Il y a du Dante chez Baudelaire

Jules Barbey d'Aurevilly
« Il y a du Dante, en effet, dans l’auteur des Fleurs du Mal, mais c’est du Dante d’une époque déchue, c’est du Dante athée et moderne, du Dante venu après Voltaire, dans un temps qui n’aura point de saint Thomas. Le poète de ces Fleurs, qui ulcèrent le sein sur lequel elles reposent, n’a pas la grande mine de son majestueux devancier, et ce n’est pas sa faute.

Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsychoses; il n’a pas la foi du grand poète catholique, qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. Le caractère de la poésie des Fleurs du Mal, à l’exception de quelques rares morceaux que le désespoir a fini par glacer, c’est le trouble, c’est la furie, c’est le regard convulsé et non pas le regard, sombrement clair et limpide, du Visionnaire de Florence. La Muse du Dante a rêveusement vu l’Enfer, celle des Fleurs du Mal le respire d’une narine crispée comme celle du cheval qui hume l’obus ! L’une vient de l’Enfer, l’autre y va. Si la première est plus auguste, l’autre est peut-être plus émouvante. Elle n’a pas le merveilleux épique qui enlève si haut l’imagination et calme ses terreurs dans la sérénité dont les génies, tout à fait exceptionnels, savent revêtir leurs œuvres les plus passionnées. Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons, et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris.»
JULES BARBEY D'AUREVILLY, Les Œuvres et les hommes (1ère série) – III. Les Poètes, Paris, Amyot, 1862, p. 380.

*******

«Baudelaire fut le rhapsode de ses Fleurs du Mal dans les quelques salons qui ne craignaient pas l’odeur, dardant la cervelle, de ces syringas terribles. Il les disait, ces Fleurs du Mal, avec cette voix douce et mystificatrice qui hérissait le crin des bourgeois, quand il les distillait suavement dans leurs longues oreilles épouvantées…»

JULES BARBEY D'AUREVILLY, Les Œuvres et les hommes (2e série) – XI. Les Poètes, Paris, Lemerre, 1890, p.327.

Autres articles associés à ce dossier

La musique

Charles-Pierre Baudelaire


La musique

Charles-Pierre Baudelaire


Fusées

Charles-Pierre Baudelaire

Baudelaire a dit qu'il laissait les pages de Fusées parce qu'il voulait dater sa colère et sa tristesse, sentiments que lui inspirait l'« avilissem

Le serpent qui danse

Charles-Pierre Baudelaire


Mon coeur mis à nu

Charles-Pierre Baudelaire

Oeuvre dense et provocante où Baudelaire témoigne de ses admirations (pour le poète, le prêtre, le soldat, le dandy) et de ses aversions (pour la

Derniers mois de la vie de Baudelaire

Mme Aupick

Évocation des derniers mois de la vie de Baudelaire, par sa mère.

À lire également du même auteur

"Cet humble et bon Vincent de Paul"
« Napoléon n’a pas plus organisé à sa manière que Vincent de Paul à la sienne… Le cardinal de Richelieu, cet homme d’ordre et d’unité, avec ses quatre à cinq coups de hache éblouissants qui brillent dans l’histoire, n’a jamais créé

Villon est le génie gaulois par excellence
Le talent garde le mystère des impressions dont il est formé dans nos esprits ou dans nos âmes. Sans cette vie, sur laquelle la morale a bien le droit d’allonger ses moues, qui peut dire que le talent de Villon n’aurait pas péri ? …Villon est le génie gaulois par exc

Un peintre profondément spiritualiste
Millet est un peintre profondément spiritualiste, à une époque qui ne l’est plus, ou qui ne l’est que mièvrement ou sentimentalement, quand elle l’est. Comparez-le aux peintres qui ne le sont pas ! Comparez ses Glaneuses, par exemple, aux Casseurs de pierres de Courbet,

Sainte-Beuve selon Barbey d’Aurevilly
Sainte-Beuve est une personnalité très rare dans la littérature de ce temps. C’est à la fois un homme d’étude et un homme du monde.Bénédictin libre de sa petite maison de la rue du Montparnasse, il ne s’y cloître qu’à ses heures… On le rencont

Rivarol selon Barbey d'Aurevilly
«… Un métaphysicien pittoresque, qui donnait du relief à l’abstrait. »Les œuvres et les hommes (2e série) – IX. Les philosophes et les écrivains religieux, Quantin, 1887, p. 119« Rivarol fut un dissipateur immense. Mais il était né riche comme tous l

Pascal selon Barbey d'Aurevilly
Les sciences vieillissent... les philosophies se succèdent... Mais Pascal, lui, le Pascal des Pensées n'a pas, comme on dit, pris un jour. Toute une armée de géomètres a passé pourtant sur le géomètre du XVIIe siècle et planté plus loin que la place où il était to

Madame George Sand jugée par elle-même
Mme George Sand jugée par elle-même (1) IMon Dieu, oui, par elle-même ! J’aimerais assez cela, si Mme George Sand était capable de se juger, si réellement elle était un esprit critique. J’aimerais beaucoup ce dédoublement de soi-même. La Réflexion venant après

Les quarante médaillons de l’Académie: M. Sainte-Beuve
Certes! c'est un homme d'esprit, et même c'est ce que j'en puis dire de mieux. Je m'obstine à soutenir qu'il a eu un jour du génie - du génie malade, il est vrai - dans Joseph Delorme, mais il n'a recommencé jamais. Depuis ce jour, unique dans sa vie, il a eu beaucoup de talent, noyÃ




L'Agora - Textes récents