Article «Admiration» de l'Encyclopédie

Denis Diderot
Admiration, s. f. (Morale). C’est le sentiment qu’excite en nous la présence d’un objet, quel qu’il soit, intellectuel ou physique, auquel nous attachons quelque perfection. Si l’objet est vraiment beau, l’admiration dure; si la beauté n’était qu’apparente, l’admiration s’évanouit par la réflexion; si l’objet est tel, que plus nous l’examinons, plus nous y découvrons de perfection, l’admiration augmente. Nous n’admirons guère que ce qui est au-dessus de nos forces ou de nos connaissances. Ainsi l’admiration est fille tantôt de notre ignorance, tantôt de notre incapacité: ces principes sont si vrais, que ce qui est admirable pour l’un, n’attire seulement pas l’attention d’un autre. Il ne faut pas confondre la suprise avec l’admiration. Une chose laide ou belle, pourvu qu’elle ne soit pas ordinaire dans son genre, nous cause de la surprise; mais il n’est donné qu’aux belles de produire en nous la surprise et l’admiration: ces deux sentiments peuvent aller ensemble et séparément. Saint-Évremond dit que l’admiration est la marque d’un petit esprit : cette pensée est fausse; il eût fallu dire, pour la rendre juste, que l’admiration d’une chose commune est la marque de peu d’esprit; mais il y a des occasions où l’étendue de l’admiration est, pour ainsi dire, la mesure de la beauté de l’âme et de la grandeur de l’esprit. Plus un être créé et pensant voit loin dans la nature, plus il a de discernement et plus il admire. Au reste, il faut un peu être en garde contre ce premier mouvement de notre âme à la présence des objets, et ne s’y livrer que quand on est rassuré par ses connaissances, et surtout par des modèles auxquels on puisse rapporter l’objet qui nous est présent. Il faut que ces modèles soient d’une beauté universellement convenue. Il y a des esprits qu’il est extrêmement difficile d’étonner : ce sont ceux que la métaphysique a élevés au-dessus des choses faites, qui rapportent tout ce qu’ils voient, entendent, etc., au possible, et qui ont en eux-mêmes un modèle idéal au-dessous duquel les êtres créés restent toujours.

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