Le concept de «milieu» et les PME innovantes et exportatrices: études de cas le Québec non-métropolitain

André Joyal
Communication présentée à Toulouse en 1995, à l'occasion du colloque annuel de l'Association de science régionale de langue Française.
«Admettre que l'acte entrepreneurial repose avant tout sur l'initiative individuelle ne conduit pas à sous-estimer l'influence de l'environnement immédiat de l'entreprise sur ses orientations stratégiques. Les activités productrices émergent et se développent dans un contexte socio-économique et géographique qui leur transmet directement ou indirectement par effet de démonstration les informations utiles à leur évolution. Dans un monde en profonde mutation, les informations de nature variée touchant, par exemple, la formation de la main-d'oeuvre, les nouvelles technologies, l'évolution des marchés, les politiques gouvernementales, les partenariats possibles, les nouveaux produits, etc. doivent faire l'objet d'une attention constante de la part de l'entreprise dynamique et innovante.

Dans le passé, des PME en régions ont pu connaître une évolution favorable en misant essentiellement sur un marché local, sans devoir recourir de façon importante aux diverses ressources du milieu environnant. A prime abord, l'ouverture des frontières laisse croire en l'obligation de ne plus faire cavalier seul. La défense des marchés nationaux face aux importations et la consolidation des acquis par une plus grande implantation sur les marchés étrangers, militent en faveur d'une meilleure utilisation de la part des PME de diverses formes d'appuis disponibles.

La présente communication vise à montrer dans quelle mesure les PME innovantes et exportatrices, implantées hors des grands centres urbains, tirent profit des différents réseaux d'information, formels et informels, en existence dans leur milieu environnant. Jusqu'à quel point le «paradigme du réseau» (Cooke et Morgan, 1993) trouve son application dans le Québec central? La démarche adoptée pour les fins de cette recherche s'inspire fortement des travaux du Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs (GREMI) ainsi que des travaux sur les systèmes de production localisés désignés également comme étant des systèmes territorialisés de production.

En relation avec les réseaux d'information, se pose, par exemple, le problème pour les chefs d'entreprise de bien cerner leurs marchés potentiels aux échelons régional, national ou international. Dans quelle mesure les divers acteurs qui les entourent peuvent leur apporter des informations sur les opportunités d'affaires à l'étranger? On devine la gamme variée d'autres informations que ces mêmes acteurs pourraient être en mesure de transmettre pour autant que les dirigeants d'entreprise se soucient de les recueillir. Ce questionnement conduit à prendre en considération le degré d'implication des entreprises au sein d'une stratégie de développement territorial conçue et mise en pratique à l'intérieur d'un cadre susceptible de favoriser les échanges entre elles et entre divers acteurs locaux.

Deux recherches antérieures sur, d'une part, l'impact de l'accord de libre-échange sur les PME en régions (Julien et al., 1994) et sur les comportements stratégiques des PME exportatrices en régions d'autre part (Joyal, 1995), ont conduit à s'interroger sur l'influence exercée par le milieu sur les entreprises concernées par l'accord de libre-échange. Peux-t-on affirmer que l'élaboration des stratégies en matière d'exportation fait appel aux diverses sources régionales d'information susceptibles d'optimaliser les choix effectués? En d'autres mots, comme l'écrit Maillat (1994), existe-t-il entre les entreprises concernées et les acteurs qui les environnent une logique d'interaction qui relève de la coopération? Ce questionnement conduit, en quelque sorte, à l'identification de la nature et à l'évaluation de l'importance d'une présumée dynamique territoriale.

Il s'agira dans cette communication de montrer, à partir des faits vécus, si cette dynamique d'un territoire donné représente un atout indispensable pour les PME exportatrices. La prise en compte des faits et gestes de plus d'une vingtaine d'entreprises innovantes, situées pour une bonne part en milieu rural ou dans des micro-régions localisées de part et d'autre du Saint-Laurent entre Montréal et Trois-Rivières, a permis d'évaluer l'influence de leur environnement sur leur évolution de façon générale et plus spécifiquement sur leurs décisions stratégiques en matière d'exportations.

Au préalable, pour bien cerner le concept de milieu et de s'assurer de sa juste interprétation, il importe de se rapporter aux travaux du GREMI. Ainsi, il deviendra possible, sur la base de la prise en compte des caractéristiques particulières à chacun des contextes, de faire les rapprochements et surtout, comme nous le démontrons, les distinctions que nos observations dégagent.


Le concept de milieu et l'entreprise innovante

La référence au milieu d'une entreprise évoque les différents acteurs qui composent son environnement. Ce dernier correspond à un espace qui se distingue par la géographie, l'histoire, les traditions, les ressources patrimoniales, et parfois par des comportements sociaux particuliers. Des intervenants socio-économiques, appartenant à un espace donné sont appelés à jouer un rôle auprès des entreprises qui s'y trouvent. Le milieu correspond à leur zone d'influence ou d'intervention. Bien sûr, l'entreprise exportatrice, par définition ou nécessité, doit composer avec des organismes et des entreprises parfois très éloignés, ce qui donnerait lieu à une dimension extra-territoriale de son milieu. Ceci étant admis, force est de reconnaître, l'importance de la connotation territoriale de la vision généralement admise du milieu d'une entreprise. C'est une ville et ses satellites, ou encore un regroupement de petites villes sur un espace bien délimité auquel se conforment ici et là des divisions administratives. À cet échelon parfois se dessinent des plans stratégiques de la part d'acteurs précisément mandatés à mettre de l'avant une dynamique susceptible de conduire à la consolidation ou une diversification des activités productrices (Joyal, 1995a). On imagine, toutefois, que le concept de milieu ne peut se départir d'un certain flou étant donné les interprétations auxquelles il peut prêter selon, à la fois, les observateurs et les contextes qui diffèrent inévitablement d'un pays à l'autre. Ici, les travaux du GREMI occupent une place prépondérante.

Mis sur pied en 1984, le GREMI s'intéresse aux milieux locaux afin d'apprécier leur aptitude à créer, développer et diffuser les innovations technologiques. L'objectif consiste à étudier les conditions extérieures à l'entreprise pouvant conduire à la naissance et à la consolidation des firmes innovatrices. On fait l'hypothèse que ces dernières entreprises ne préexistent pas aux milieux locaux puisqu'elles en émanent (Lecoq, 1995). Ainsi, le rapprochement entre le micro-régional ou le territoire et le milieu se fait immédiatement en considérant que ce dernier, d'après Maillat, (1994) prend son assise sur le rôle exercé par le contexte territorial et la capacité de celui-ci à valoriser la proximité de ses acteurs. Cependant, dans la même foulée, cet auteur précise bien que l'espace géographique concerné n'a pas de frontières a priori et ne correspond pas à une région donnée au sens commun du terme. Il ne faudrait donc pas associer les termes milieu et territoire. On comprendra cependant, que les trois composantes principales mises en évidence par les travaux du GREMI suscitent fortement la liaison avec un espace précis et limité d'intervention, à savoir ce que l'usage convient de considérer comme étant le territoire où se trouve l'entreprise:

1) Une approche micro-analytique du milieu: ce dernier se présente comme une structure efficiente au marché en facilitant la réduction des coûts de transaction;
2) Une approche cognitive du milieu: entrent en compte ici les notions d'apprentissage, de savoir-faire et de culture technique;
3) une approche organisationnelle du milieu, soulignant, entre autres, l'existence d'une relation d'interdépendance entre les acteurs en vue d'une valorisation des ressources existantes (Maillat, 1994).

On retrouve ici dans une certaine mesure les caractéristiques mises en évidence (Maillat et Perrin, 1992) afin d'identifier un «milieu». Celui-ci correspond d'abord à un cadre localisé où l'on observe une certaine homogénéité dans les comportements et dans la vison pour faire face aux problèmes. Vient ensuite une logique d'organisation permettant aux acteurs de collaborer en vue de l'innovation. Ici, nous verrons ce que cette caractéristique ne se vérifie pas à partir de nos travaux dans le Québec non métropolitain. Enfin, le milieu présente une dynamique collective d'apprentissage favorisant les modifications de comportements suivant l'évolution de l'environnement dans lequel baignent les entreprises.

Malgré la mise en garde en vue d'éviter la confusion entre le milieu et le territoire, sur la base de ces trois composantes, la tentation est forte de relier ces observations à un espace d'intervention d'échelon régional ou micro-régional. D. Maillat contribue à favoriser l'association entre le territoire et le milieu quand il écrit que ce dernier se caractérise par des coopérations plus directes entre les acteurs locaux (privés, publics et collectifs); (1994, p. 259). B. Planque (1988) abonde dans le même sens. La présentation du milieu comme un système formé de l'ensemble des éléments capables de fournir à l'entreprise innovatrice les intrants différenciés qui lui sont indispensables, évoque les phénomènes de «synergies locales» ou de «synergies territoriales». Ainsi, un milieu local, pourra exercer une influence plus ou moins grande sur le processus innovateurs des PME. Ce qui conduit au concept de «milieu innovateur».

Le «milieu innovateur», se définit comme un ensemble territorialisé dans lequel les interactions entre agents économiques se développent par l'apprentissage qu'ils font de transactions multilatérales génératrices d'externalités spécifiques à l'innovation et par la convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus performantes de gestion en commun des ressources (Maillat et al., 1993). Ceci étant admis, nous vérifions plus loin la pertinence de cette remarque à l'effet que l'entreprise n'est pas un agent innovateur isolé. Tel que précisé plus haut, elle est partie du milieu qui agit comme incubateur de l'innovation (Maillat, 1992). Ainsi, les territoires se présentent comme des milieux actifs au sein desquels naît l'innovation. Cette dernière résulterait, en effet, de la mise en valeur d'un savoir-faire et d'une culture technique à l'aide de la dynamique interne d'un lieu donné. Dans quelle mesure, ces assertions imprégnée de bon sens se vérifie-t-elle dans le Québec non métropolitain?

Nous répondrons à cette interrogation à partir d'une recherche en cours sur la contribution du milieu environnant auprès des PME exportatrices dont la majorité se trouvent en milieu rural ou semi-rural dans certaines régions centrales du Québec. Les PME manufacturières exportatrices ici considérées sont toutes innovantes, et font partie de ce que l'on peut qualifier de «manufacturier complexe» en distinction d'avec le manufacturier de type de traditionnel. La complexité, ici, fait référence à différentes considérations: le recours à des procédés de fabrication assistés par ordinateur, l'importance du personnel de direction, les efforts de R&D conduisant à la mise en marché de produits nouveaux ou améliorés, la présence de travailleurs qualifiés, etc.

À la lumière des observations effectuées auprès de telles PME, nous présentons des premiers résultats sur l'interrelation avec leur milieu. Pour cette recherche nous nous sommes fortement inspirés de l'étude du GREMI sur le lien entre les entreprises innovatrices et le développement territorial (Maillat et Perrin,1992). Cette étude, effectuée à l'échelon de diverses régions européennes avait pour but de vérifier l'existence d'une influence du milieu environnant sur les décisions des PME de mettre sur le marché un produit nouveau. En ayant recours à la même approche méthodologique, nous avons cherché à connaître dans quelle mesure les dirigeants d'entreprise recourent aux ressources de leur milieu dans l'élaboration de leur stratégie en matière d'exportation. Ce faisant, il fut évidemment possible de savoir, pour l'une et l'autre des fonctions propres à une entreprise, si celles ayant fait l'objet de notre investigation font appel à la contribution de différents agents économiques de leur milieu.

C'est donc le concept de milieu vu comme un espace de soutien (Ratti et Ambrogio, 1988) à la PME exportatrice dont il est question ici. En posant l'hypothèse qu'à l'instar de l'innovation, l'exportation ne demeure pas, elle non plus, un geste isolé de la part de l'entreprise. Il s'agissait donc de vérifier dans quelle mesure un milieu donné exerce une influence sur l'engagement des PME en vue de la conquête d'un marché étranger.


Méthodologie

Vingt-trois entreprises situées dans le Québec dit central ont fait l'objet d'une visite qui a donné lieu à chaque occasion à un entretien dont la durée variait entre 90 et 120 minutes. Les rencontres se sont déroulées dans la majorité des cas avec le propriétaire de l'entreprise ou avec un adjoint responsable des exportations. Le schéma d'entretien comportait des questions sur: l'historique de l'entreprise, les principales étapes de son évolution, les efforts en matière de formation de main-d'oeuvre et de veille technologique, le recours aux programmes d'aide gouvernementale, la R&D, la stratégie adoptée au début des exportations et développée depuis lors, l'apport du milieu à travers les différentes étapes de l'évolution de l'entreprise avec une attention particulière sur tout ce qui se rapporte à l'exportation. A ces études de cas s'ajoute une demi-douzaine d'entretien avec des agents de développement oeuvrant à l'intérieur de structure d'appui aux entreprises.

Le tableau 1 donne une vue d'ensemble de l'échantillon. On voit que 13 des entreprises se situent dans un environnement rural ou semi-rural alors que les 10 autres entreprises se trouvent soit dans la proche banlieue de Montréal (4 entreprises) ou dans une ville d'importance moyenne (population d'environ 20 000 à 30 000 ha). Avec 7 entreprises, le secteur du bois oeuvré et du meuble est particulièrement bien représenté. Il s'agit, dans tous les cas, d'entreprises qui ont réussi leur implantation sur le marché étranger autant par l'innovation dans leur production que par le recours à des technologies modernes afin d'améliorer à la fois la productivité et la qualité. Le chiffre d'affaires moyen est légèrement inférieur à 7 millions de $can avec une part destinée à l'exportation qui équivaut, en moyenne, à 38% du chiffre d'affaires. Douze de ces entreprises comptent moins de 50 employés et sont ainsi qualifiées de petites entreprises alors que la moyenne de l'échantillon se situe à 51 employés, cadres et travailleurs à la production confondus. Aucune différence significative ne s'observe quant à la localisation des entreprises et l'importance du chiffre d'affaires consacrée à l'exportation.

La figure 1 fait ressortir la destination des exportations en relation avec la localisation des entreprises. Pour des raisons faciles à comprendre les État-Unis constituent le principal client hors Canada des PME québécoise. Dans l'ensemble, seulement six entreprises expédient une partie de leur production ailleurs qu'au sud du 45e parallèle. On enregistre aucune différence significative suivant la localisation des entreprises.

La figure 2 met en évidence la faiblesse des liens entretenus avec le milieu suivant le type d'environnement des entreprises. Les contacts de tout genre ont été prix en considération. Il pouvait s'agir d'appuis obtenus au moment de la période de démarrage de l'entreprise de la part d'organismes spécialement consacrés à l'aide à la création d'entreprise. Ou encore, il pouvait s'agir de différentes interventions d'acteurs locaux en relation avec les diverses fonctions de l'entreprise tout au long de son évolution. On voit que l'analyse de l'information recueillie dégage que le milieu exerce une influence jugée moyennement importante dans le cas de seulement deux entreprises, toutes deux en milieu rural. Cette influence apparaît plutôt faible dans le cas de dix autres et tout à fait inexistante pour onze entreprises.

«On est plutôt du genre individualiste», cette remarque pourrait être reprise en choeur par les dirigeants de la grande majorité des vingt-trois entreprises ayant fait l'objet de cette première étape de la recherche. Un comportement qui confirme une remarque de certains agents de développement voulant que des propriétaires-dirigeants d'entreprises voisines de quelques mètres à peine, ne se parlent pas, pire ils ne se connaissent même pas.
Pour la majorité des entreprises observées, les relations se limitent à des contacts occasionnels avec un agent de développement à l'emploi d'un organisme local d'aide aux entreprises ou avec leur association professionnelle dont le siège est à l'extérieur de leur région. Et pourtant le «maillage», c'est-à-dire l'échange d'informations entre les entreprises est un concept bien à la mode. Il y avait donc tout lieu de croire que, de plus en plus, pour consolider, entre autres, leurs activités d'exportation, les entreprises s'engagent dans des activités de maillage à l'aide de réseaux territoriaux d'information formels ou informels. Ce qui n'est pas le cas. L'observation des faits conduit à des constats assez similaires suivant que les entreprises soient des exportateurs aguerris ou occasionnels. Les uns comme les autres entretiennent très peu de contacts avec d'autres entreprises de leur environnement ou avec divers autres acteurs locaux.

Aucune de ces entreprises n'est impliquée d'une façon ou d'une autre à l'intérieur d'une stratégie de développement économique mise de l'avant par un organisme mandaté en ce sens. Aucun des dirigeants d'entreprise rencontrés n'a eu vent de la préparation d'un plan stratégique de leur région d'appartenance conformément à la politique régionale mise de l'avant en 1993 par le gouvernement du Québec. Le maillage ne fait guère partie de leur vocabulaire. Si certaines entretiennent des relations d'échanges d'informations auprès d'entreprises à qui elles vendent leurs produits, ces dernières se trouvent dans la plupart des cas dans une une région différente.
Occasionnellement ces PME exportatrices tirent profit d'un programme gouvernemental (plus souvent qu'autrement pour participer à un salon international), mais la démarche individuelle s'impose comme étant la règle. Diverses initiatives des dirigeants ont donné lieu aux premiers contacts sur un marché étranger lesquels furent par la suite entretenus et diversifiés. Ainsi, souvent au milieu des années 80, c'est en misant essentiellement sur eux-mêmes que les entrepreneurs ont gagné leurs premiers galons d'exportateurs. Sans en être conscients, ils pavaient ainsi la voie aux nouveaux exportateurs qui s'apprêtent à suivre leur trace. En effet, cette fois, en conformité avec les implications d'une stratégie faisant appel aux ressources du milieu, il se crée ici et là des clubs de nouveaux exportateurs. Également, des agents de développement spécialement mandatés à encadrer les nouveaux exportateurs prennent place dans certaines régions. L'on évoque ainsi l'existence possible de «milieux exportateurs» (Perreault, J. et Mantagori, V., 1994). Les pionniers pourront ainsi faire bénéficier de leur expérience aux exportateurs en potentiel qui, à leur tour, pourront mettre à profit leur savoir-faire au-delà des frontières. Un savoir-faire qui se retrouve donc dans le Québec rural et semi-rural.
Mais pour les entreprises en place depuis dix, quinze ou vingt ans (la moyenne d'âge des entreprises de l'échantillon est de dix-neuf ans), celles qui ont passé au travers les vicissitudes des deux dernières récessions, la solidarité, ce mot clé de toute stratégie faisant appel aux ressources du milieu, n'est pas de la partie. Un comportement qui ne doit en aucune façon se rattacher à une attitude conservatrice ou arrière-gardiste de la part de ces entreprises. Il importe de tenir compte que l'on est en présence d'entreprises innovantes, autant par leurs méthodes de production. que par leurs produits, dont on ne trouve pas l'équivalent sur le marché américain. Que l'on soit dans un village de la rive sud ou nord du Saint-Laurent, la conception et les machines assistées par ordinateur n'ont pas de secret pour les entreprises étudiées. La certification ISO, quand elle n'est pas acquise, est en voie de l'être. Il y a donc innovation mais sans l'apport ou l'influence du milieu.

On retrouve ici l'un des quatre cas identifiés par une équipe de l'IRER de Neuchatel en prenant en compte l'interraction entre différents acteurs et la dynamique d'apprentissage (Maillat, 1992a).


Indicateur synthétique de cohésion

Les premiers résultats de notre recherche mettent en évidence le cas 2.1: des entreprises innovantes sans une contribution significative du milieu. Une situation qui s'explique peut-être avant tout par une façon de faire des dirigeants d'entreprise habitués à miser sur eux-mêmes, par tempérament et par absence de temps et de motivation pour s'impliquer dans des réseaux d'information.

Une autre explication, à prime abord, tout aussi importante, pourrait relever de la géographie. La faible densité de la population dans les régions centrales (et, bien sûr, périphériques) du Québec fait que pour des entreprises situées dans un village de 1 000 ha distancé de dix ou quinze kilomètres du village le plus proche, il ne peut tout simplement pas y avoir de milieu, faute de masse critique, à moins d'élargir la zone d'observation. À cet effet, P. Vaessen et W. Wever (1993) montrent bien que dans un tel environnement, un des traits caractéristiques des entreprises consiste à faire appel à des ressources extérieures à leur région. Si le dirigeant d'une entreprise localisée dans un parc industriel d'une ville moyenne affiche un comportement individualiste, il ne faut pas s'attendre à un comportement davantage grégaire de la part d'un fabricant de machinerie agricole d'un village où il n'y a guère d'autres manufacturiers. Une situation qui n'implique absolument pas l'isolement puisque les dirigeants d'entreprise concernés font partie de réseaux extérieurs à leur région et, bien sûr, du pays. La participation à des salons internationaux et les contacts réguliers avec les clients, les distributeurs ou agents leur servent de principale source d'information et de facteurs d'incitation à maintenir leur caractère innovant.

Dans quelle mesure ces constatations apportent du poids à la critique du concept de «milieu innovateur» que fait M. Polèse (1995) qui l'associe à un raisonnement tautologique (On attribue le succès économique des régions au facteur «A»; si bien que lorsque nous observons des succès nous en concluons que cela est attribuable au facteur «A») ? Attribuer les causes d'échecs ou de succès d'une région au comportement des agents qui appartiennent à son milieu ne ferait guère avancer l'état des connaissances. De plus l'expérience heureuse d'une région comme celle de l'Arc jurassien, aussi intéressante soit-elle, ne serait pas transposable. Ceci étant admis, la pertinence du concept ne peut faire l'objet d'une complète remise en cause. Cette critique invite surtout à la prudence dans l'interprétation des faits observés et elle incite à poursuivre les efforts en vue de mieux saisir la nature et la portée des intervenants appartenant à un milieu donné.


Conclusion

Les travaux de M.-U. Proulx (1995) montrent bien que l'existence des éléments constituant un réseau d'information ne garantit pas l'efficacité de son fonctionnement. Les composantes servant à faciliter les échanges peuvent être présents sans que les entreprises à qui elles se destinent n'en fasse usage pour une raison ou une autre. Trois types de facteurs aident à comprendre une telle situation:

1) Les facteurs reliés à l'entreprise: l'importance accordée à l'exportation par l'entreprise peut rendre moins pertinents les liens ou les contacts ayant favorisé, par exemple, son implantation et sa consolidation. Les dirigeants ont développé l'habitude de transiger avec des intermédiaires à l'extérieur de leur environnement immédiat. C'est alors ce «milieu étendu» ou déconnecté du territoire, auquel appartient l'entreprise, qui dorénavant lui fournit l'information indispensable à sa bonne marche. Ceci s'observe autant pour les fins de la veille commerciale que pour la veille technologique;

2) Les facteurs reliés à l'environnement: l'absence d'une masse critique minimale en termes de population ou d'activités productrices compromet la solidité des liens entre les composantes d'un réseau. Les occasions de rencontres, ne fussent qu'informelles, entre les dirigeants d'entreprise, se conçoivent difficilement lorsque les entreprises sont distancées par plusieurs kilomètres. De même, les distances constituent un handicap quand un dirigeant s'interroge sur la pertinence de se déplacer pour rencontrer un agent de développement ou un représentant d'un service gouvernemental ou, encore, pour participer à une activité d'une association professionnelle (dîner-causerie);

3) Les facteurs reliés au dirigeant: une majorité des représentants d'entreprises étudiées affirment avoir développé l'habitude de se passer des services du milieu. Ce comportement se rencontre même de la part de dirigeants dont l'entreprise se trouve en milieu urbain. C'est-à-dire, là où la masse critique et la proximité des divers agents économiques s'avèrent nettement suffisantes pour assurer le bon fonctionnement de réseaux d'échanges. Or, comme le signale E. J. Malecki (1994), l'existence d'une masse critique suffisante n'assure pas nécessairement l'existence de relations d'échanges inter-firmes. Cette indifférence envers les appuis possibles d'éléments du milieu s'explique parfois par de mauvaises expériences vécues dans le passé mais davantage par le tempérament individualiste des dirigeants. Convaincus qu'ils n'ont rien à gagner en s'adressant à un service gouvernemental ou auprès d'une société de développement économique (plus ou moins l'équivalent des comités d'expansion économique que l'on trouve en France), ils s'abstiennent de faire appel à leurs services.

Reste à voir, tel que mentionné plus haut, si ces comportements s'observent également avec les dirigeants d'entreprise plus récemment établis. En vertu de la gamme d'appuis plus variée que jamais mis de l'avant, autant sous l'incitation suscitée par la conjoncture économique que par une volonté d'aider les régions «à se prendre en main», le milieu peut être appelé à exercer une plus grande influence sur les nouveaux entrepreneurs. Il y aurait donc lieu dans la poursuite de nos travaux de se pencher plus particulièrement sur ces exportateurs que nous avons qualifiés d'exportateurs occasionnels et en transition (Joyal et al, 1995) pour autant qu'il s'agisse d'entreprises de création récente. A la fois pour se donner les moyens requis pour exporter (adoption de nouvelles technologies, formation de main-d'oeuvre) que pour connaître les possibilités offertes par les marché étrangers, les dirigeants de ces jeunes entreprises peuvent juger opportun de se déplacer pour tirer profit des possibilités de réseautage existantes. Mais, à l'instar des dirigeants d'entreprise plus ancienne, une fois leurs gallons d'exportateurs professionnels obtenus le milieu pourrait bien perdre à leurs yeux de son importance.»


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