 mai prochains à l'occasion du congrès de l'ACFAS à l'Université de Montréal? Ou au contraire, y trouvera-t-on un point de vue aussi courageux qu'innovateur que celui adopté par ces jeunes Gaspésiens dans ses pages (édition du 13 avril) sous le titre: Gaspésie: sortir de la torpeur. Ces derniers invitent les Gaspésiens à prendre conscience qu'un système mono-industriel dirigé de l'extérieur nuit au développement durable. D'où, selon eux, la nécessité de tourner la page et réinventer l'économie de la
région en misant précisément sur les technologies de l'information pouvant ainsi contribuer à favoriser l'interrelation avec les nouveaux champs de force de Montréal.

C'est vrai, que la Gaspésie est en mal d'une vision nouvelle. Les indicateurs socio-économiques sont plus alarmants que ceux qui avaient justifié, il y a 38 ans, l'adoption de l'acte pour l'aménagement régional et le développement agricole (ARDA). Par cette entente, pour la première fois, les gouvernements provinciaux, conjointement avec le gouvernement fédéral, agissaient de concert pour, autant que faire se peut, chercher à réduire les disparités régionales. Ce fut le début des interventions venant d'en haut (top-down development). On connaît trop bien le faible degré de succès des multiples interventions qui ont suivi. Entre le vain et fol espoir d'une manne gouvernementale prenant la forme de «projets structurants» (nouvelles papetières ou autres alumineries subventionnées aux as) et l'incitation à l'exode, comme au siècle dernier vers les industries de la Nouvelle-Angleterre, il existe sûrement une option plus favorable. Qu'elle est-elle?

«Venez-dire à nos gens ce qu'est le développement local. Venez motiver nos élus et nos leaders». Voilà ce que me disait en 1993 un jeune agent d'une corporation de développement aujourd'hui transformée en Centre local de développement pour la MRC de Pabok. C'est là où se trouve Chandler, cette ville de 3000 habitants fortement éprouvée par la fermeture de son principal employeur la Gaspesia. Cette papetière, à l'époque, menaçait déjà de mettre à pied deux cents travailleurs, soit le tiers de ses effectifs. En collaboration avec la Société d'aide au développement des collectivités, et le Groupe de soutien aux initiatives jeunesse, la Corporation de développement cherchait une alternative à la dépendance envers un gros employeur toujours susceptible de fermer ses portes suivant les aléas de la conjoncture économique. Pendant toute une fin de semaine, environ 60 personnes, faisant partie des forces vives du milieu, ont réfléchi sur les différentes formes que pourraient prendre le développement économique en misant, comme le dit si bien l'adage, sur leurs propres forces. Jamais il ne fut question de réclamer des projets structurants issus d'initiatives extérieures à la région comme, hélas, on l'exige encore aujourd'hui à cor et à cri. Sur la base de faits vécus ailleurs, dans des circonstances comparables, il était alors apparu que le développement par et pour la communauté ne semblait pas un slogan vide de sens. Hélas, comme on le constate, très peu de progrès ont été faits en ce sens. Et l'on tente encore trop de voir la Gaspésie comme on l'a toujours vue: une région-ressource. Or, ces fameuses ressources existent-elles bien encore et surtout on a -t-on toujours besoin?


La reconversion: une alternative à la Gaspesia

On nous a enseigné et certains l'enseignent encore, les régions périphériques sont autant de régions pourvoyeuses de ressources pour les grands centres, c'est-à-dire, en occurrence Montréal. Or, ni le télémédia, ni l'industrie pharmaceutique, ni l'aérospatiale, ni les services-conseils et autres secteurs dont le dynamisme fournit depuis quelques années les nouveaux emplois par centaines de milliers n'ont que faire des ressources de la Gaspésie. La nouvelle économie consomme peu de matières premières. Son principal facteur de production c'est la matière grise et non pas la matière ligneuse ou minérale.

C'est manifestement ce qu'ont compris certains acteurs de la région voisine, soit celle du Bas-du-fleuve-Saint-Laurent. J'en veux pour preuve le Fonds régional du BSL avec ses quelque 3 M$ d'investissements prévus avant la fin de l'année 1999. Les priorités de ce fonds vont aux entreprises à potentiel d'exportation, à la diversification de l'industrie régionale ainsi qu'aux entreprises ayant un impact significatif sur le développement en région de nouveaux secteurs économiques (industrie de pointe et du savoir). Et si une image vaut mille mots, il va de même avec un exemple concret: Les Boiseries du St-Laurent. Cette entreprise de Métis-sur-Mer, qui donne emploi à 20 personnes, présente toutes les caractéristiques d'une PME innovante par ses nouveaux produits et ses méthodes de fabrication. Ces deux exemples de comportement et de vision montrent bien que certains acteurs se démarquent de l'image traditionnelle de la PME rurale. Étant situé à la porte de la Gaspésie, de tels cas devraient servir d'inspiration tout comme ceux mis en évidence par la deuxième Université rurale québéoise de Trois-Pistoles, tenue en octobre dernier, en offrant la possibilité de rencontrer des entrepreneurs de PME innovantes.
En étant à forte valeur ajoutée et faisant appel aux nouvelles technologies, de plus en plus de PME oeuvrent, plus souvent qu'autrement, dans des secteurs qui n'ont rien à voir avec les trop fameuses ressources naturelles. C'est ce qu'ont prouvé certains agents de développement ayant attiré en plein centre de Terre-Neuve (Bishop Falls) des PME innovantes - qu'il nous a été donné de visiter - qui exportent aussi loin qu'au Japon.

La performance économique des PME manufacturières en milieu rural, on vient de le voir, se trouve étroitement liée à leurs capacités d'innovation lesquelles dépendent grandement de la qualité des réseaux d'information en existence. Il a été a démontré que le succès des PME exportatrices s'explique en bonne partie par le recours à des réseaux d'information efficaces ou au recours à ce que l'on désigne de plus en plus par l'expression «intelligence économique». En effet, les PME qui réussissent le mieux sont celles qui maîtrisent les informations technologiques, concurrentielles et commerciales. Or, dans un contexte rural, l'information destinée aux entreprises s'avère trop souvent inaccessible ou mal adaptée à leurs besoins. Il faut donc la leur fournir. Pour favoriser l'avènement de nouvelles activités. il ne suffit donc pas d'émettre des slogans tel le fameux Prenez-vous en mains!.
Les gouvernements provincial et fédéral se doivent d'assumer leurs responsabilités. Ce qu'ils font d'ailleurs en ayant respectivement aissaimé sur tout le territoire leurs Centres locaux de développement et leurs Sociétés de développement des collectivités. L'action de ces organismes montre sans équivoque que le développement local constitue bel et bien la rencontre de deux démarches, l'une ascendante et l'autre descendante, ce que représente on ne peut mieux le proverbe Aide toi et le ciel t'aidera.

Mais faut-il encore le souligner, aussi performante que puisent être les nouvelles PME rurales, elles ne fournissent en salaires à peine la moitié de ce que versait la Gaspesia à ses travailleurs ultra privilégiés. C'est pourquoi, dans ces pages, au moment où l'on débattait sur le rôle de l'économie sociale, je soutenais que cette dernière, en milieu rural plus particulièrement, pouvait être d'un apport précieux pour les individus ou les ménages tirant leur revenu d'une PME. La confiance, la solidarité, l'imagination, la détermination feront beaucoup plus pour donner à la Gaspésie un dynamisme nouveau que toutes revendications tonitruantes adressées à un Big Brother extérieur à la région. »

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